Armes : les mines marines
Samedi 26 mars 2022, un pêcheur turc alerte les autorités après avoir aperçu une mine dérivant à l'entrée du détroit du Bosphore, côté de la Mer noire. Déclaration du ministre turc de la défense : « Nous avons constaté qu'il s'agissait d'une mine de type ancien, la mine détectée contiendrait 30 kg d'explosif. (...) Notre unité de déminage l'a déplacée vers un endroit sûr et l'a désactivée ». Lundi 28 une deuxième mine est détectée au large d'Igneada près de la frontière bulgare. Le lendemain, une troisième mine à la dérive est retrouvée en mer Noire au large des côtes roumaines. Les mines découvertes sont de deux types, une contenant une vingtaine de kilos de TNT attachée à une ancre, l'autre une mine anti-embarcation d'environ trois kilos. De couleur noire et de dimensions réduites, ces mines sont difficilement repérables par mer agitée. Le 3 mars, un cargo estonien avait sombré au large d'Odessa après une explosion sans que l'on en connaisse la cause !
La première véritable mine marine explose en 1801 dans le goulet de Brest. L'Américain Robert Fulton y a immergé une quarantaine de kilos de poudre noire contenue dans un cylindre de cuivre maintenu sous la surface entre une ancre et un flotteur de liège. La mise à feu reprend le principe d'une platine de fusil, le percuteur libéré par le choc vient s'abattre sur l'amorce. Le 15 octobre 1805 c'est un navire danois de 200 tonneaux (un tx = 2,83 m3) qui est coulé. Deux torpilles chargées de 180 livres de poudre ont été reliées entre elles par un cordage de 30 mètres, après leur mise à l'eau à partir de deux barques, le cordage est venu « coiffer » l'étrave du Dorothy à l'ancre, les charges de se plaquer contre la coque, l'une à tribord, l'autre à bâbord (charges en couple ou de cisaillement) et d'y exploser (mise à feu à mouvement d'horlogerie retard quinze minutes). Le voilier à deux mâts (brick) est brisé en deux et sombre en vingt secondes.
Les mines marines sont de formes et de dimensions variables, mais toutes comprennent :
- un dispositif de mise à feu comprenant l'allumeur et le détonateur ;
- une charge explosive composée d'une charge primaire et secondaire ;
- un dispositif de sécurité particulier à chaque type de mine.
La mine à contact se compose d'un flotteur contenant entre une vingtaine et plusieurs centaines de kilogrammes d'explosif immergé quelques mètres sous la surface et relié au fond par un orin (câble) à un « crapaud » (corps mort) de plusieurs centaines de kilos. Dès la mine lancée, l'orin commence à se dévider pendant qu'une ligne de sonde lestée suspendue sous le « crapaud » va toucher le fond, bloquer l'orin et d'entraîner la mine quelques mètres sous la surface (invention française de 1876). La mine explose quand un navire heurte une de ses cornes de Herz (« antennes »).
Selon le type de mine, le choc brise une ampoule de verre contenant du bichromate qui se déverse sur des cellules de carbone et de zinc générant un courant électrique, ou une l'ampoule en verre placée dans une corne en plomb (déformable) qui se brise au choc et déverse son contenu sur du chlorate de potassium (réaction chimique exothermique). Les « cornes » peuvent être comprimées à l'intérieur de la mine et emprisonnées par un bouchon de sel. Après dissolution de celui-ci, les cornes sont libérées à l'extérieur. Sur l'ancienne mine française Sauter Harle, c'est l'orin qui libérait les cornes et armait la mine.
La mine à traction ou filet est immergée entre deux eaux et reliée à un filet anti sous-marin. Dès qu'un sous-marin heurte le filet de défense, la mine explose et l'onde de choc suffit à atteindre le bâtiment et à y occasionner une voie d'eau. La quantité d'eau s'infiltrant à l'intérieur du bâtiment dépend de l'aire de la rupture et de la pression de la colonne d'eau au-dessus du submersible. L'onde de choc peut suffire à désaligner l'arbre l'hélice, fausser les barres de plongée ou dé-jointer un élément.
