Alain Soral et l’helléno-christianisme
La performance est celle d'un funambule, à la fois pressé par la crainte du mince vide en contrebas qui suffirait à avoir raison de lui, et d'autre part trop content d'exhiber le talent qui lui permet de franchir sans trébucher de la corde ténue qui le soutient. L'habileté fameuse du sophiste funambule stupéfie le spectateur moyen ; dans un autre registre, le plat de résistance que nous offre le funambule narcissique entiché de sa propre gloire serait celui de quelqu'un qui aurait rassemblé, à partir d'un réfrigérateur, et selon son bon vouloir, des aliments de toutes sortes, avariés, sains, d'autres n'ayant rien à faire dans la composition. La séquence dure environ deux minutes et quarante-cinq secondes, elle a été publiée le 3 décembre 2014, elle se fond dans la dernière interview vidéo d'ERTV donnant la parole au président-fondateur de Egalité et Réconciliation Alain Soral. Dans une posture d'orateur talentueux dont il est coutumier, le funambule ou cuisinier, c'est selon, aux propriétés hallucinogènes (funambulisme) ou capacités culinaires de premier choix (frites belges au coulis de Nutella) va s'adonner à un habile plaidoyer plus sophistique que de coutume mais, déjà plus intelligible que l'ostensible satisfaction qu'il affichera plus tard au sujet de son selfie déshonorant (peut-être mi-héllénique, mi-libertaire).
Sur fond d'une mélodie de Brassens (Mélanie), il est spécifié par un intitulé que tout ce qui saurait être dit dans la séquence suivante relève de : « La France, ses traditions, ses coutumes, ses mœurs. » suivie plus bas d'un impérieux, froid et intimidant « autre petit rappel ». Le président-fondateur sera le temps d'une courte déclamation, et à lui seul, la France, millénaire, fille aînée de l'Eglise. À travers un formidable empilement d'anecdotes, la tradition française se voit hachée, dévoyée, l'histoire de la nation subit la charcuterie du moderne-anti-moderne-mais-moderne-quand-même. Point d'essence pascalienne ou augustinienne, la France est abaissée à une vile représentation de Gaulois entrechoquant leurs gobelets en éructant gaiement. C'est à tout le moins l'image qui nous saisit lorsque le propos en question est flanqué simultanément d'une illustration de la bande dessinée Astérix et Obélix nous montrant des villageois gaulois attablés autour de la ripaille. Cette trivialité émoustillant l'affect est de bon goût pour égayer l'atmosphère, mais il en va autrement lorsqu'il s'agit d'orienter l'histoire à des fins politiques et idéologiques.
J'ai supposé des qualités de funambule chez Soral, pour les besoins de ma comparaison, car lorsque le personnage manque de virer dangereusement sur un flanc et de se livrer au vide qu'il a trop cherché par sa brusquerie, il lui faut chercher un équilibre et démontrer au public qu'il est droit (toujours selon la même métaphore). S'apercevant de l'indélicatesse primitive et rustre de son « Donc je rappelle que nous sommes en France, pays gaulois, de la joie de vivre, de la bouffe et de la baise, j'ose le dire. » Le selfiste quinquagénaire va édulcorer son assertion déformante et méprisante par une parade digne d'un Joe Hart ou d'un Hugo LLoris :
« Nous sommes aussi dans un pays, effectivement, de tradition helléno-chrétienne, et je rappelle que hélléno-chrétien ça renvoie aux Grecs, donc à la statuaire grecque et à la valorisation et à la mise en scène esthétique du corps de l'homme et de la femme. »
Il faut tout de même bon de savoir que la tradition hellénique recouvre un grand nombre de courants philosophiques et qu'à leur époque Socrate et Platon étaient marginaux et environnés de matérialistes et d'atomistes, qu'il existait une multitude de sectes qui donneront des écoles de pensée radicalement opposées comme le néoplatonisme et le stoïcisme (qui influencèrent le christianisme naissant) d'un côté et l'épicurisme d'un autre, cette dernière étant l'une des influences majeures du monde occidental puis entier. Nul besoin d'un cursus de philo pour comprendre que des sculptures de pierre suscitaient moins de répugnance que l'exhibition effrontée au vu et au su des dieux et que cet art fameux évoquait des récits et des légendes. Il est probable qu'Alain Soral tente par son affirmation de faire un parallèle spécieux entre la nudité et l'ouverture à la fornication. Au pays des rationalistes, les idiots sont rois. Le président-fondateur d'E&R ira même jusqu'à s'offrir le luxe (ou la luxure) de rappeler que le catholicisme ne pousse pas à la haine du corps, sophisme s'il en est puisque la religion catholique ne condamne que la luxure et la fornication et d'aucunes manières la contemplation et la rêverie.
