Au Japon et ailleurs, déjà plus de couches pour seniors que de Pampers
Dense et polémique, cet article nous interroge sur l’avenir des populations vieillissantes et leurs questionnements au sein des pays dont la chute démographique semble irréversible. Bien que le Japon y apparaisse en filigrane au long du texte, l’analyse ne se cantonne pas au seul Pays du Soleil Levant mais traite le sujet de manière générale.
« Sushi, judo, bonsaï, surimi, hara-kiri, zen, samurai, sumo, sake, karate, kimono, geisha, kamikaze, karaoke... ». Ces mots japonais, nous les utilisons couramment et nous pourrions en ajouter quelques dizaines à cette liste. Un linguiste nous apprendrait peut-être que nous utilisons plus de tels mots que ceux issus des langues européennes à l’exception de l’anglais.
Mais que savons-nous réellement du Japon mis à part quelques faits historiques généralement tragiques ou quelques réussites commerciales remarquables ? Dans cet article, nous allons rencontrer quelques problèmes liés au vieillissement de sa population.
GENERALITES
Les Etats généraux sur la bioéthique ouverts récemment feront une large place à la fin de vie, à l’euthanasie et à l’eugénisme.
Regardons les choses en face : au cours de l’Histoire, la tentation a souvent été forte de se débarrasser des personnes âgées dépendantes comme on dit aujourd’hui. D’autre part, dans une démarche eugéniste, certains ont procédé à l’élimination des tarés, notamment des handicapés mentaux. Ce fut notamment le cas dans les pays scandinaves où plusieurs dizaines de milliers de pauvres gens ont été stérilisés, avortés ou interdits de mariage au cours du XXème siècle. Est-il nécessaire de rappeler que le Troisième Reich a procédé à des centaines de milliers de stérilisations et d’euthanasies. Enfin, quitte à déplaire aux zélateurs de Nietzsche, rappelons que le philosophe n’avait rien contre l’eugénisme...
Vous connaissez peut-être le Tamil Nadu, un état du sud de l’Inde de 72 millions d’habitants dont la capitale est Chennai (ancien Madras). Il est célèbre pour son tourisme médical à la pointe de la médecine. Cependant, les activistes sociaux locaux affirment que le Thalaikoothal y est encore pratiqué chez les plus pauvres de la partie méridionale de l’état. Cette cruelle coutume consiste à se défaire de ses vieux parents économiquement inutiles. La méthode la plus couramment utilisée est de faire boire de l’eau de coco à la vieille personne jusqu’à ce qu’un blocage de des reins accompagné de fièvre l’emporte en deux jours (1).
Pour ce qui est de la France, il faut rappeler Alexis Carel ( 1873 / 1944 ). Ce grand ami de Charles Lindbergh et Prix Nobel 1912 de physiologie ou médecine est notamment connu pour L’homme, cet inconnu, paru en 1935, qui rencontra un succès mondial considérable. Carel s’y montre partisan de l’eugénisme. En France, de nombreuses rues portant son nom ont été débaptisées. En 1996, la fac de médecine de Lyon l’a perdu au profit de celui de Laennec.
La propension française à politiser beaucoup de choses n’a pas épargné le problème de la vieillesse. Ainsi, en 1981, paraissait L’avenir de la vie (2). L’un des 20 chapitres de l’ouvrage reproduit un dialogue entre l’auteur et Jacques Attali. Beaucoup firent, font et continuent de faire un mauvais procès à l’ancien conseiller spécial de François Mitterrand au sujet d’un chapitre de 15 pages intitulé La Médecine en accusation. Les détracteurs citent à l’envi les extraits suivants « Mais dès qu’on dépasse 60/65 ans, l’homme vit plus longtemps qu’il ne produit et il coûte alors cher à la société » et encore « Je pense donc que l’euthanasie, qu’elle soit une valeur de liberté ou une marchandise, sera une des règles de la société future ». En réalité, une lecture attentive du texte montre que Jacques Attali se livre à une analyse clairvoyante des problèmes de notre société et ne se réjouit nullement des conclusions auxquelles il parvient. En réalité, comme ses diffamateurs, il ne va pas jusqu’à taper dans la fourmilière en osant déclarer tout simplement que, capitalisme ou socialisme, il va bientôt falloir choisir entre l’euthanasie et une frugalité raisonnée. La frugalité, vertu écologique, ne signifie pas la misère. Quand l’homme du XXIème devra renoncer à des choses qu’il croyait indispensables car elles lui semblaient donner quelque sens à sa vie, espérons qu’il n’aura pas la folie de recourir à une vaine guerre pour tenter d’éviter l’inéluctable. A l’instar des enfants les plus doués, les nations les plus avancées peuvent devenir folles de colère lorsqu’on les prive de leurs jouets.
