Animaux, alimentation, interdits
Il y a quelques temps, j’ai rédigé un petit texte suite à une interview de Ramzy sur France Info.
Les divers commentaires m’ont donné envie d’approfondir un point de vue sur la relation entre les animaux, l’alimentation et les interdits.
En tant qu’êtres humains, nous avons la particularité (avec quelques rares espèces animales) de nous alimenter à la fois de végétaux et d’animaux : si l’alimentation végétale ne semble poser quasiment aucun problème, il n’en est absolument pas de même pour les animaux.
Pourquoi cette différence développée au fil des siècles et millénaires ?
De nombreuses raisons sont certainement à l’origine de cette différentiation mais quatre principales viennent rapidement à l’esprit quand on observe nos réactions diverses à travers la planète :
1) L’affect : cette raison universelle est peut-être plus présente en occident et se caractérise par un interdit totalement personnel de consommation de telle ou telle viande car la bête concernée est considérée comme animal de compagnie et trop proche affectivement
En France, c’est particulièrement le cas du chien et du chat mais aussi de manière moindre du cheval.
Juridiquement et pour les chiens et chats, rien n’empêche toutefois leur consommation (qui était courante jusqu’au 19ème siècle) mais dans les faits, ils ne font plus partie de notre alimentation (tout du moins officiellement).
2) La culture (sans référence religieuse) : les habitudes alimentaires participent à une « ségrégation » à ce niveau simplement pour des raisons plus ou moins folkloriques
On peut citer à titre d’exemple, le rejet des escargots et des grenouilles par une partie de nos voisins britanniques ou plus généralement la difficulté ressentie dans les pays d’Europe ou d’Amérique du Nord devant un plat d’insectes qui pourtant fait le régal des habitants d’Afrique ou d’Asie.
3) L’évolution philosophique de notre relation aux animaux : l’animal étant un être vivant et sensible, certaines personnes ont abandonné la consommation de viande au nom de la souffrance que ressentent nécessairement les bêtes au moment de leur capture, élevage ou abattage
Les végétariens et végétaliens sont représentatifs de cette mouvance.
4) L’obligation religieuse qui devient une référence culturelle : de nombreuses religions ont intégré des interdits dans leurs dogmes régissant la vie personnelle de leurs fidèles
Ces interdits peuvent avoir des résonances positives ou négatives : par exemple, l’hindouisme interdit la consommation de la vache par respect pour cet animal tandis qu’à l’inverse, les juifs et musulmans ressentent une répulsion pour le cochon.
Sans rentrer dans le détail de toutes les pratiques mises en œuvre à travers la planète (et qui symbolisent bien la capacité d’imagination sans limite de l’être humain) et en restant au niveau des interdits les plus visibles en Europe, il est à noter que les religions juive et musulmane ont également développé deux sortes d’interdits : l’un lié à la consommation de certains animaux et l’autre lié à la méthode d’abattage.
Ces règles ont la particularité de limiter la relation aux autres et à ce titre, la palme revient certainement au culte juif qui a inventé le système le plus sophistiqué en s’intéressant dans le détail à la préparation des aliments et en imposant des règles qui relèvent quasiment de la maniaquerie…
I – L’interdit lié à la consommation de certains animaux
Cet interdit se caractérise généralement pour l’individu par un dégoût plus ou moins fort devant la viande concernée.
L’option philosophique a le mérite d’être rationnelle mais rejette nos origines.
Pour les trois autres, il s’agit d’une réaction irrationnelle puisqu’il suffit de regarder autour de soi pour se rendre compte de l’ineptie et de l’aspect puéril d’une telle attitude en constatant que d’autres consomment tel ou tel aliment sans aucun effet néfaste sur leur santé.
Mais il nous faut malheureusement bien vivre avec nos névroses déclarées ou cachées et il est donc difficile de nous en débarrasser.
C’est encore plus vrai pour les interdits religieux qui en plus sont des outils d’appartenance politique favorisant le communautarisme : rappelons par exemple que les éventuels méfaits sanitaires de la consommation du cochon ne sont strictement pas prouvés scientifiquement : http://www.agrobiosciences.org/article.php3?id_article=2764
Les autorités religieuses israéliennes voient d’ailleurs d’un très mauvais œil certaines recherches archéologiques qui prouvent que la consommation du porc était monnaie courante dans tout le Proche Orient (et donc, entre autres, sur le territoire d’Israël) avant « l’arrivée » du culte juif car ce point de détail fait évidemment partie des éléments qui permettent d’indiquer que la notion de peuple juif est uniquement une construction politique.
Quant aux musulmans qui n’ont fait que reprendre des pratiques antérieures, que peut penser un esprit libre quand Dalil Boubakeur indique « selon les savants musulmans, cette viande peut être source de nocivité, de maladies (si on ne les connaît pas aujourd’hui, elles nous seront un jour dévoilées : mais il faut éviter de rationaliser ce qui relève du domaine de la spiritualité) » ?
S’il est impossible de savoir si un ou plusieurs dieu(x) existe(nt), il est par contre plus que probable que ce ou ces derniers n’en ont strictement rien à faire de ce que mangent leurs ouailles terrestres.
Ceci dit et peu en importe la raison, il convient naturellement de respecter ces sentiments individuels de dégoût (du moment qu’ils ne font pas l’objet de réactions discriminantes ou violentes en direction de ceux qui font d’autres choix) mais il faut quand même rappeler que le partage de la nourriture fait partie des principaux moments d’échanges conviviaux entre êtres humains et que l’envie de goûter à tout représente un formidable symbole de curiosité et donc d’ouverture d’esprit.
