Anniversaire de 5 octobre 1944
On a parlé, ces derniers temps d'Oradour sur Glane et des massacres commis par les allemands en 1944.
Mais on ne parle jamais des Vosges et en particulier de la vallée du Rabodeau ou 989 hommes furent déportés et environ 658 sont décédés dans les camps de concentration.
Je parlerai surtout du 5 octobre 1944 à Senones et Vieux-Moulin ou 400 hommes furent arrêtés.
Jean était mon père, Angèle ma mère, André mon oncle. Je suis né deux mois plus tard, en décembre et n'ai jamais connu mon père. Tout est véridique, je n'ai changé que les prénoms.
Ce matin là, l'ambiance familiale était excellente !
Angèle avait fêté son 24ème anniversaire la veille au soir et son père, Joseph, lui avait fait la surprise d'une magnifique tarte aux pommes.
Son mari Jean, 27 ans faisait des plans sur la comète en essayant d'imaginer ce que serait leur bébé qu'elle portait depuis sept mois...
Le programme de la journée était simple : arracher les pommes de terres dans un petit champ à moins de 500 m. Angèle et Joseph s'en chargeaient
Jean, recherché par les allemands comme réfractaire au service du travail obligatoire, et évadé deux fois, resterait à la maison pour reconstruire, à la cave, la zone de stockage des pommes de terre : une belle construction en bois ….
Le soir, à la nuit tombée il prendrait la brouette pour amener les sacs à la maison : son beau-père avait été amputé d'un pied en 1916 et la grossesse de son épouse ne lui permettait pas ce genre de sport.
Ils se séparèrent donc en riant et quelques instants plus tard le drame arriva !
Les allemands ont bouclé le village, pénétré dans les maisons, les hommes valides furent enfermés dans l'école, les autres habitants rassemblés puis chassés vers Senones à 1700 m. La dernière vision qu'eut ma mère Angèle en partant c'est que les allemands mettaient le feu à certaines maisons...
André le frère de Jean était au maquis.
La veille au soir son chef l'avait autorisé à rentrer chez ses parents pour quelques jours.
Il était rentré à la maison familiale la veille vers 23 heure après une longue marche en forêt et avait décidé de s'octroyer une grasse matinée qui le changerait de la terre battue et caillouteuse de la forêt.
La matinée était calme.... Puis des allemands le tirèrent du lit et l'emmenèrent dans une usine qui, pour une nuit, servi de centre de rétention …..
Léon, 44 ans, était un voisin de Jean et Angèle. Il était père de trois enfants, 10 ans, 8 ans 6 mois. Lui aussi arrachait ses pommes de terre, mais 500 mètres plus loin. L'occupation, il connaissait : il avait déjà vécu celle de 1914 1918.
Tout à coup, en contrebas, il vit des soldats allemands mettre une mitrailleuse en batterie, braquée sur le village. Il m'a dit plus tard qu'il n'avait pas réfléchi et qu'il s'était précipité vers la forêt toute proche. Cela lui a certainement sauvé la vie !
Tous les hommes arrêtés passèrent la nuit du 5 au 6 octobre dans l'usine ou certains furent torturés et le lendemain, entassés, debout, dans des camions ils prirent le chemin de leur calvaire. C'est au départ du convoi que ma mère vit mon père pour la dernière fois. Après une escale à Schirmeck, ils firent un stage rapide à Dachau puis furent dispatchés dans divers camps. Pour sa part Jean arriva à Auschwitz et n'en est pas revenu.
Mais la déportation dans la vallée n'en était pas à son début !
Décrivons d'abord le cadre.
La vallée du Rabodeau se situe en limite sud d'un massif forestier long de 50 km, il va presque jusqu'à Sarrebourg, et large de 20 à 30 km.
Ce massif suit la ligne de partage des eaux entre la Meurthe et le Rhin. Les routes et voies ferrées qui traversent ce massif sont peu nombreuses et étaient difficiles à protéger par l'occupant.
Le Contexte maintenant.
En septembre 1944, l'offensive alliée s'était arrêtée sur la rive gauche de la Meurthe soit à environ 30 km de la bordure ouest du massif.