La grande figure de l'histoire de France Blaise Pascal, que le selfiste quinqua semble oublier lorsqu'il est question de catholicisme et de religion, moraliste et mathématicien, avait ces mots :
« Ceux qui sont dans le dérèglement disent à ceux qui sont dans l'ordre, que ce sont eux qui s'éloignent de la nature, et ils la croient suivre. (Blaise Pascal, Pensées)
En adjoignant le spiritualisme chrétien, qui tient en horreur la vanité et les plaisirs déréglés, au naturalisme hellénique, qui est un matérialisme avéré puisque les Grecs n'avaient aucune des notions telles que la Rédemption des chrétiens ou le Karma des Bouddhistes et des Hindouistes, Soral donne une caution à ses turpitudes narcissiques dont il tire une grande fierté (« je suis Alain Soral, qui aime les femmes et aimé des femmes »). Il faut être très clair sur ce point, j'aime aussi les femmes, quantité d'hommes aiment les femmes, mais beaucoup connaissent le Ciel avant leurs désirs. Autre point qu'il faut clarifier, tout le monde n'est pas beau et n'est pas gentil, d'aucuns violent les principes auxquels ils croient fermement (comme l'abstinence), ce qui n'enlève rien à la pureté des principes en eux-mêmes.
« Helléno-chrétien » qu'il disait ? Faisons appel une nouvelle fois à Blaise Pascal héritier spirituel de Saint-Augustin (père de l'Église) :
« Il y en a qui voient bien qu'il n'y a pas d'autre ennemi de l'homme que la concupiscence qui le détourne de Dieu, ni d'autre bien que Dieu, et non pas une terre fertile. Ceux qui croient que le bien de l'homme est en la chair, et le mal en ce qui le détourne des plaisirs des sens ; qu'ils s'en saoulent, et qu'ils y meurent. Mais ceux qui cherchent Dieu de tout leur cœur, qui n'ont de déplaisir que d'être privés de sa vue, qui n'ont de désir que pour le posséder, et d'ennemis que ceux qui les en détournent, qu'ils s'affligent de se voir environnés et dominés de tels ennemis ; qu'ils se consolent ; il y a un libérateur pour eux ; il y a un Dieu pour eux. Un Messie a été promis pour délivrer des ennemis ; et il en est venu un pour délivrer des iniquités, mais non pas des ennemis. » (Blaise Pascal, Pensées)
Attachons-nous à la conclusion de Pascal « Un Messie a été promis pour délivrer des ennemis ; et il en est venu un pour délivrer des iniquités, mais non pas des ennemis. » Il existe donc pour les chrétiens un Messie appelé à les libérer de leurs passions (comme le selfie cul-nue) et un autre pour les tromper par un humanisme athéisant (« pour délivrer des iniquités »). Où est l'hellénisme-christianisme sauf dans le tandem Plotin-Augustin ? Deux grandes figures de l'histoire occidentale qui méprisaient ce dont Soral le funambule et chef étoilé (frite belges au coulis de Nutella) s'enorgueillit. Faire convoler les Folies Bergères, le néoplatonisme et le selfie-instagram est un défi au bon sens mais pas chez Soral, capable de faire avaler des frites belges au coulis de nutella à ses fidèles. Il n'y a de ma part qu'un constat de la duplicité soralienne, je suis un ardent défenseur de l'émancipation individuelle dont peut émerger sainement le respect des valeurs morales et chrétiennes-sans-les-dogmes-patriarcaux ou alors au contraire, et bien plus souvent, l'extrême opposé qui est le libertarianisme et la profusion de désordre moraux qui s'en accompagnent.
On en regretterait presque qu'il n'existe pas un zapping des âneries du net lorsque Soral, continuant son apologie de la nudité (qui semble apparemment toujours lié à la fornication), va pointer du doigt l'Afrique pour appuyer son propos. S'ensuit un défilement d'image mettant en valeur la « plastique de rêve » des Noubas du Soudan, les déhanchements des aborigènes nous éclairent immédiatement sur les inclinations naturistes du funambule (et cuistot : marxiste-catho-natio-hélléniste-libertaire). Il est évident pour notre selfiste que les Noubas sont à l'image de toute l'Afrique ; du Sénégal à la Somalie, de la Côte d'Ivoire à la Namibie, on se déplace fesses au vent avec allégresse. Il est tout à fait compréhensible de porter un regard coloré par son éducation sur le monde extra-européen mais après l'affaire Binti, cette plaisanterie sur les Africains, qui n'en était certainement pas une pour le dissident selfiste atteste d'une certaine fatigue de la psychologie. Soral a aussi la subtilité de mentionner la photographe partie à la rencontre du peuple Noubas, la propagandiste nazie Leni Riefenstahl.
