Afghanistan : rien ne va plus
Tout a été dit sur l’Afghanistan. En six ans de guerre, les débats n’ont pas manqué. Ce qui manque, comme toujours dans un conflit inabouti, c’est la synthèse, c’est à dire la stratégie globale. Toute guerre, et en particulier celles qui visent la « pacification d’un territoire », exige quelques préalables, avant même le début des hostilités, une constante évaluation concrète de l’historique de la guerre elle même, et un objectif clair et largement assumé du côté de l’assaillant. Dans une « guerre de territoire », il n’y a pas d’espaces neutres et pacifiés, aussi bien sur les champs opérationnels que sur l’arrière pays, les fameux sanctuaires. Toute armée se doit d’avoir un commandement unifié et centralisé, une harmonisation des troupes et une coordination de leur mission. L’accompagnement civil doit, lui aussi être unifié, planifié et agissant pour un but commun, clair, et pleinement assumé. Toute contradiction s’insérant au sein de ce dispositif devient matrice de « points faibles », d’inorganisation et de contestation. L’ensemble de ces facteurs en Afghanistan reste caduque : Des préalables à la gestion civile et militaire, des casus belli à l’objectif militaire, tout est corrompu, soit d’emblée, soit pendant le déroulement du conflit.
Les objectifs du conflit ont vieillit plus vite que le conflit lui-même. Pire, faute d’aboutir à un résultat probant, ces derniers ont fini par se perdre dans des discours généralisateurs et pompeux, à se diversifier, à s’affaiblir au point de tuer, si jamais il était vivant, le consensus chez l’intervenant. Ce dernier était multiple, et les raisons politiques géopolitiques et d’engagement l’étaient donc aussi.
Pour les uns (USA), il s’agissait d’en finir avec le terrorisme wahhabite et ses zélateurs, d’effacer l’affront des attentats du 11 septembre, de neutraliser Ben Laden et son organisation. Celle ci était considérée comme transnationale, globale (évaluation juste) mais dépendant d’un chef suprême agissant depuis l’Afghanistan ( évaluation inexacte). En conséquence on a définit une zone prioritaire de conflit (Afghanistan) sans toucher l’arrière pays symbolique financier ou purement militaire (Péninsule arabique, Pakistan, Territoires autonomes). Or, d’après l’objectif énoncé, c’est par là qu’il aurait fallut commencer. On ne cherche pas ses sous là ou il y a de la lumière, mais là où on les a perdus. On ne joue pas aux échec quand l’adversaire pratique le jeu de Gô.
Pour les autres, avec des variantes multiples, il s’agissait de faire la démonstration, en s’engageant, de la différence existant entre une guerre juste (Afghanistan) et une autre injuste (Iraq). Il fallait en effet prouver que l’on peut être fidèle et critique en même temps. Que l’on sait hiérarchiser, fignoler, bien identifier les menaces.
Or, depuis le début du conflit iraquien jusqu’aux impasses afghanes, le temps a coulé. Ne s’étant pas débarrassés de l’ennemi principal (Al Quaida et de ses chefs) on a voulu pacifier et « démocratiser » un espace sensé le soutenir. Pour cela on a ouvert un front « idéologique » mettant en opposition une période historique (Moyen Age européen) à une valeur occidentale (démocratie). Il ne s’agissait plus de combattre le fondamentalisme wahhabite « perverti » mais d’instaurer une démocratie modèle en Afghanistan. D’un objectif tactique on est passé à une croisade normative. Cependant, cette croisade reste au niveau restreint du local et du symbolique. On refuse la guerre des civilisations, on oublie le Pakistan et l’Arabie, on transige avec les territoires autonomes, on s’allie avec des fondamentalistes (chefs de clan) pour en finir avec d’autres, les talibans. Une fois encore, l’urgence avec la quelle a été « déclaré » le conflit reste la raison principale de son permanence. Cette lacune géopolitique au niveau de l’idéologie et des objectifs se traduit ainsi au niveau militaire d’occupation de l’espace concerné et de sa gestion civile.