Stratégiquement sa possession était vitale pour l'armée allemande, des maquis actifs dans ce secteurs auraient pu paralyser sa logistique. À 30 km en arrière du front cela aurait fait désordre...
Pourtant des maquis étaient actifs et couvraient la vallèe :
- Maquis de la Chapelotte (la Tête des Hérins et le Jardin David puis replié à Viombois en Meurthe-et-Moselle).
- Maquis de Chatas qui prendra différents noms : de la Grande Fosse, de Grimaubois, du Col du Las, Grandrupt, de la Petite Raon, de la Roche Mère Henry.
Les actions
De nombreux parachutages d'armes et de munitions ont été effectués .
L'on peut noter tout d'abord l'opération Loyton du côté de Moussey, un parachutage le 13 août avec la présence de britanniques qui circulaient en jeep.
Le 17 août une opération allemande, en forêt, dans le secteur des « bois sauvages » leur permis de récupérer deux sacoches d'officiers avec des documents comportant des noms.
Le lendemain ce fut la première rafle à Moussey avec l'arrestation de 52 hommes.
la réaction allemande
Je vous recopie la traduction d'une note, retrouvée en 1992 dans les archives de la Wehrmacht. Et datée du 25/8/44...
Le général V. Kirchbach rapporte qu'a la suite d'une action menée contre les terroristes par le SD d'Epinal, en collaboration avec les troupes des douanes allemandes un camp de terroristes a pu être anéanti dans la région de Schirmeck (note : les bois sauvages)
ce camp était tenu par 8 à 10 officiers anglais parachutés ; les terroristes étaient entraînés à tour de rôle. Il s'agissait surtout d'habitants des villages de Raon l'Etape, Moyenmoutier, Senones ETC… il a été constaté qu'il s'agissait surtout de jeunes.
à présent le général a l'intention d'éliminer totalement ce troupeau de perturbateurs. Certains habitants de la région de Raon l'Etape, Moyenmoutier, Senones et autres lieux à désigner au cours d'une action seront transférés en Allemagne.
Suivent des réflexions concernant le personnel des usines textiles « qui possèdent de sérieuses commandes pour la Wehrmacht »
conclusion : « une action devait être menée pour des raisons militaires, elle est absolument nécessaire pour étouffer dans l’œuf ce foyer de désordre . Il réduira les classes d'age pour que n'entrent en ligne de compte, pour être écartés que les hommes de 17 ans et au maximum de 35 ans. »
Suite à cette note, l'aktion "Waldfest" (son nom allemand) démarre "officiellement" le 1er septembre et dure 3 mois. Directement contrôlée par Himmler
Dans une vallée parallèle, le Le 4 septembre, 832 maquisards s'étaient rassemblés à la ferme de Viombois, . 150 seulement étaient armés. Ils attendaient un parachutage qui fut reporté pour raisons météorologiques et se regroupèrent pour la nuit à la ferme. Les allemands attaquent !
Le bilan fut de 57 tués à Viombois dont 52 à la ferme même et de 150 morts au total pour le GMA (accrochages, fusillés, déportés morts en déportation ou dans les suites immédiates).
du côté allemand il y eut 134 morts et 182 blessés
Elle a été ralentie par l'avance des alliés mais le 24 septembre eut lieu une seconde rafle à Moussey et dans les villages du haut de la vallée :Belval, La Petite Raon, Le Puid, Le Saulcy, Le Vermont !
les hommes valides seront conduits dans l’après midi, à pied, vers le QG local du SD qu’est le château de Belval. Le lendemain, après interrogatoires et "sélection", les hommes âgés de 17 à 50 ans, 144 de Moussey et 309 des villages environnants, seront conduits par le col du Hantz vers le camp de Schirmeck, toujours à pied, et seront déportés vers Dachau pour commencer... 317 n’en reviendront pas.
Le 5 octobre.
La rafle fut centrée sur Senones et Vieux-Moulin.
421 hommes furent arrêtés, 273 ne sont jamais revenus.
Bilan !