Par une habile entourloupe, Alain Soral vilipendera, dans l'instant qui suit la séquence « sexy » des Noubas, les protestants anglo-saxons pour leur puritanisme, qui d'après l'essayiste propage cette influence à travers leur hégémonie culturelle et font (et furent) du tort à une France joyeuse presque « pigallisée ». C'est une inversion complète, les Anglo-saxons ayant inventé les plus graves atteintes au puritanisme à travers l'industrie du divertissement, les mouvements libertaires des années 60, la pornographie, les jeux télés exaltant l'amour de l'argent et des richesses matérielles, etc. Il est presque paradoxal que l'athéisme ne s'élève qu'à 5 % aux Etats-Unis et que dans ce même pays, selon Wikipédia : « Les athées sont la « communauté » qui inspire la plus grande méfiance, devant les musulmans ou les homosexuels. Cette tendance est nettement moins prononcée sur les côtes est et ouest du pays et parmi les couches les plus éduquées de la population. »
Pour percer à jour la psychologie de Soral, ébranlé quelques semaines auparavant par une affaire de mœurs et de selfie, il suffit de faire un arrêt sur image sur le portrait de Henri IV dont Soral, dans le même temps, vante les 73 conquêtes féminines. On peut faire une nouvelle fois appel à Blaise Pascal pour enseigner à Alain Soral que les principes chrétiens sont inamovibles quel que soit l'homme, et puisque le catholicisme constitue sa nouvelle antienne :
« Qu'on en fasse l'épreuve ; qu'on laisse un Roi tout seul, sans aucune satisfaction des sens, sans aucun soin dans l'esprit, sans compagnie, penser à soi tout à loisir ; et l'on verra, qu'un Roi qui se voit, est un homme plein de misères, et qui les ressent comme un autre. Aussi, on évite cela soigneusement, et il ne manque jamais d'y avoir auprès des personnes des Rois un grand nombre de gens qui veillent à faire succéder le divertissement aux affaires, et qui observent tout le temps de leur loisir, pour leur fournir des plaisirs et des jeux, en sorte qu'il n'y ait point de vide. C'est-à-dire, qu'ils sont environnés de personnes, qui ont un soin merveilleux de prendre garde que le Roi ne soit seul, et en état de penser à soi ; sachant qu'il sera malheureux, tout Roi qu'il est, s'il y pense. » (Blaise Pascal, Pensées)
Tout au long de l'entrevue, Soral stigmatise une autre personnalité de la dissidence, Salim Laibi. Dans la séquence qui nous intéresse le chirurgien-dentiste est pratiquement assimilé à un intégriste et devrait aller se faire voir dans l'Etat Islamiste. L'intégrisme est donc associé uniquement à l'Islam, or les principes du catholicisme sont intégristes – Savonarole et son bûcher des vanités à Florence en 1497, - sauf que Soral est un cuistot du dimanche, avec lui c'est frites belges au coulis de Nutella matin, midi et soir. Le jour c'est lecture à fond du Nouveau Testament et le soir selfie au sortir de la douche. Soral et Laibi c'est un peu Montaigne et Pascal, le second ayant vivement critiqué le premier pour avoir déshonoré les catholiques en propageant des idées païennes dans ses écrits. Il faudra un Voltaire pour réhabiliter en bonne et due forme le bonhomme.
En dépit des contradictions qui existent entre catholicisme et paganisme - notamment l'épicurisme (en réalité dévoyé par les hédonistes modernes) et le naturalisme dédaigneux de la transcendance - Alain Soral cherche à concilier ces courants. Il est reconnu que les néoplatoniciens et les stoïciens ont influencé les principes primordiaux du christianisme, ainsi seules ces philosophies peuvent représenter un véritable courant helléno-chrétien. Les vieux relents marxistes ne cèdent pas facilement à cette approche, comprenne qui pourra, la démagogie mâtinée de progressisme s'y joignant avec alacrité.
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