American Black Box
Toute personne aimant le débat d’idées, la polémique et la lecture ne peut que tomber un jour ou l’autre sur un livre de cet Ostrogoth de la littérature qu’est Maurice G. Dantec.
Pour moi c’est fait. Je viens d’ingurgiter les quelques 700 pages d’American Black Box, le dernier volume de son journal en forme de trilogie, intitulé Le Théâtre des opérations.
Par une coïncidence étrange j’ai sur ma table au même moment L’Homme révolté d’Albert Camus, dont le titre aurait tout aussi bien pu convenir à l’ouvrage de Dantec, tant le sujet en est proche et tant il contient d’imprécations contre les inconséquences et les absurdités du monde contemporain.
A ceci près que Camus situait sa réflexion dans le champ de la philosophie, tandis que Dantec, lui, accouche d’un pamphlet énorme, massif, impétueux et vindicatif. Et si la forme est différente, le fond l’est également à bien des égards. A l’agnosticisme religieux, et à la désillusion politique de Camus, Dantec oppose en effet « le corps glorieux du Christ » et le retour aux sources des valeurs occidentales traditionnelles.
N’empêche, les constats contiennent des similitudes. Notamment au sujet de l’inanité des idéologies et de la démission de l’opinion publique face à leurs diktats mortifères.
Dantec annonce d’emblée la couleur : « Ce livre est l’enfant du chaos », « le chaos laissé par la dévolution de la pensée, par la peur, la haine de soi, le ressentiment, la culpabilité, et les divers étrons idéologiques qui font de la France ce pays qui est sorti définitivement de l’Histoire pour entrer dans l’âge des postures culturelles et des impostures politiques à grande échelle. » Tel un nouveau saint Georges, il entreprend donc de terrasser les dragons de notre époque, au premier rang desquels figurent l’islamisme radical, l’antiaméricanisme primaire et le nihilisme « zéropéen ».
Primum movens
des périls qui menacent aujourd’hui le monde, l’islam est selon lui une
religion fondamentalement perverse : « Il n’y a pas d’islam militant et
d’islam modéré. Il n’y a que des variations d’intensité. Les lois
coraniques ne peuvent être adoucies que très provisoirement. » Et le
danger est gravement sous-estimé : « L’aveuglement des nihilistes
occidentaux au sujet de l’islam semble un condensé de tous les
aveuglements successifs de l’Occident depuis deux siècles. Sur le
danger jacobin, sur le danger marxiste, positiviste, bolchevik, puis
nazi, tiers-mondiste, maoïste, post-moderniste... »
L’Humanité, à
n’en pas douter, est entrée dans une nouvelle guerre de religions. Et
Dantec ne voit rien d’autre à opposer à ce qu’il considère comme
l’impérialisme destructeur des fous d’Allah, qu’une sorte de
christianisme régénéré mais plutôt abscons : « Le prochain Christ sera
à la fois celui du jugement et celui de la transcendance actualisée de
l’amour, transvaluée au sens de devenir de l’être humain totalement
assumé comme risque ontologique. »
Ce
mystique retour aux sources de la spiritualité conduit l’imprécateur
aux lunettes noires à n’envisager l’avenir qu’en regardant vers l’Ouest
: « le futur de l’humanité s’élabore en Amérique. » D’ailleurs il a
décidé de quitter l’Europe qu’il juge surannée et déconfite : « Je suis
parti de France pour aller vers les Amériques qu’elle a perdues. Je
viens en Amérique avec en moi toute la France qui s’est perdue en route
» (étonnement à ce sujet : il a posé ses valises au Québec, qu’il
qualifie pourtant de « petite colonie chic-et-choc des nihilismes
zéropéens... »).
Il ne pouvait plus endurer « le lavage de cerveau
anti-américain quotidien ». Il ne pouvait plus supporter ce qu’il
qualifie d’arrogance et d’ingratitude « franchouilles » : « Plus de
trois cent mille soldats américains sont morts en terre de France lors
des deux conflits mondiaux du XXe siècle. Villepin et Chirac (sic), à
l’unisson avec leur "peuple" et ses « "représentants", ont d’un seul
geste déboutonné leur braguette et allègrement pissé sur cette
colossale pyramide de cadavres. »
Il ne pouvait plus accepter cet
incroyable panurgisme haineux qui conduit à inverser les données du
problème : « Ce ne sont pas les islamistes qui font peur, grâce à un
décervelage idéologique total pour ne pas dire totalitaire, c’est
l’Amérique qui représente le danger... »
Il en avait assez de ces
intellectuels et journalistes français, hypocrites, qui disent aimer
l’Amérique mais qui n’aiment « rien d’autre que l’Amérique qui déteste
l’Amérique. Cette cucurbitacée du néotrotskisme de Michael Moore par
exemple, ou le Juif antisémite Noam Chomsky... »
Sur
la France, Dantec ne se fait donc plus guère d’illusions : « Y a-t-il
une sortie vers le haut pour cette nation qui s’efforce par tous les
moyens à sa disposition de rejoindre la bonde d’éjection des eaux usées
de l’Histoire ? »
Sur l’Europe même, son jugement n’est guère plus
indulgent : « L’Europe aura donc été une magnifique possibilité, morte
avant que d’avoir vécu, ange avorté pour lequel il m’est difficile de
ne pas ressentir le poids d’une chagrin lesté de toutes ces
civilisations épuisées en vain. » Dans l’élan, Dantec fustige sans
nuance l’Europe de Maastricht et dit son opposition catégorique au
projet de Constitution qu’il appelle « l’immonde papelard ». De ce
point de vue la victoire du non au réferendum de 2005 lui a procuré
quelque satisfaction...
En
définitive, la vision de ce « maudit Français » est sombre : « je vis
la fin d’un monde, je vis le crépuscule des hommes, je vis la
terminaison de toute l’Histoire. » Ses diatribes ne sont pas exemptes
de boursouflures, d’excès, de redondances. Le discours est quelque peu
plombé par des notions abstruses (matrices, vortex, méta-codes,
syncrétismes, ontologies), par des formules à l’emporte-pièce et par de
curieux poèmes hermétiques. Mais il y a du vrai dans ses constats, il y
a de la clairvoyance dans ses opinions et il y a du courage dans ses
prises de positions.
En tout cas sa théorie du déclin de l’Occident
n’a rien à voir avec la manie des bobos gauchisants qui ressassent avec
délectation la faillite inéluctable du modèle capitaliste incarné par
l’Amérique. Elle est l’expression de convictions sincères et d’une
réelle angoisse. Il n’a rien d’un extrémiste, ni d’un fanatique. Son
apocalypse est aussi une supplique, un appel désespéré, le cri du
naufragé sur le radeau de la Méduse. Il faut savoir l’entendre...
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