Ces chiffres sont extrait en très grande partie du « mémorial de la déportation. Ils incluent les déportés de 1941 à 1944 »
commune |
population |
déportés |
% déportés |
décédés |
% décédés |
Belval |
188 |
19 |
10 % |
18 |
95 % |
Chatas |
67 |
11 |
16 % |
9 |
82 % |
La Petite Raon |
1418 |
193 |
14 % |
125 |
65 % |
Le Puid |
134 |
23 |
17 % |
21 |
91 % |
Le Saulcy |
580 |
86 |
15 % |
59 |
69 % |
Le Vermont |
117 |
5 |
4 % |
5 |
100 % |
Moussey 1 |
216 |
201 |
17 % |
144 |
72 % |
Moyenmoutier |
3814 |
37 |
1 % |
20 |
54 % |
Senones |
4154 |
389 |
9 % |
249 |
64 % |
Vieux Moulin |
306 |
32 |
10 % |
24 |
75 % |
totaux |
11994 |
996 |
8 % |
674 |
68 % |
Environ 500 familles dévastées, 450 veuves, 750 orphelins.
Il faut noter que des déportations avaient déjà eut lieu, dans tous ces villages depuis 1941 et que ces chiffres en tiennent compte.
On peut noter aussi, que Moyenmoutier, plus à l'écart de la forêt a le moins souffert.
Mais pourquoi n'en a-t-on pas parlé ?
Tout d'abord quand les quelques dizaines de milliers de survivants des camps de concentration sont revenus, ils se trouvèrent en face de plus d'un million de prisonniers de guerre qui rentraient. Pour l'opinion publique de l'époque il était difficile de faire la différence entre un camp de prisonniers et un camp de concentration. Les uns n'avaient passé que quelques mois en captivité alors que les autre l'avaient été plus de 4 ans.
La presse vosgienne se pencha en particulier sur les vallées sinistrées par le feu. il faut dire qu'il y avait à faire... lors de leur retraite les allemands, en novembre 1944, ont brûlé toutes les agglomération sur une distance de 15 km … Imaginer la misère des nouveaux sans abris à l'entrée de l'hiver...
Le journal vosgien, « la liberté de l'est » fit paraître un opuscule sur la libération. La déportation est traitée en quelques lignes .
Il fallut attendre presque 20 ans pour qu'il y ait une véritable reconnaissance des déportés « politiques ». A Senones le déclencheur fut une allocution de Général De Gaulle, sur la place de l'église en 1963. il évoqua « la vallée des larmes « .
Néanmoins, j'ai sous les yeux un autre opuscule de « la liberté de l'est » datant de 2004.
il comporte 112 pages fortement illustrées en format 23 cm x 30 cm. Il s'étend sur les destructions d'agglomérations par incendies lors de la retraite allemande de novembre 44 et tout ce qui est dit sur la tragédie de notre vallée ce sont ces quelques lignes :
« La Petite Raon : la rapidité de l'avance alliée a empêché toute destruction. 167 hommes ont été emmenés par les allemands dans ce village de 1500 habitants »
« Senones : libérée le 22 novembre par la 100ème division US. Sur 4000 habitants 350 hommes âgés de 18 à 60 ans ont été déportés en Allemagne. Lors de la déroute allemande toute les usines ont été pillées, mais le village n'a pas souffert de la guerre. »
Comme quoi le matériel prime souvent sur l'humain.....
Si j'ai écrit cet article c'est bien sur et tout d'abord pour raviver la mémoire.
La mémoire de mon père , de ses compagnons de misère, qu'ils soient rentrés ou pas.
Mais c'est aussi pour faire valoir l'horreur de la guerre en général !
Des chefs d'état, des généraux se bâtissent une gloire sur les champs de bataille...
Mais des gens ordinaires, comme je le démontre dans l'introduction, voient leur vie basculer vers l'horreur en un instant alors que le monde affecte de les ignorer et se dépêche de les oublier.
Bibliographie :
Mémorial, 1939-1945 le long martyrologue Vosgien écrit par les anciens déportés d'Entente Résistance, Internement, Déportation éditions de Crimée 2002
La libération des Vosges La Liberté de l'est 2004
Internet
l'opération WaldFest : _Wald_Fest
Un site : http://www.resistance-deportation.org/
21 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON