Affaire Arche de Zoé : non-assistance à enfants en danger !
Depuis le 25 octobre, date de la garde à vue de neuf Français dont trois journalistes et de sept Espagnols dont quatre hôtesses de l’air pour avoir tenté de faire partir 103 enfants de l’est du Tchad, jour après jour, l’affaire n’a cessé d’alimenter inutilement l’actualité, sous la surexposition des enfants tchadiens et de ces « Tintins au Congo » des temps modernes sur les médias français.
![](http://www.agoravox.fr/local/cache-vignettes/L250xH195/enfants_tchad_arche_zoe-8d62e.jpg)
D’abord parce que les clichés des enfants chétifs, poussiéreux, grisâtres de crasse, morveux, faméliques et hagards subsistent encore comme le plat de résistance ou la cerise sur le gâteau des journaux télévisés hexagonaux. Ensuite, parce que dans le hasard du calendrier tchado-français, il se trouve que la France, donc Nicolas Sarkozy, a besoin du pays du président Idriss Déby pour la mise en place d’une force d’interposition à l’ouest du Soudan avec comme base arrière le Tchad.
Difficile dans cette affaire anecdotique de ne pas se perdre en extrapolations, en diversions, en grossissements des faits par des symboles et les vieux démons qui jonchent les relations truffées de complexes entre l’Afrique et la France.
Aujourd’hui en effet, on crie haro sur le baudet contre Eric Breteau, responsable de l’Arche de Zoé, et toute son équipée vite qualifiée « d’escroquerie », de « sordide », d’ « assez lamentable ». Et le président tchadien Idriss Déby se souvient subitement que des enfants ne peuvent être arrachés à leurs parents, ne peuvent être traités comme du bétail, oubliant volontiers que cette tentative d’exfiltration n’aura été possible avec le consentement des parents que parce que l’avenir de ces enfants au Tchad était très incertain. Entre conditions de vie misérable, guerre, famine, quels parents n’accepteraient-ils pas de faire sortir leur progéniture d’un certain enfer ?
Les propos du président Déby virent carrément à la manipulation lorsqu’il fait planer l’ombre de la pédophilie et du trafic d’organes humains dans ce qu’il appelle lui-même « un enlèvement d’enfants de bas âge contre leur gré et de l’avis de leurs parents ». Il dira encore avoir été « traumatisé », « vraiment traumatisé ! » par un tel acte « inadmissible au 21e siècle ».
Et que dire de ces images inadmissibles des milliers de personnes jetées sur les chemins incertains par la guerre ou la famine que l’on voit à longueur de journaux de chaînes européennes ? Que penser de cette brouille entre les autorités de N’Djamena et la Banque mondiale sur la gestion de la manne pétrolière tchadienne, notamment le refus du Tchad de mettre de côté une partie des fonds issus de l’exploitation du pétrole pour le compte des générations futures (des enfants) du Tchad, et ce, au profit de l’achat d’armes pour faire face à la rébellion ?
L’émotion, l’envie irrationnelle de régler leur compte aux colons blancs, l’euphorie de l’ivresse d’une souveraineté des Etats africains face aux Européens ne doivent pas faire oublier que ce Tchad qui se révèle chérir tant ses enfants est parmi les pays les plus pauvres de la planète (167e sur 175). Que ce pays malgré la subite surenchère de fierté et de susceptibilité de ses autorités publiques est un pays où plus d’un enfant sur dix court le risque de mourir avant l’adolescence, où le taux de scolarisation est estimé à 35%, et l’alphabétisation à moins de 50%.
Le politiquement correct, l’envie de plaire et surtout de complaire s’est emparée même d’autres ONG humanitaires actives au Tchad, qui ont vite fait (Unicef) de mener des enquêtes pour prouver que les enfants n’étaient pas des orphelins, et qu’ils ne venaient pas du Darfour proche (ouest du Soudan). Pour donner le change au monde et aux Tchadiens eux-mêmes, Sarkozy s’est empressé de condamner l’action et de réclamer des sanctions. Ce qui a eu le don de rendre leur fierté aux autorités tchadiennes, le président Idriss Déby n’a pas alors manqué de se gargariser de cette aubaine en soulignant à chaque fois qu’il laissait la justice tchadienne traiter l’affaire en toute liberté.
Une mise en scène dont on connaît pourtant déjà le dénouement : après avoir grisé les Tchadiens d’une fierté que la France leur concède dans un premier temps, ceux-ci vont se forcer, touchés par autant d’attention et de tact, de vendre des faveurs diplomatiques ensuite à la même France.
La première faveur, c’est ce voyage de quelques heures de Nicolas Sarkozy au Tchad le 4 novembre, juste pour faire revenir les journalistes français et certains membres de l’équipage de l’avion affrété par l’Arche de Zoé pour l’opération « Children Rescue ». La deuxième faveur va être probablement l’extradition en France des Français pour y être jugés, conformément à un accord de partenariat judiciaire signé entre les deux pays en 1976...
Finalement, l’Arche de Zoé a sans doute oublié qu’il avait fallu l’intervention directe de Dieu pour l’Arche de Noé. Dans leur volonté de bien faire, ils n’ont pas eu de pot ! Un gâchis de bonne volonté présumé ! Et une association, de par son nom même et celui de baptême de l’opération, qui aura dévoilé sa naïveté, son envie de faire bien, dans un monde encombré d’enjeux politiques et diplomatiques où une action humanitaire de sauvetage d’enfants d’un enfer certain, est vite transformée en affaire d’Etat récupérée ignominieusement de part et d’autre pour apitoyer le monde et démontrer le subit amour calculé d’un pays pauvre pour ses enfants, ou amadouer, côté français, un pays qui va servir au déploiement d’une force européenne au Darfour.
Il faudra bien du courage, dans 10 ans, à ces ONG qui se sont empressées d’anathémiser l’Arche de Zoé, pour faire une nouvelle enquête afin de déterminer ce que seront devenus ces 103 enfants. Ces enfants à qui on aura empêché de vivre un autre destin, un autre rêve, non pas en tant que petits Tchadiens, menu fretin au concert des nations, mais tout simplement en tant que petits êtres humains dont l’esprit, du fond des ténèbres de leurs conditions de vie de petits Africains, s’illumine aussi de rêves, de rêves d’enfants, tout simplement !
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