Les militaires ça sert à faire la guerre
En l’espace de quelque décennies nous sommes passé d’un concept guerrier (pacifier) à un concept idéologique, celui du « soldat de la paix ». La société civile occidentale, elle même en paix, ne conçoit de guerre que celle qui impose la paix, isole les troublions terroristes, se met en tampon entre des guerriers qui veulent en découdre et qui semblent sortir d’un autre âge (Yougoslavie, Somalie, etc.). Pour l’occident il n’y a de guerre que dans les consoles vidéo. Quiconque voudrait en faire une est tout simplement hors temps. La motivation et l’idéologie belliciste sont niés, ce qui n’empêche en rien l’occident de décider d’en faire. Mais il doit impérativement les déconnecter de toute velléité guerrière, de tout intérêt propre, bref il n’existe pour lui que des guerres défensives ou humanitaires. Si « on va quelque part » c’est pour sauver, démocratiser, aider, voire se sacrifier au nom de la paix universelle. Les martiens (USA) et les vénusiens (Europe), pour reprendre les termes de néoconservateur Kagan ont un point commun : les soldats , ça sert à imposer la paix. Thucydide, paradoxalement adulé par les néocons, disait « toute action est commandée par un intérêt ». « Toute action, pour réussir, doit être intelligente et par conséquent morale, faute de quoi, elle échoue ». Nier la réalité de l’Autre n’est pas très intelligent et la morale découle de l’intelligence, n’est pas un préalable abstrait. Bref, les hommes issus de Mars et ceux d’Aphrodite partent ensemble en guerre, chacun avec ses certitudes, ses commandements, ses objectifs. Si la guerre est une, elle est menée différemment par les uns et les autres. L’objectif idéologique consiste à démontrer que l’ensemble des nations qui composent l’alliance est soudé. L’objectif militaire consiste à harmoniser et à coordonner des forces qui pensent différemment. Avec des idées et des arrières pensées différentes voire divergentes. Ainsi, les soldats participent, comme les seigneurs de la guerre, les talibans et les chefs de clan qu’ils ont en face, à l’éclatement d’un territoire qu’ils ont comme objectif déclaré d’unifier. C’est le prix à payer à cette « unité idéologique œcuménique affirmée ». La dynamique guerrière, contesté de plus en plus par l’arrière du front occidental qui ne comprend pas pourquoi elle traîne, pourquoi ses chefs militaires conçoivent une défaite, pourquoi la modernité et la technicité démocratiques ne l’emportent pas contre la féodalité moyenâgeuse introduit à son tour la notion d’urgence, consciente que « l’opinion publique » flanche. Déjà, l’offensive du Têt, sonnait la fin de la guerre au Vietnam rendant clair pour les citoyens américains que la guerre, comme disait Churchill était une promesse de « peines et de larmes » dont « on n’était qu’à la fin du début » . Et la question que se pose aujourd’hui l’homme occidental devient : tout ça pour ça ? On revient ainsi à l’énoncé scellé par une urgence tactique : tuer Ben Laden, et on ne comprend surtout pas pourquoi les soldats de l’occident meurent pour que Kaboul organise des élections truquées. Et que cela « constitue un grand progrès pour la démocratie en Afghanistan ». Mais qui exige la démocratie dans ce pays ? Certainement pas le citoyen occidental. Surtout si il doit mourir pour cela. Soit sur le terrain, soit dans ses propres rues en s’injectant de l’héroïne, autre variante des causes disparates surgissant de cette guerre et promesse non tenue, loin de là. Comment en effet expliquer que les soldats de la paix, non seulement n’arrivent pas à se débarrasser de quelques fous de dieux mais qu’en sus, ils s’allient avec les producteurs d’opium pour se débarrasser des talibans qui l’avaient, eux, prescrit.
La gestion civile n’est pas un menu à la carte
Un clan c’est un puits. En d’autres termes, un territoire et de la rente. Au-delà de la nécessité d’un leadership et de valeurs transcendantes, on ne peut fédérer les clans qu’à deux conditions : les associer, au sein de leur territoire, à un pouvoir unifié et unique et leur redistribuer de la rente. Mais le pouvoir est loin d’être unifié : gouvernement central, chefs de région à large autonomie, Nations Unies aux agences multiples, armées diverses d’occupation aux habitudes, certitudes et attitudes très différentes, ONG qui en font tout autant, administrations parallèles, armées privées par où le scandale arrive, nouvelle armée « nationale » mais constituée de clans opposés, idem pour les autres forces de sécurité (police), entreprises privées protégées par des armées privées, etc. Ainsi, l’éclatement du pouvoir institutionnel devient le miroir d’un pouvoir insurrectionnel multiple certes, mais qui, lui, est idéologiquement, historiquement et culturellement unifié.
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