Affaire Orelsan : Quand de beaux esprits s’égarent au nom de la liberté d’expression
Quelle censure ? Quelle liberté d’expression en danger ? Mais de quoi parle-t-on au juste ? En quoi les citoyens que nous sommes devrions-nous subventionner par nos impôts les prestations scéniques d’un rappeur qui écrit des textes ignobles sur les femmes ? Dans cette affaire, certains « beaux esprits » mettent plus d’énergie à voler à la rescousse d’un pauvre « artiste » misogyne qu’à dénoncer d’ordinaire les violences faites aux femmes. Il serait temps d’arrêter de faire d’Oreslan la pauvre victime de censeurs sourcilleux. C’est plutôt le succès d’un tel gugusse qui doit nous mettre en alerte.
La polémique ne date pas d’hier mais il n’est jamais inutile de prendre un peu de recul pour donner son point de vue, d’autant plus qu’elle est revenue la semaine dernière sur le devant de la scène avec la déprogrammation du rappeur des Francofolies de la Rochelle. Je rappelle les faits pour ceux qui l’ignorent encore : Orelsan est un rappeur français qui, sous couvert d’exprimer ses malaises existentiels de jeune mec paumé, écrit des textes désolants, pour ne pas dire ignobles, notamment envers les femmes. Pour se faire une idée précise des talents du gugusse, je vous laisse déguster deux morceaux choisis :
« Je croyais que tu étais différente des autres pétasses (…) On verra comment tu fais la belle avec une jambe cassée (…) Tu n’es juste qu’une truie, tu mérites ta place à l’abattoir »
« Si j’te casse un bras considère qu’on s’est quittés en bons termes
J’t’aime j’ai la haine j’te souhaite tout les malheurs du monde
J’veux que tu sentes la chaleur d’une bombe
(…) J’ai les nerfs en pelote (sale pute)
J’vais te mettre en cloque (sale pute)
Et t’avorter à l’opinel »
La chanson Sale P*te a été le détonateur de la polémique mais à regarder de plus près « l’œuvre » du bonhomme (je m’y suis astreint avant d’écrire ce billet, c’était éprouvant mais bien la moindre des choses), elle n’est pas la seule à poser problème. Il y a notamment une chanson Saint Valentin d’une vulgarité insoutenable. Donc, Orelsan a été invité début avril au Printemps de Bourges. Et comme ce festival reçoit des subventions publiques à hauteur de 5 millions d’euros (notamment du Conseil régional pour 350.000 euros), François Bonneau, le président socialiste de la région Centre, s’est élevé contre la programmation du rappeur menaçant les organisateurs de représailles financières avant de retrancher la part réservée au rappeur et à l’organisation de son concert du montant total de la subvention (histoire de ne pas pénaliser les autres artistes). Rien de bien anormal quand on a la responsabilité des deniers publics et qu’on encourage par ailleurs la lutte contre les discriminations, les violences conjugales etc. Orelsan n’a pas besoin, hélas, du Printemps de Bourges ou des Francofolies pour vendre ses disques et c’est bien pour des raisons purement pécuniaires, même s’ils s’en défendent, que les organisateurs de ces festivals en vue l’ont invité au détriment de tant d’autres d’artistes.
Parmi toutes les réactions indignées des beaux esprits criant à la censure, Libération, par la plume de Gilles Renault (édition du 8 avril), a voulu jouer sur le registre condescendant en écrivant que Bonneau s’était contenté de surfer sur une « polémique à la mode » (traduisez, une polémique bassement électoraliste), avait « tenté un coup de force » mais s’était confronté à « la résistance ferme et argumentée du Printemps de Bourges » et que finalement il cherchait « à ne pas perdre la face » (sic) en maintenant une partie de la subvention etc. Dans cette affaire, on constatera que Libération, le chanteur Cali ou Jack Lang ont pris le parti du rappeur misogyne contre Bonneau, Royal, les associations féministes ou homosexuelles (car certains textes sont aussi homophobes). On aura eu ainsi le droit depuis trois mois au refrain habituel, désolant de stupidité et de lâcheté, des pourfendeurs de la « censure », y voyant le retour de l’ordre moral, de Vichy, et j’en passe…
Il n’est jamais inutile de rappeler qu’en France, une femme meurt environ tous les deux jours sous les coups de son compagnon. Selon l’Observatoire national de la délinquance, pas moins de 47.500 faits liés à des violences conjugales ont été recensés en 2007 par les services de police ou de gendarmerie. On pourrait citer d’autres statistiques ou se remémorer quelques faits divers sordides comme le martyr de Sohanne, 17 ans, brûlée vive par son compagnon, un petit caïd d’une cité de la banlieue parisienne en 2002. Mais cela intéresse-t-il encore nos beaux esprits généreux qui s’époumonent pour dénoncer la « censure » dont serait victime Orelsan ? La plaque à la mémoire de Sohanne apposée dans la cité est, paraît-il, régulièrement souillée et fracassée par d’autres petits caïds. No comment…
Je ne suis pas un adepte du politiquement correct à outrance, je crois moi aussi à la liberté d’expression des artistes dans une très large mesure. Je suis moi même un grand admirateur de Bob Dylan qui souhaitait à l’époque de Masters Of War (1963) la mort des marchands d’armes. Est-il besoin de préciser que cela n’a rien à voir avec Orelsan ? Dylan dénonçait la guerre du Vietnam, il mettait sa poésie au service d’une cause, sans tomber dans l’obscénité crasse et nihiliste. Mais peut-on considérer qu’on a le droit de tout dire impunément sans rendre des comptes ? La collectivité (si ce mot a encore un sens) doit-elle subventionner, de quelque manière que ce soit, ceux qui bafouent de façon ignominieuse la dignité de la moitié de l’Humanité ? Il serait bien que certains comprennent qu’un « artiste » (les guillemets me semblent de rigueur) n’est pas au-dessus de la société et que celle-ci, par le biais de ses représentants, a le droit de se défendre contre l’abjection. Il y a des lois pour cela.