La mine à traînard comprend deux fils de cuivre qui se terminent par d'un petit flotteur affleurant en surface et reliés au corps de mine déposé sur le fond (prendre en compte le courant et les hauteurs des marées). Le filin en cuivre établit le contact électrique entre la coque du navire et un relais.
La mine dérivante (errante) à contact est déportée par les courants (bouteille à la mer) jusqu'à venir heurter un navire ou un obstacle côtier avant d'exploser. Elle peut, soit flotter en surface (flottabilité positive), soit être équilibrée (flottabilité neutre ou ludion) pour une faible profondeur. L'absence de contrôle horizontal en réserve l'utilisation sur une courte période de temps. Elle est supposée se désarmer ou s'autodétruire au-delà.
La mine côtière ou anti-débarquement est disposée au centre d'un dispositif de piquets reliés entre eux et à la mine par des fils, dès qu'une traction est appliquée sur l'un des fils ou qu'un événement déséquilibre le support, la mine explose. Le maillage (densité de mines) peut être lâche ou serré.
L'explosif doit être soumis à une action : étincelle, chaleur, choc, friction, autre explosion, champ électromagnétique, électricité statique, dégradation dans le temps, inter-action chimique avec l'enveloppe (l'intérieur de certaines mines était étamé ou vernissé pour prévenir ce phénomène) pour se décomposer et entraîner une modification de ses constituants. L'explosion s'accompagne d'une forte augmentation de pression due à l'expansion des gaz surchauffés en un temps extrêmement court. Si la charge est contenue dans une chambre d'explosion hermétique (bombe, mine ou grenade), le volume de gaz va se comprimer jusqu'à atteindre une pression suffisante pour rompre l'enveloppe.
L'efficacité d'un explosif est lié à sa composition, sa densité de charge, sa granulométrie, mais dépend surtout de sa vitesse de transformation (brisance). Un explosif à grande vitesse (plusieurs milliers de mètres par seconde) provoque une onde choc plus puissante du fait qu'il se décompose en un temps très court et qu'il délivre un volume de gaz plus important sur une brève période (pic). La pression lors de la phase de décomposition peut atteindre 250 Kbars (250.000 Kg/cm2), l'expansion des gaz générer 1.000 litres de gaz par kg d'explosif, la température atteindre 1.000 à 3.000°C. En général, la masse d'explosif est exprimé en poids de TNT, si on utilise un explosif différent, il faut appliquer un coefficient correcteur ou l'équivalent TNT (4,520 Kj/kg, 3.000°C, densité 1,65, V 6.000 m/sec), le Torpex, par exemple, est 50 % plus puissant que le TNT à masse égale. Particularité du TNT ou Tolite, son insolubilité qui le rend dangereux pendant très longtemps ! Une mine de la Première guerre mondiale représente un danger actuel.
La pose de mines marines répond à plusieurs impératifs : détruire la flotte adverse, empêcher son déploiement, assurer un blocus, prévenir un débarquement, protéger des infrastructures : plate-formes pétrolières, météo, etc. Les mines peuvent être « mouillées » depuis un navire, un sous-marin ou aéro-larguées (avion ou hélicoptère). Si les mines sont trop proches les unes des autres, l'explosion d'une seule peut entraîner l'explosion des mines voisines (effet sympathie). L'espace entre chaque mine dépend de son rayon d'activité, du profil bathymétrique, de l'hydrographie (marées et courants), de la longueur, largeur, du tirant d'eau et de la manœuvrabilité des navires ciblés afin qu'il ne puisse les contourner.
