Ah qu’il est joli, l’avenir promis par la MAIF aux « jeunes retraités » !
L’assureur mutualiste MAIF vient de diffuser une feuille recto-verso intitulée « Lettre d’infos aux futurs et jeunes retraités ». Elle passe en revue toutes les activités susceptibles de donner lieu à un versement de cotisation en échange d’une garantie contre les risques encourus.

En cherchant bien, le monde est si inhospitalier que les dangers menacent de partout : les accidents de la route bien sûr et les pannes de véhicules qui ne préviennent pas, mais aussi les accidents domestiques de toute nature. S’y ajoutent les crédits pour investir dans ses rêves de toujours - et Dieu sait si on rêve ! - sans oublier la naturelle entraide familiale au profit de ses enfants ou petits-enfants et de ses vieux parents qu’il faut aider à « bien vieillir ».
Une vie pleine d’assurances
Rien que de plus normal pour un assureur qui cherche à encaisser le plus de cotisations possibles ! On peut même être admiratif de le voir si inventif pour « couvrir » la vie quotidienne d’un filet de protection si complet. On peut l’être un peu moins en découvrant un mode d’existence devenu à ce point dépendant d’un assureur. Car on finit par se laisser persuader que le moindre risque ne saurait être pris sans être « couvert » par une assurance. Le réflexe inné de la peur est habilement stimulé.
La surprise de cette « Lettre d’infos aux futurs et jeunes retraités » vient d’ailleurs, d’un carré un peu plus discret dans le coin droit de la première page. Le souffle de vie nouvelle prêté au « jeunes retraités » en est soudain et définitivement coupé ! L’adjectif « jeunes », par son ambiguïté volontaire, n’était qu’une misérable flatterie, car antéposé ou postposé, l’adjectif change de sens : de « jeunes retraités » sont des gens qui viennent de prendre leur retraite, quand des « retraités jeunes » sont des gens qui malgré l’âge de la retraite sont encore jeunes. D’une certaine façon, l’assureur a raison : l’espérance de vie aujourd’hui a favorisé une validité prolongée.
Une retraite, antichambre de la mort ?
Mais alors pourquoi l’assureur se contredit-il et détruit-il cette si alléchante représentation de la retraite par un encart qui invite « les jeunes retraités » à « préparer leurs obsèques » ? Se serait-il laissé aveugler par l’appât du gain qui entend « ne laisser nulle place où la main ne passe et repasse » pour tirer profit non seulement de l’activité humaine mais aussi de son interruption ? On ne voit pas d’autre raison.
En tout cas, cette mise en perspective d’une retraite présentée comme un âge d’or ne pouvait être mieux ruinée. Que la mort soit l’aboutissement de la vie, ce n’est pas nouveau. Ce qui l’est, c’est qu’elle soit source de profits. Il est vrai que, dans son aptitude à stimuler le réflexe de la peur, un assureur n’allait pas laisser passer l’occasion. La stimulation du réflexe de culpabilité vient d’ailleurs utilement seconder celui de la peur. Il s’agit de faire croire que de se préoccuper de ses obsèques est un acte d’amour envers ses proches.
Un renversement civilisationnel
On ne peut manquer d’observer le renversement civilisationnel que cela implique. Autrefois, c’était le contraire. Veiller à la sépulture d’un proche était une preuve d’affection ou à défaut une obligation : on parlait de rendre au défunt « les derniers devoirs ». L’anthropologie a même retenu la sépulture, à l’instar des traces de foyer, comme une marque distinctive qui différencie les hommes du monde animal.
Il y 25 siècles, le grand Sophocle a choisi précisément ce devoir immémorial comme objet du conflit qui oppose le roi Créon à sa nièce Antigone. Celle-ci a osé transgresser son interdiction d’accorder une sépulture à Polynice son frère. Antigone lui conteste ce droit « de violer les lois divines, lois non écrites mais intangibles » « en vigueur depuis les origines (...) » au point que « leur désobéir par un lâche respect pour l’autorité d’un homme », c’est « encourir la rigueur des dieux ».
Si Polynice avait connu la MAIF et les autres assureurs, il aurait épargné bien des déboires à sa sœur, il aurait « préparé ses obsèques » et Antigone n’aurait pas été enterrée vivante pour avoir rendu à son frère les derniers devoirs qui lui étaient dus.
Un manque de discernement ?
Cette inscription de la retraite dans l’allée qui mène à ses obsèques, représente accessoirement une autre faute de discernement. Il suffit d’écouter parler l’octogénaire de Jean de La Fontaine raillé par trois jeunes hommes quand ils le voient planter un arbre ; et l’espérance de vie au XVIIe siècle était loin d’être celle d’aujourd’hui !
« Passe encore de bâtir ; mais planter à cet âge ! » s’esclaffent « les jouvenceaux » : « À quoi bon charger votre vie / Des soins d’un avenir qui n’est pas fait pour vous. / Ne songez désormais qu’à vos erreurs passées ; / Quittez le long espoir et les vastes pensées ; / Tout cela ne convient qu’à nous. » Et le vieillard de les renvoyer à leur inconscience : « Je puis enfin compter l’aurore / Plus d’une fois sur vos tombeaux. » Et c’est ce qui arrive : l’un des jeunes hommes se noie bientôt, l’autre meurt à la guerre et le troisième tombe d’un arbre, laissant le soin au vieillard de « graver sur leur marbre » ce que « (l’on) vient de raconter ».
La MAIF se prévaut d’être un « assureur militant ». On aurait donc pu attendre de sa part qu’elle fît preuve de plus de culture et donc de discernement et de tact, en laissant aux « nécrophages » le bon goût d’appeler les « jeunes retraités » à « préparer leurs obsèques ».
Paul Villach
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