Bref, si soutenir les associations féministes ou tous ceux qui luttent contre les violences conjugales et qui ont soulevé le cas Orelsan, si ne pas vouloir qu’un centime de ses impôts ne paye la promotion de ce rappeur, c’est être un vilain réactionnaire nostalgique de la censure, alors dans ce cas, il faut encaisser sereinement les quolibets des beaux esprits. Mais n’en déplaise à Jack Lang, Libération, la talentueuse Olivia Ruiz (dommage !) ou l’inénarrable Cali, les « bien pensants » médiatiquement corrects ne sont pas forcément où l’on croit, c’est à dire chez les adversaires du rappeur. Bien au contraire, j’ai cru observer à mesure que la polémique enflait que ceux qui prenaient la défense du pauvre petit rappeur misogyne et qui criaient à la « censure » (le mot une fois lâché est médiatiquement imparable !) recueillaient plutôt la bienveillance des élites de tout poil (cf. réaction consternante de Frédéric Mitterrand qui a osé comparer Orelsan à Rimbaud, excusez du peu. Le nouveau ministre de la culture de Sarkozy a également déclaré au décès du roi de la pop « qu’on avait tous en nous quelque chose de Michael Jackson », allez comprendre. Visiblement, le neveu Mitterrand aurait mieux fait de rester à la Villa Médicis !).
Et la musique alors ? On pourrait gloser sur le fait que des milliers de jeunes achètent ou téléchargent les chansons du gugusse, sur le malaise d’une génération qui se reconnaît dans ce genre d’artistes, sur la banalisation de la violence comme mode d’expression (de préférence envers ceux qui ne peuvent pas se défendre) et qui vient se substituer à la défaillance du langage, sur la misogynie agressive comme affirmation débile de la virilité chez certains jeunes mâles frustrés des cités, sur le retour de la barbarie (le martyr du jeune juif Illan Halimi, c’était aussi chez nous, en France, en 2006). Certains s’empresseront de crier, à la lecture de ces lignes, au mépris des amateurs de rap. Je me refuse bien entendu à faire l’amalgame, même si je n’aime pas ce genre musical, entre Orelsan et tous les groupes de rap de la terre. Je pense cependant, à l’instar d’Alain Finkielkraut, que tout ne se vaut pas en ce bas monde. On pourra relire, à toutes fins utiles, La défaite de la pensée, son essai contre le relativisme culturel paru en 1987 (disponible chez Folio) et toujours brûlant d’actualité.
Après une petite plongée dans l’univers d’Orelsan, on pourra également réécouter en guise de désintoxication un certain Renaud (qui n’a pas écrit que des bluettes même si la chanson Crève Salope visait la société et non les femmes) et son célèbre Miss Magie. Petit extrait de l’émouvant hommage rendue à la gent féminine sur l’album Mistral Gagnant (1985) :
« Femme je t’aime parce que
Une bagnole entre les pognes
Tu n’ deviens pas aussi con que
Ces pauvres tarés qui se cognent
Pour un phare un peu amoché
Ou pour un doigt tendu bien haut
Y’en a qui vont jusqu’à flinguer
Pour sauver leur autoradio
Le bras d’honneur de ces cons-là
Aucune femme n’est assez vulgaire
Pour l’employer à tour de bras
A part peut être Madame Thatcher
(…)
Femme je t’aime surtout enfin
Pour ta faiblesse et pour tes yeux
Quand la force de l’homme ne tient
Que dans son flingue ou dans sa queue
Et quand viendra l’heure dernière,
L’enfer s’ra peuplé de crétins
Jouant au foot ou à la guerre,
A celui qui pisse le plus loin
Moi je me changerai en chien si je peux rester sur la Terre
Et comme réverbère quotidien
Je m’offrirai Madame Thatcher »
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