Les mines ont évolué au fil du temps et des découvertes, d'abord des explosifs : poudre noire fine, pyroxylée, dynamite, dynamite-gomme, fulminate de mercure, TNT, hexogène, etc. Les allumeurs mécaniques, chimiques, électriques (pile Leclanché, résistance et condensateur pour le retard et un relai pour la mise à feu) ont bénéficié des progrès de l'usinage (pièges anti-relèvement) et de l’électronique avec les mises à feu transistorisées (années soixante), circuits intégrés et les microprocesseurs (années quatre-vingt).
Les mines à influence n'explosent plus lors d'un simple contact physique, mais selon une caractéristique propre au navire (signature). Les mines multi-influences réunissent une mise à feu combinée, la mine à comptage, par exemple, n'explose qu'après le passage d'un certain nombre de navires de manière à atteindre le milieu du convoi. Ces mines « dormantes », généralement de forme cylindrique ou pseudo-sphérique, voire de la forme d'une roche (mine furtive), reposent sur le fond (plateau continental) et non plus entre deux-eaux (trafic maritime de surface). La mine « pop-up » reprend le principe de la mine bondissante terrestre, une charge de dépotage propulse la mine vers la surface.
La mine magnétique, un navire en métal ferromagnétique s'apparente à un aimant dont champ, principalement vertical (inclinaison), vient s'ajouter ou se soustraire au champ magnétique local, distorsion détectable par un solénoïde. Si l'idée en revient au Français Labeuf, c'est l'Amirauté Britannique qui l'a utilisé pour la première fois en 1918. Le capteur reposait sur le déplacement d'une l'aiguille aimantée (boussole) venant fermer un circuit électrique. Les mines modernes sont pourvues d'un magnétomètre. Les nouvelles mines détectent les champs électriques de faibles intensités (1 µV/m à 300 mètres) générés par les courants de corrosion modulés par le propulseur (les documents sont classifiés). L'eau de mer est corrosive et conductrice (salinité), les différences de potentiels entre les métaux (bronze, acier) forment un couple électrolytique.
La mine acoustique (passive), tout navire ou submersible est une source sonore : moteur, pompes, vibrations, hélice, cavitation, écoulement laminaire ou turbulent de l'eau sur la coque (le sillage a un angle d'environ 39°). Dans l'eau, les molécules plus nombreuses et plus proches les unes des autres que dans l'air propagent le son à 1512 m/s (1450 m/s régions polaires), soit un gain d'environ 40 dB par rapport à l'air. La longueur d'onde du « La » qui vaut 0,762 m dans l'air, vaudra 3,47 mètres dans l'eau de mer (1512/435), et le bruit à large bande rayonné (10 Hz à 1 kHz) présente une atténuation négligeable, l'échantillonnage permet la discrimination.
Toutes les marines disposent d'une flotte de renseignement maritime chargée de receuillir les signatures électro-magnétiques et acoustiques des navires des flottes étrangères. Sur une mine multi-influences, le champ magnétique généré par le bâtiment arme la mine avant que le son capté par l'hydrophone active la partie acoustique comme le ferait le « vox » d'un magnétophone. Des mines actuelles utilisent l'effet Doppler (variation de la fréquence selon la vitesse), le glissement est faible (ΔF / F = V / C) mais suffisant.
La mines à dépression, la flottabilité d'un navire dépend de sa masse et du volume d'eau déplacé (principe d'Archimède). Quand un navire approche de l’aplomb d’une mine de fond mouillée à faible profondeur, côtes, estuaires, port, la pression d’eau sous la quille augmente progressivement, puis décroît pendant la durée du passage du navire, générant des oscillations amorties. L’amplitude de la variation de pression hydrostatique dépend de : la profondeur, du volume d'eau déplacé, du tirant d’eau et vitesse du navire. Pour éviter qu’une forte houle ne suffise à provoquer la mise à feu de la mine, son système de mise à feu à dépression est combiné avec un système magnétique ou acoustique qui sert de commutateur au système à dépression.