Le plus interpellant consiste toutefois dans la volonté de transmettre une tare personnelle aux enfants alors que tout parent devrait avoir pour préoccupation première de voir ses enfants s’émanciper et devenir des adultes libres et débarrassés de toutes ces diverses scories superstitieuses qui encombrent l’esprit.
Quant aux pouvoirs publics et au niveau de la restauration collective financée sur deniers publics, ils feraient mieux de s’occuper des problèmes d’allergie qui se multiplient de manière exponentielle et qui eux posent une vraie question de santé publique au lieu d’être attentifs aux revendications communautaristes (une simple variété des menus permet de répondre aux désidératas de chacun mais il est évident qu’aucune viande ne doit être bannie au nom d’un quelconque interdit personnel ou religieux).
II – La méthode d’abattage
L’abattage sacrificiel pose des questions à la fois concrètes mais aussi d’ordre beaucoup plus général qui ne sont pas sans relation avec l’approche des végétaliens et végétariens.
Concrètement, on relève principalement trois problèmes :
1) Une même règle pour tous
Il convient de rappeler que l’abattage sacrificiel ne respecte pas la législation puisque l’étourdissement est obligatoire et que seule une dérogation permet aux juifs et musulmans de pratiquer selon des consignes datant d’une époque plus que lointaine.
Dans un pays qui se targue d’avoir le mot « Egalité » dans sa devise, cela fait un peu désordre… (mais il est vrai qu’il ne s’agit que d’une déclaration de principe… Et que si on commence à recenser toutes les entorses légales à la règle commune, la liste risque d’être très longue…)
2) la laïcité
Dans le cadre de la restauration collective financée sur deniers publics, l’article 2 de la loi de 1905 doit s’appliquer et dans ce cas, la viande provenant d’animaux abattus selon un rituel religieux ne peut avoir sa place.
Malgré toutes les pressions électoralistes que doivent subir les élus locaux concernés, ils devraient être exemplaires et toute transgression devrait immédiatement sanctionnée par les services de l’Etat.
Mais pour cela faut-il que nos responsables politiques aient en tête l’idéal émancipateur qui est à la source des lois sur l’école publique et de la loi de 1905…
3) la communication vis-à-vis des consommateurs
Le droit commun est l’étourdissement et donc une viande commercialisée sans indication d’abattage sacrificiel est censée provenir d’une bête tuée conformément à la loi ; sauf qu’en réalité, il s’avère que ce n’est pas le cas et qu’une partie des carcasses de bêtes abattues selon la méthode dérogatoire se retrouve dans les circuits traditionnels : nous sommes donc nombreux à manger sans le savoir de la viande abattue selon des rites pour le moins barbares.
Et tout cela sans aucune information ; à moins que le droit commun ne soit plus le même…
On est vraiment dans le comble de l’hypocrisie et du mépris quand on pense que ce sont les mêmes qui à la fois vont jouer le couplet de la stigmatisation s’ils ne sont plus autorisés à pratiquer leurs rituels soit disant spirituels (au nom de la liberté religieuse) mais vont aussi sans vergogne fourguer leur camelote au reste de la population sans se préoccuper des options philosophiques des personnes concernées (et tout cela avec la bénédiction des pouvoirs publics quels qu’ils soient…)
Mais peut-être y a-t-il quelque intérêt financier en jeu ? Et il est bien connu à la fois que religion et argent ont toujours fait bon ménage… Et qu’au nom de l’appât du gain, certains sont prêts à vendre leur âme au diable…
Pour plus d’information sur ce thème, le numéro 41 d’octobre 2010 du Courrier de l’Atlas apporte un certain nombre d’éléments intéressants.
L’abattage d’un animal n’est pas un acte anodin puisqu’il est le fait de tuer un être sensible : la méthode utilisée par les cultes juif et musulman est évidemment plus barbare (avec en particulier cette fascination pour l’égorgement) mais il s’agit juste au fond d’une graduation supérieure sur l’échelle de la sauvagerie que nous avons développée vis-à-vis des bêtes et particulièrement au niveau de l’industrie agroalimentaire et des conditions d’élevage par exemple.
D’un point de vue philosophique, l’abattage ne peut pas être dissocié du regard général qu’on porte sur les animaux et de la manière dont nous les appréhendons et les traitons.
Tant que nous n’aurons pas juridiquement défini l’animal autrement que comme un bien meuble (cf. code civil), il sera difficile de faire évoluer les choses ; il ne s’agit nullement d’appliquer aux animaux la législation concernant les humains mais de créer une catégorie juridique particulière qui fasse que les bêtes ne soient plus appréciées comme des choses.
Par ailleurs et dans le même esprit, toutes les organisations de défense des droits de l’homme ou antiracistes, qui de manière égocentrique se concentrent sur notre espèce, feraient bien de méditer ce texte de Claude Lévi-Strauss :
« Jamais qu’au terme des quatre derniers siècles de son histoire, l’homme occidental put-il comprendre qu’en s’arrogeant le droit de séparer radicalement l’humanité de l’animalité , en accordant à l’une ce qu’il retirait à l’autre, il ouvrait un cycle maudit, et que la même frontière constamment reculée servirait à écarter des hommes d’autres hommes, et à revendiquer, au profit de minorités toujours plus restreintes, le privilège d’un humanisme, corrompu aussitôt né pour avoir emprunté à l’amour-propre son principe et sa notion (Anthropologie structurale II, Plon, 1973) »
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