Anno perso - Année perdue
Une année perdue sur le plan politique et citoyen, voire même bien pire. En Italie comme en France. Mais dont on peut, au moins, tirer quelques enseignements.
Cette semaine a été animée pour la CIA. Mais, tout compte fait, elle s’en sortira sans doute très bien.
Le 26 juin, la CIA a rendu publiques deux collections de documents parmi lesquels, dans la série « Family Jewels » figurent entre autres des évidences : d’une tentative d’assassiner Fidel Castro avec l’aide d’un mafieux ; d’écoutes électroniques de journalistes ; de l’enlèvement de ressortissants étrangers et de leur détention dans des prisons secrètes ; de l’implication de la CIA dans le scandale du Watergate ; de nombreuses activités d’espionnage (y compris, dans les pays dits « occidentaux »), etc. Mais l’Agence plaidera que c’est du passé et qu’elle « évolue ».
Le 27 juin, les membres de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe ont apporté leur soutien aux conclusions du rapport de Dick Marty sur l’existence en Europe (Pologne, Roumanie) de centres de détention secrets dirigés par la CIA. Mais, d’après ce rapporteur du Conseil de l’Europe, le gouvernement de Romano Prodi adopte la même attitude de blocage que celui de Silvio Berlusconi. En particulier, il « sabote le procès des kidnappeurs d’Abou Omar, (...) tente de faire annuler l’ordonnance de renvoi des prévenus et n’a toujours pas transmis à Washington les demandes d’extradition des agents de la CIA concernés ». Il ne semble pas que le rapporteur européen exagère en l’occurrence. Déjà en février dernier, la présidente de l’Osservatorio sulla Legalità e sui diritti, Rita Guma, soulignait : « I magistrati milanesi hanno richiesto l’estradizione di 26 agenti della CIA e il governo Berlusconi - con il ministro Castelli - rifiutò di sostenere in USA la richiesta. Prodi ha affermato che non ci sono cambiamenti rispetto alla linea del suo predecessore. Mi chiedo se il presidente del Consiglio ricordi l’art. 10 della Costituzione... »
C’est vrai que, dans ce genre d’affaires, ni Berlusconi ni Prodi ne semblent s’être guère souciés du respect de la Constitution italienne. D’après le rapporteur Dick Marty, un accord secret conclu entre les pays membres de l’Otan en 2001 a créé le cadre permettant à la CIA de procéder en Europe à des détentions et à d’autres activités illégales. En 2001, les gouvernements de plusieurs puissances européennes influentes (Grande-Bretagne, Allemagne, France...) étaient de « gauche », et d’autres gouvernements (Italie, Espagne...) étaient de « droite ». Quelle différence ? Pour Dick Marty, Romano Prodi a même été « encore plus loin » que Silvio Berlusconi. Normal : un « grand Européen » comme Prodi n’allait pas « trahir les siens »... Mais pour ceux qui réclamaient une politique nouvelle après son arrivée à la présidence du conseil des ministres italien en mai 2006, la période qui s’est écoulée depuis cette date aura été une année perdue. Un anno perso.
Pourtant, d’après Dick Marty, qui semble incarner une sorte de réveil très tardif des institutions européennes, « des Etats qui ont une tradition démocratique séculaire limitent les libertés citoyennes en invoquant le prétexte sécuritaire de la lutte contre le terrorisme pour rassurer les citoyens et préserver leurs relations avec Washington ». Ce n’est pas un scoop, même si, à la veille de la mise en place d’une mégapuissance européenne, « nos » institutions continentales ont intérêt à montrer patte blanche. Mais il est toujours intéressant de constater que l’avènement d’un gouvernement de « gauche » avec à sa tête une « grande personnalité » comme Romano Prodi, à la place de Berlusconi, n’a rien changé à la politique de l’Etat italien sur les questions essentielles.
Ce n’est pas de nature à surprendre les citoyens français, habitués à la même situation après de nombreuses « alternances » depuis 1981. Et la lamentable campagne électorale de 2006-2007 en France n’a-t-elle pas été une année perdue ? Si ce dont il s’agissait, c’était d’en arriver à des gouvernements avec des ministres de « droite », de « gauche » et du « centre » réunis, avec en prime une sarkopposition « à statut », aucun besoin d’organiser des élections. Les « élites » auraient pu se mettre d’accord d’emblée et le faire savoir par un communiqué ou, mieux encore, par un décret. Sauf que les apparences électorales jouent un rôle important dans l’endormissement des citoyens.
