« Attention ! Ralentir ! Revalorisation travail ! »
« Revaloriser le travail » ? Qui peut être contre ? C’est inattendu, mais c’est même un des slogans favoris du candidat de l’UMP à la présidence de la République, M. Sarkozy.
Seulement, si, dans un premier temps, on n’a pu qu’applaudir, c’est que la formule était une belle ambiguïté volontaire donnant à entendre à chacun ce qu’il voulait entendre.
Revaloriser le travail par rapport au capital ?
Ainsi a-t-on pu d’abord croire naïvement que « revaloriser le travail » impliquait de mieux le rémunérer : on en déduisait qu’une hausse des salaires s’imposait après des années de stagnation, voire de régression du pouvoir d’achat, tandis qu’à l’inverse, les revenus qu’on pouvait tirer d’un capital et de tractations financières n’avaient pas cessé de croître. On pouvait même imaginer que « revaloriser le travail » supposait de ne pas se faire reprendre par l’impôt le maigre supplément de salaire qui rémunère un supplément de travail. Ce n’était pas ça du tout. Comme l’illustre, ces jours-ci, une entreprise textile qui vient de décider de délocaliser sa production en Tunisie parce que, dit sans détour son directeur, la main-d’œuvre y est moins chère, toute hausse de salaire est aussitôt mise en balance avec le risque de perdre son emploi. Il faut choisir ! Car le vaste dumping social, qu’attise une mondialisation non maîtrisée, a un effet d’écluse dont les vannes s’ouvrent dans le sens unique de la descente d’un fleuve pour une mise à niveau par le bas. Et à considérer les salaires et la couverture sociale des pays dits « émergents », ce ne sont pas des rapides qui menacent seulement, mais des cataractes.
Revaloriser le travail par rapport à l’inactivité et au temps libre ?
« Revaloriser le travail » ne signifiait donc nullement lui redonner une valeur capable de rivaliser avec celle d’un capital détenu. Le candidat de l’UMP a bien précisé qu’il s’agissait de le revaloriser par rapport à l’inactivité et au temps libre. Seraient ainsi visées d’abord des situations d’assistance jugées plus rémunératrices qu’un emploi, qui, à revenu égal, dissuaderaient de se mettre au travail. Si c’est le cas, c’est moins le montant des aides sociales qui est en cause que le vil prix auquel s’achète aujourd’hui le travail. Ensuite, cette revalorisation prétendrait s’attaquer à une loi pernicieuse des 35 heures par semaine qui empêcherait celui qui veut travailler plus de gagner plus. Il fallait y penser !
L’ inversion d’un processus historique
Cette trouvaille, d’abord, inverse hardiment un long processus historique de réduction du temps de travail d’au moins un siècle et demi.
- La timide loi de 1841 sur le travail des enfants, par exemple, qui paraît encore bien cruelle aujourd’hui, en dit long sur la sorte de bagne quasiment continu qui était alors promis même aux enfants : si elle interdisait le travail aux enfants de moins de huit ans, elle limitait celui des enfants de huit à douze ans à 8 heures par jour, tandis que de douze à seize ans, ils pouvaient bosser jusqu’à 12 heures ; si l’on ajoute les temps de déplacements - sauf à s’entasser dans des taudis près des manufactures - et les heures de sommeil, que leur restait-il donc comme temps à vivre ? Les travaux du Dr Villermé - Tableau de l’état physique et moral des ouvriers - qui avaient préparé cette loi montraient que la jeunesse française souffrait de carences en tout genre formant un peuple d’invalides, et surtout impropre à porter les armes ; et le travail abrutissant, insalubre, sans fin, dès la prime enfance, en était une des causes ; les familles étaient sans doute les premières à y recourir, mais parce que le salaire des parents ne suffisait pas à les nourrir.
- A été ainsi entamé un lent processus visant à réduire le temps de travail qui mangeait la vie des femmes et des hommes. Les programmes socialistes et républicains ont porté cette revendication comme une condition d’émancipation des personnes dont on supposait qu’elles pouvaient aspirer à d’autres activités pour leur épanouissement : à quoi bon, en effet, perdre sa vie à seulement la gagner ? Un jour de repos obligatoire, la journée de huit heures, la semaine des 40 puis 39 heures, 15 jours de congés payés, puis trois, quatre et cinq semaines ont été les étapes d’une lente remontée des soutes vers la lumière au cours du XXe siècle. La loi des trente-cinq heures s’est inscrite dans cette volonté d’arracher le plus grand nombre au seul travail utilitaire.
Retour à la case départ du XIXe siècle ?
Mais son détournement astucieux a permis d’en détourner ceux-là mêmes à qui elle était destinée.
- Réduite dans nombre d’entreprises à une réduction dérisoire de quelques heures par mois sans effet sur la vie de chacun, et surtout accompagnée d’un blocage des salaires, elle est apparue comme une entrave au travail et comme la cause majeure d’une perte de revenus. Quand, au contraire, des cadres au salaire suffisant ont pu en tirer 10 jours de congés supplémentaires, dits de RTT, des week-end élargis sont soudainement venus leur éclairer la vie. Mais, bien sûr, comme le martèle le candidat UMP, quand on a un SMIC et qu’on vous interdit des heures supplémentaires, parce que l’heure normale de travail est insuffisamment payée - ce qu’il se garde de dire - la loi des 35 heures est la source de tous les maux !
- Il entend donc non pas la supprimer, laissant s’en contenter ceux qui se suffisent de leurs maigres revenus - « C’est leur liberté ! » - mais donner la possibilité aux autres de travailler plus pour gagner plus. Et c’est ainsi que la boucle est bouclée pour revenir au XIXe siècle : les revenus du travail étant trop faibles, le dumping social de la mondialisation étant allégué pour ne surtout pas les augmenter sous peine de n’être plus concurrentiel, la seule issue qui est offerte est de se remettre à se tuer au travail : allonger les heures de travail dans la semaine, voire le dimanche, et peut-être rogner ses jours de congés, en échange d’heures supplémentaires mieux payées ; on est ainsi assuré d’être trop crevé à la fin de la journée ou de la semaine pour faire autre chose que d’ offrir « son temps de cerveau disponible » aux annonceurs de la télé, et d’être usé avant l’âge comme on l’était il y a un siècle. À quoi tant de travail aura-t-il donc servi, s’il mange lui-même le temps pour profiter de ses fruits ? Jacques Brel chantait Pourquoi ont-ils tué Jaurès ? Aujourd’hui on se demande : comment le candidat de l’UMP peut-il citer Jaurès ?
Sous réserve qu’une entreprise ait ce travail supplémentaire à offrir, ce qui n’est pas acquis, c’est à une régression sociale sévère qu’est ainsi allègrement invitée la société française. Sous couvert de revaloriser le travail qu’on achète à bas prix, la majorité d’un peuple est sommée de se réaliser désormais dans des journées de plus en plus longues de travail et de plus en plus longtemps dans son existence, sous prétexte d’un allongement de la vie. La duperie est d’autant plus honteuse que l’on nomme travail non seulement certaines activités qui conduisent tout naturellement l’individu à son épanouissement physique et spirituel, et pour lesquelles forcément il ne compte pas son temps, mais surtout beaucoup d’autres corvées qui le détruisent, avec en prime, quand elles ne le font pas nécessairement, des techniques de « gestion de ressources humaines » qui s’y emploient efficacement, sans entrave, ou si peu. Paul Villach
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