Allègre, l’intellectuel tout cuit
Dans une interview à « Libération », Claude Allègre revient sur ses visites récentes au QG de Nicolas Sarkozy, confirmant l’offre d’un ministère et une vision de la politique assez particulière (comme « vendre un projet à Jospin »). Avec Claude Allègre, venu lui aussi assez tôt au bassinet, Nicolas Sarkozy n’était pas vraiment aidé. Allègre possède cette capacité rare à prendre martel en tête sur des sujets les plus divers, à se convaincre lui-même de ses dires pour mieux tenter de les régurgiter après auprès du public. Parfois par intérêt, parfois par méconnaissance. Sa suffisance lui permettant de tenir les deux avec le même aplomb. C’est sa grande force, mais c’est aussi pour ça qu’il sait se montrer parfois ridicule. Et l’exposition actuelle de sa vindicte à l’égard de la direction du PS n’et pas faite pour aider ce PS auquel il estime encore devoir adhérer. Mais cela, M. Allègre s’en fiche. Il se prend pour celui qui a tout compris (seul !) depuis trop longtemps maintenant pour vouloir changer de personnage. Claude Allègre joue tout seul dans la catégorie dinosaure politique, en réalité. Sans s’apercevoir que le météore Sarkozy vient de tomber à côté de lui.
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Le fait de lui demander un rapport sur l’état de l’université est la preuve que M. Sarkozy ignore l’existence de deux autres rapports déjà faits par notre trublion de service : un sur l’amiante et un sur le réchauffement climatique. Pour le premier, on en connaît déjà les ravages dans le détail, pour l’autre, on n’en pas la pleine conclusion, mais on s’en doute plus que fortement. Dans les deux cas, les rapports signés Allègre, eux, sont scientifiquement... faux.
Claude Allègre le scientifique chimiste et minéralogiste de formation (il est Prix Crafoord et médaille d’or du CNRS) a défendu en son temps l’industrie de l’amiante. Mais cela s’explique très facilement, l’Institut de la physique du globe dirigé par Allègre était alors en grande partie financé par Eternit, le nom commercial des produits amiantés dont le représentant le plus connu sont les plaques ondulés de "fibro-ciment." Allègre, en défendant l’inocuité de l’amiante ne faisait pas œuvre de scientifique, mais protégeait avant tout son principal bailleur de fond, avec un certain cynisme, tant on sait aujourd’hui les ravages du matériau sur le genre humain.
Il a occupé galement le poste prestigieux de président du conseil d’administration du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM). Lorsque le problème de l’amiante commençait à exploser dans les médias, le futur ministre socialiste avait fait paraître dans "Le Point" du 19 octobre 1996 au nom du BRGM un article extrêmement critique à l’égard d’un rapport de l’Inserm démontrant les dangers de l’amiante : "Quant au rapport demandé à l’Inserm, qu’il me soit permis de dire qu’il ne brille ni par la rigueur scientifique, ni par le courage, ni par l’esprit d’initiative scientifique". Pour ajouter en interview radio le lendemain : "C’est nul. Ce rapport n’est pas bon scientifiquement". Voilà qui était plutôt net, comme opinion tranchée, mais sans argumentaire. Tout le contraire, donc, d’un esprit et d’une démarche scientifique. Une autre forme de négationnisme, tout simplement.
Le professeur Goldberg, directeur de l’unité 88 de L’INSERM, spécialiste de santé publique et d’épidémiologie sociale et économique, et auteur avec Denis Hémon du rapport incriminé, avait repris point par point les études épidémiologiques citées par Claude Allègre et en avait démontré aisément les erreurs et les omissions, notamment lorsque celui-ci affirmait qu’on ne trouvait rien de significatif chez les femmes vivant près des mines d’amiante de Thedford ou d’Asbestos, au Canada, deux sites de contamination cités en exemple par Allègre. "En fait, leur risque de mésothéliome est multiplié par dix", constatait sans ambage Goldberg, qui affirmait dés lors qu’il s’agit d’une pandémie à venir, pas moins. Ce que pensent aussi aujourd’hui les victimes françaises, venues manifester récemment à Douai contre la baisse de leurs indemnités. Ils étaient là aussi pour se rappeler au bon souvenir d’Allègre, qui le même jour... se faisait pincer au sortir du QG de Nicolas Sarkozy, à l’arrière de l’entrée officielle. Et pas pour lui proposer d’équiper tous les toits de Neuilly en plaques de fibro-ciment, je suppose.