Pour le reste, les deux gouvernements Sarkozy - Fillon, incluant une "sarkogauche" et un "sarkocentre", n’ont été que le reflet de la « transversalité » générale qui règne en France et dans le monde depuis quelques décennies, et qu’incarnent entre autres des groupes comme le Siècle ou la Commission Trilatérale. Quant au caractère « totalement involontaire » de la prétendue « boulette » de Jean-Louis Borloo sur la TVA sociale, il me semble qu’on peut se poser quelques questions (mes articles du 16 juin et du 18 juin). Le soir du premier tour des législatives, la majorité UMP était pratiquement acquise et, pour Nicolas Sarkozy, ce n’était pas une mauvaise chose que le débat sur la TVA sociale soit relancé avant le second tour. Quitte à ce que l’UMP perde quelques dizaines de députés. Le « président de tous les Français » peut à présent plaider que cette question a fait l’objet de débats animés, au cours de la campagne présidentielle comme pendant celle des législatives, et que les résultats électoraux ont intégré une telle donnée. Quant aux négociations sur le nouveau traité européen, Sarkozy tenait-il vraiment à se trouver en présence d’une majorité UMP écrasante, alors que tout au long de la campagne présidentielle le « centre » et la « gauche » (Bové compris) avaient fait la campagne la plus « ultra-européenne » ?
Quoi qu’il en soit, le "magicien de Sarkoz" a une bonne baguette et sait faire de jolis tours. Après les remous générés par son voyage à Malte avec des moyens très coûteux, appartenant d’après les médias à Vincent Bolloré ou à son groupe, Nicolas Sarkozy a réussi à faire passer comme une lettre à la poste la nomination de Valérie Pécresse à la fonction stratégique de ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. Mariée à Jérôme Pecresse, directeur général adjoint d’Imerys, numéro un mondial des minéraux de spécialité, Valérie Pécresse est également fille de Dominique Roux, professeur à l’université Paris Dauphine devenu président de Bolloré Télécom en janvier dernier. Dans ces conditions, il paraît légitime de soulever la question de l’apparence d’impartialité, par rapport aux intérêts des lobbies industriels, d’une ministre chargée de la « réforme des universités » avec un projet de loi aux conséquences très importantes pour la recherche scientifique et technologique. Il n’y a là aucune attaque personnelle. Pourtant, qui en a parlé ?
Non seulement le silence sur les circonstances de la nomination de Valérie Pécresse semble avoir été général, mais au même moment où l’opposition de monsieur le Président était officialisée par l’accès de Didier Migaud à la présidence de la Commission des Finances, de l’Economie générale et du Plan de l’Assemblée nationale, Jack Lang apportait publiquement son soutien à la deuxième mouture du projet de loi de la nouvelle ministre.
Une année perdue ? Pas seulement. On a encore régressé, et la responsabilité des médias est très lourde dans les opérations de mystification dont les citoyens ont été victimes depuis plus d’un an. Mais les médias dits « citoyens » ont-ils mieux fonctionné que les médias professionnels ?
J’ai cessé d’écrire dans Agoravox depuis le mois de mars, en pleine période de course au noyautage politicien préélectoral dans tous les médias à façade « citoyenne ». On se trouvait dans ce genre de situations où il est, tout simplement, impossible de discuter. Celui qui contrôle un média le blinde pour y faire passer sa salade, et peu importe si d’autres se plaignent du manque d’impartialité. Il paraît évident que rien, si ce n’est des intérêts partisans et des rapports de forces de fait, ne justifiait la censure de mes articles du 5 mars intitulé « François Bayrou, candidat entre deux eaux et à coloration variable » (quel outrage à un futur président !) et du 10 mars : « Nicolas Sarkozy, l’Etat et l’identité nationale (1) ». Le premier analysait la politique réelle de la divinité d’Agoravox qu’était devenu François Bayrou. Le deuxième s’inscrivait en faux par rapport aux discours de l’époque d’un Nicolas Sarkozy que les parlementaires de l’UDF ont soutenu quasiment en bloc après le premier tour des présidentielles. Il me semble que, quatre mois plus tard, la lecture de ces deux articles présente encore un intérêt. Dans le premier, j’écrivais par exemple : « Le sénateur socialiste Jean-Marie Bockel n’est pas opposé à l’idée d’un gouvernement d’union nationale défendue par l’UDF. Mais le citoyen peut demander : L’union nationale, pour quoi faire ? ». Jean-Marie Bockel est devenu secrétaire d’Etat de la sarko-ouverture. Et si mes articles de l’époque ont été censurés parce qu’ils dénonçaient les réseaux d’influence, la « transversalisation » au grand jour de la politique française opérée par Nicolas Sarkozy en justifie largement le contenu.