L'énergie cinétique du sillage est d'autant plus rapide que la vitesse de déplacement (écoulement laminaire) du navire est grande, tandis que l'énergie potentielle augmente avec la pression. Si la vitesse augmente, la pression diminue et réciproquement. L’échouage du Queen Elizabeth II (600.000 tonnes, tirant d'eau 10 mètres) en 1992 illustre l'effet Venturi, (contraction veineuse), principe à l'origine des mines à dépression. Le navire naviguait à 25 nœuds dans un chenal étroit et peu profond. La vitesse de la masse d'eau d'étrave a vu sa célérité augmenter le long des œuvres vives (partie de la coque immergée), amplifiant la vitesse d'écoulement ce qui eu pour effet d'entraîner une diminution de la pression sous la coque et le navire de se « sur-enfoncer » d'environ 3,5 mètres et de s'échouer dans la vase !
Une explosion sous la surface présente des particularités, l'eau est 870 fois plus dense que l'air et quasiment incompressible ce qui en fait un excellent conducteur de l'onde de choc (effet de bourrage) et du son (chenal sonore). Les effets d'une explosion sous-marine dépendent de la masse d'explosif, l'équivalent TNT, distance de l'explosion, hauteur de la colonne d'eau au-dessus de la mine et de celle en dessous du navire, du profil sous-marin (réflexion), de la résistance de la coque du bâtiment (raidissement). La pression est proportionnelle à la masse d'explosif et au carré de la vitesse de détonation, et l'énergie décroît selon le cube de la distance (inertie liquidienne). Autre particularité, la bulle de gaz se dilate jusqu'à atteindre la pression hydrostatique dont la détente provoque l'onde de choc (blast), la bulle semble « pulser » (oscillations verticales) entraînant l'apparition d'ondes de pression secondaires. L'onde de choc primaire représente 54 %, l'onde de choc secondaire 46 %, et l'énergie disponible passe à 1 % à la quatrième pulsation (travaux de R.H Cole). L'explosion de 100 kg de TNT est dangereuse dans un rayon de 100 m pour un navire (1.500 mètres pour les baigneurs).
Aucun accord international n'interdit le recours aux mines marines, par contre, la Convention de La Haye (1907) stipule que les mines ne doivent pas dériver dans les eaux internationales, et que les États sont autorisés à poser des mines marines dans leurs propres eaux pour se protéger des attaques, mais que celles-ci doivent être pourvues d'un système de désactivation en cas de leur désarrimage. La mer noire qui communique avec la Méditerranée par le Bosphore et les Dardanelles (qui se souvient des mines russes « Jacobi ») est partagée par des États aux intérêts économiques et stratégiques divergents : Bulgarie - Géorgie - Roumanie - Russie - Ukraine - Turquie, et en ce qui concerne les Zones Économiques Exclusives des différences entre les limites de jure et facto pour la Géorgie -la Russie - l'Ukraine, aspects du conflit peu soulignés...
« Le ministère russe de la Défense a déclaré que les ancres d’environ 10 mines sur 370 s’étaient rompues » : Un groupe de plongeur du GRU a-t-il été engagé pour la « reco » ou pour en désarrimer quelques-unes ? Lors de la guerre en Ossétie du Sud, des nageurs de combat appartenant à la Flotte de la mer Noire (Tuaspe) avaient coulé des navires géorgiens dans le port de Poti. L'origine des mines reste incertaine. Il pourrait s'agir de mines soviétiques dont les stocks furent récupérés par les Ukrainiens et utilisées ensuite au large de la Crimée, soit d'une manipulation des Russes qui auraient utilisé des mines ukrainiennes récupérées lors de l'annexion de la Crimée. Les deux versions sont plausibles. Tout conflit est un continuum d'actions politico-militaires d'opérations : conventionnelles - spéciales (commando) - clandestines (déni plaussible) - secrètes (dissimulation ou faux pavillon).
La présence de ces mines a un impact sur le commerce. La fédération des armateurs allemands (VDR) estime qu’une soixantaine de cargos est bloquée dans les ports ukrainiens. Les compagnies d’assurance se refusent de couvrir les dommages causés par le conflit.
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