La deuxième prise de position tonitruante est encore plus grotesque : elle concerne le réchauffement climatique, auquel ne croit pas, tout simplement, notre spécialiste de l’Eternit. Tout démarre avec le Kilimandjaro, et ses neiges éternelles, fort "déplumées" comme le dit Allègre le 21 novembre 2006 dans l’Express..Une position sappée par les gouvernements eux-mêmes, y compris la France, qui sur son site scientifique gouvernemental, qui reprend les thèses de Gérard Mégie, chercheur récemment décédé et président du CNRS. Les conclusions fort hâtives de Claude Allègre en font un peu le Steevie Boulay de la climatologie. Un autre grand intellectuel, Gérard d’Or 2006. La haute pensée de Claude Allègre, elle, se situe donc au-dessus des gouvernements, ou au-dessus de celle d’un ancien vice président américiain, Al Gore, pourtant unanimement salué dans le monde pour son film "Une vérité qui dérange".
En réalité, Allègre court depuis des années après ce qu’il n’est pas réellement : un intellectuel. Et ce qu’il y a d’amusant, c’est qu’il l’a même écrit, en 2201 dans une chronique de "l’Express" : "Le crépuscule de l’intellectuel cru". "La revue "Le Débat", Régis Debray, tous s’y mettent pour annoncer, non pas la fin de l’Histoire, mais celle des intellectuels « gourous » de la politique". Annonce t-il en préambule. Pour tout de suite s’en exclure "Peu enclin à la signature de pétitions à répétition ou de déclarations fracassantes sur les horreurs commises à l’autre bout du monde, j’ai scrupule à entrer dans le débat." Or, on le sait, ça c’est plutôt sa façon d’être habituelle, celle des deux grands et lourds pieds dans le plat, il suffit de se rappeler l’épisode désolant du mammouth graisseux. Pour se reprendre et déclarer "Non, l’intellectuel inspirateur de la politique n’est ni mort ni agonisant. Il est en mutation, voire en métamorphose". Comme Allègre, qui n’arrête pas de muter : en 2001 il évoque déjà l’effet de serre, en 2006 il le minimalise. En 2001 il peut paraître précurseur, en 2006 il ne l’est plus. C’est toute la différence chez quelqu’un qui ne recherche qu’une notoriété, fusse-t-elle à coups de mensonges. Allègre fait dans le scoop, quand cela l’arrange.
"Les débats d’aujourd’hui concernent la bioéthique, l’effet de serre, les OGM, l’énergie nucléaire ou non, la cognitique ; comment en parler, comment les analyser quand on ignore tout des principes qui les fondent ?" S’inquiète Claude Allègre toujours dans le même texte. Lui sait, bien entendu, lui, le grand scientifique qui a déclaré que l’Eternit était sans danger, il sait, il connaît, c’est toute la science qui est en lui. Claude Allègre est Monsieur Je-sais-tout, avant tout imbu de lui-même. Enfin, c’est lui qui le dit. Et qui le clame très fort, avec le coffre et l’assurance qu’on lui connaît. C’est simple : lui seul détient la vérité sur la planète.
Un personnage, donc, pour résumer, qui souhaite déjà en 2001 servir un nouvel animal politique, lui, l’autodéclaré intellectuel de service "car l’homme politique n’a pas le temps de penser. Il agit, il réagit, il réfléchit. Il règle les affaires du monde dans les créneaux de la possibilité, il gère, il fait des « coups », il cède à la rue, il scrute les sondages d’opinion. Pris dans le tourbillon de la vie moderne et de son emploi du temps surchargé, il ne peut guère échafauder sereinement une doctrine. L’homme politique écrit l’Histoire au jour le jour, sans avoir le temps d’en évaluer la perspective et d’en mesurer le sens historique profond". Il n’est peut-être pas bon en climatologie, mai il est bon en descriptive d’homme politique : six ans avant son arrivée au pouvoir, Allègre décrivait point par point... Nicolas Sarkozy, l’homme pressé. Un homme tellement pressé doit obligatoirement s’appuyer sur de grands esprits scientifiques, c’est la rhétorique implacable d’Allègre. "Non, la période actuelle n’est pas celle de la mort des intellectuels, c’est l’agonie d’une conception illusoire d’un intellectuel intrinsèque qui croyait pouvoir guider le monde par la puissance du seul raisonnement, une sorte d’intellectuel propriétaire de la sagesse universelle. L’intellectuel authentique, sans apprêt ou spécialité, en somme, l’intellectuel cru". Ce que n’est pas non plus Claude Allègre, jargonneur et bonimenteur, voire bateleur scientifique moderne, vulgarisateur déguisé en "intellectuel authentique". Persuadé d’être le phare scientifique éclairant le peuple, le puits de science où un président va plonger son seau, obligatoirement. Lui nous paraît aujourd’hui plutôt... cuit. Complètement cuit.
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