Ces deux articles ont été publiés dans d’autres médias, comme tous ceux que j’ai écrits par la suite et qui sont également accessibles sur mon blog. Le lendemain du premier tour des présidentielles, Bellaciao a décidé de soutenir Ségolène Royal et, depuis, a entrepris de censurer mes articles. Mais je continue à m’en porter très bien. Mes articles du 15 mai et du 18 mai de la série « Sarkozy, opium du « peuple de gauche » » (1 - La « grande illusion » royaliste et 2 - Le buffet sans frontières de Bernard Kouchner) sont passés, depuis un média alternatif, dans la revue de presse de Yahoo ! Actualités qui en général ne propose que des articles de la « presse professionnelle ». Je ne le signale pas pour m’en vanter, mais tout simplement pour montrer que les « petits internautes » qui n’acceptent pas que quelques manitous des « médias citoyens » les mènent par le bout du nez peuvent encore, s’ils en ont la volonté, trouver d’autres voies pour s’exprimer et être lus sans renoncer en rien au contenu de ce qu’ils ont à dire.
Mais à présent, quel bilan faut-il tirer des pratiques de noyautage politicien des médias dits « libres » et de censure faussement « citoyenne » de l’expression des Français lambda sur la Toile ? Une censure qui n’a pas agi uniquement sur les articles mais même sur les commentaires, de la manière la plus obsessionnelle qui soit et de façon à bien bâillonner les « voix discordantes ».
Le forcing médiatique pro-Bayrou a été, dans un premier temps, utile aux milieux influents pour combattre l’abstention qui « dérangeait » dans la perspective d’un nouveau traité européen et d’une longue série de mesures antisociales prévisibles. François Bayrou a été « abandonné » entre les deux tours des présidentielles comme un prophète trahi et malchanceux, mais ce revirement paraît logique. Pourquoi soutenir la création d’un troisième grand parti du système, alors que l’oligarchie a d’autres « urgences » (mise en place d’une superpuissance européenne, avalanche de mesures antisociales...) pour lesquelles la « droite » et la « gauche » existantes font parfaitement l’affaire ? Toutefois, l’effet anti-abstention n’a pas survécu jusqu’aux législatives, où des records d’abstention ont à nouveau été battus. Les transactions politiciennes du mois de mai ont sans doute fait réfléchir beaucoup d’électeurs, et les campagnes « virtuelles » n’ont pas pu empêcher cette saine réflexion des Français. Les « internautes attitrés » et les « blogueurs notoires », on commence à les connaître...
Dans l’ensemble, les « superblogueurs », machin-blogs et autres vedettes improvisées de la Toile fabriquées par les médias influents n’ont pas réussi leur coup. Entre autres, parce que les montages étaient trop voyants et trop arrogants. Et les contenus, trop nuls, trop serviles, trop imbus de vedettisme et de copinage primitif, et trop calqués sur la propagande des candidats aux présidentielles. Depuis l’automne dernier, les espaces médiatiques à façade « citoyenne » n’avaient plus grand-chose de citoyen. Ils étaient noyautés par des sympathisants briefés et reproduisaient à peu de chose près le débat électoral standard. La censure gratuite y était trop voyante. Les chouchous de ces montages faisaient un pub primaire, prenaient les Français pour des crétins et ne pouvaient qu’inspirer des réactions de rejet. A la fin, ils ont perdu. Anno perso.
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