Assez cassé du sucre, le vrai sel de la vie
Attention, le texte qui suit peut être dangereux. Seules des bouches averties doivent le lire. Cette fantaisie à la gloire du sucre peut choquer voire écœurer quelques palais délicats, déséquilibrer un diabète instable ou favoriser des caries si un brossage soigneux des dents ne suit pas immédiatement la dégustation.
En mémoire à une enfance carencée en pâtisseries du fait de l’occupant teuton, en témoignage de piété filiale pour une mère décédée à 99 ans en odeur de sainteté bien qu’ayant jusqu’à ses derniers jours sacrifié au sucre avec une fidélité, un entrain qui ont dû la faire entrer directement, par la Grande Porte, au paradis des gourmandes et en remerciement pour m’avoir transmis ce péché capiteux, je m’autorise cette transgression du diététiquement correcte et suis prêt à en assumer les conséquences avec l’aide de tous mes semblables avoués ou inavoués.
Le sucre est mal-aimé, on a honte d’en parler.
Il faut y remédier.
Il m’a beaucoup donné, je ne lui ai rien rendu.
Je le chanterai donc, je serai son hérault.
Ce n’est pas difficile, il n’a que des vertus.
Bon pour tous et à tout, il n’a pas de défauts.
Il rend heureux l’enfant, fait rire le grincheux.
Nature ou transformé, il est chez lui chez eux.
Parce qu’il s’offre à chacun et se refuse à rien.
On lui reproche tout : la carie, le diabète.
Méprisé, calomnié, on le met à la diète.
Lui, le doux, le tendre, roi du suave et du bien.
Trop présent, trop utile, il a des ennemis.
Au banc des accusés, je serai son ami.
Le mot, d’abord, est beau. La bouche en cul de poule, il se susurre, se suçote, se clôt en un petit bruit incongru, délicieux, un léger crachotis, discret, réservé, presque avalé aussitôt dit.
Il faut le comparer, pour l’apprécier à sa juste saveur, aux autres ingrédients. Difficile d’en parler puisque tout les oppose. Leur rôle est secondaire. Ils ne sont tolérables qu’à peine discernables.
Ne les accablons pas, ils sont ce qu’ils peuvent être : des releveurs de goût, des béquilles pour cul-de-jatte. Ils suffisent à certains qui en mettent partout. Un seul retient l’attention : le sel. Qu’il soit fin, qu’il soit gros, il veut la première place. On le trouve partout : sur la table, dans la mer, dans les plats, sur la route. Vil flatteur, il cumule les vices. Son adjectif repousse : sale et laid. Mis à toutes les sauces, il encombre le corps, retient l’eau, fait monter la tension, œdématie le poumon, gonfle la jambe. Faute de pouvoir faire mieux, il raccourcit la vie. Il triomphe dans ce qui lui ressemble. Rien qu’à les nommer, on voit qu’ils sont vulgaires : andouille, boudin, cervelas, cornichon, bifteck, mortadelle, pot-au-feu, saucisse, saucisson, etc.
Les syllabes s’enchaînent avec effort, dans des consonances rugueuses. Tout ça est dégoûtant et seule une faim de loup, une boulimie aveugle expliquent leur succès, ce manque de goût. La satiété qu’ils donnent est indigeste, satisfait seulement qui boit sans soif, mastique par habitude, avale par réflexe, digère sans paix.
Le sucre est à lui seul une belle compagnie. Il se suffirait à lui-même, si, bon compagnon, il n’aimait la farine, le beurre, l’œuf, l’amande, etc.
Il est au cœur de tant de beauté, de bonté que tous ses dérivés donnent le même bonheur à la voix, à la langue : bonbon, berlingot, nougat, praline, sucette, sucre d’orge, loukoum, confiture, miel.
Bonne pâte, il veut bien tout, s’apprête comme l’on veut : en pain, en morceaux, en poudre, en cristal, en glace, en sirop il se moule à la forme. Il se cuit, au petit cassé, au grand boulet. Si l’on insiste, il devient caramel, se filamente en cheveux d’ange, se fait nuage en barbe à papa.
Liquide, il coule mieux qu’une source, en douceur, en suaveur.
Sodas, sirop d’orgeat, sauternes, Loupiac, Cadillac, Bonnezeau. Il est l’âme du nectar, le saint esprit d’Yquem, le moelleux du champagne. Il humanise la citronnade ; de bulles il fait une limonade.
Sans lui, pas de gâteaux et pas de pâtissier, ce bienfaiteur par qui l’extase s’invite à table.
Un dessert réussi fait oublier une entrée ratée, un rôti brûlé, un vin bouchonné, une matinée pluvieuse, un ongle incarné, un krach boursier. Il récompense de tout, fait oublier la vie, la mort.
Un autre jour, si vous êtes sages, je vous parlerai du chocolat ou d’un repas de gâteaux, une expérience à faire, un sommet à atteindre.
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