Pour clore ce chapitre sur une note moins polémique, rappelons un conte (3) des frères Grimm, Allemands qui vécurent de la fin du XVIII au milieu du XIXème (1785/1863°. C’est l’histoire d’une famille composée d’un aïeul, de son fils, de sa bru et de son petit-fils âgé de 4 ans. Comme le vieux mange maladroitement, on l’a isolé dans un coin de la pièce commune où on lui sert un minimum de nourriture dans une écuelle en terre. Un jour, l’écuelle se brise en tombant. On la remplace par une écuelle en bois. Suite à cet incident, le petit-fils tente d’assembler quelques planchettes de bois.
- Que fais-tu là ? lui demande son père.
- C'est une petite auge que je fabrique, répond l'enfant, pour faire manger papa et maman quand je serai grand.
Le mari et la femme échangent un long regard, puis commencent à pleurer. Ils font revenir le vieux grand-père à leur table et mangent toujours avec lui depuis lors, sans gronder jamais, quand il lui arrive de se tacher ou de répandre un peu de soupe sur la table.
J’ignore si, en 2018, les instituteurs racontent encore cette histoire édifiante aux écoliers.
Ne fermons pas ce chapitre sans mentionner un pendant du sénicide largement pratiqué de tous temps et en tous lieux : l’infanticide. L’acceptation graduelle de la PMA et autres GPA prépare le terrain à l’ectogenèse laquelle marquera une rupture anthropologique infiniment plus profonde que celles de l’homosexualité et de l’euthanasie.
UN PEU DE DEMOGRAPHIE
La démographie utilise des mathématiques pointues. Cependant, il est une règle démographique accessible à la compréhension de tous. Elle concerne le seuil de renouvellement des générations. Ce seuil nous dit le nombre moyen d’enfants par femme pour qu’une population donnée ne diminue pas. Sous ce seuil, la population augmente alors qu’elle croît au-dessus. Dans les pays développés, il est de l’ordre de 2,10 (4).
Selon le dernier bilan démographique 2017 de l’INSEE, publié en janvier 2018, l’indicateur conjoncturel de fécondité (5) français est en recul pour la troisième année consécutive. Il s’établit à 1,88 enfants par femme en 2017 contre 1,92 en 2016 et 2,01 an 2014. Il reste néanmoins le plus élevé d’Europe (6).
Selon l’Institut National d’Etudes Démographiques (INED), en 2015 les indicateurs conjoncturels de fécondité de quelques pays européens étaient :
Irlande 1,92
Royaume-Uni 1,80
Allemagne 1,50
Italie 1,35
Espagne 1,33
Pologne 1,32
Sur 28 pays 1,58 (7)
Il n’est pas sans intérêt de rappeler que, dans le cadre des législatives italiennes, Silvio Berlusconi promet de renvoyer 600000 étrangers alors que la population du pays a diminué de 100000 personnes en 2017. Le politicien madré va dans le sens des majorités au sein des peuples européens. Utopie ou inconscience démographique ? D’un optimisme à toute épreuve, les Italiens dont l’espérance de vie, comme celle des Espagnols, est supérieure à celle des Français, veulent se persuader que leur nation va devenir une immense Sardaigne, cette région de leur pays où l’on trouve les densités de centenaires les plus élevées du monde. Qui vivrà vedrà !
Pour des motifs généralement religieux, certaines femmes souhaitent rester vierges. Dans nos sociétés occidentales, de plus en plus de femmes envisagent de rester nullipares pour ne pas entraver la progression d’une carrière leur assurant un niveau de vie confortable et croissant. Laurent Alexandre écrit « Une vaste étude menée en Islande a montré que les femmes qui possédaient certaines variantes génétiques corrélées avec la réussite universitaire faisaient moins d’enfants que le reste de la population » (14). Des féministes virulentes, Simone de Beauvoir en fut une, refusent carrément la maternité comme une chose avilissante. Elisabeth Badinter, quant à elle, voit l’instinct maternel plus culturel qu’instinctif. D’autres avancent des raisons écologiques. Le mouvement Childfree ( « Libre d’enfant », comme on dirait « Exempt d’OGM » ) se propose de fédérer les femmes qui ne veulent pas de lardons. Enfin, rappelons le fameux acronyme DINK (Double Income No Kids ) autrement dit « Deux revenus et pas d’enfants » ramassant en cinq mots l’expression d’un idéal de vie dont la cote croît sans cesse.
Selon un titre de Valeurs Actuelles du 12 juillet 2017, l’immigration est le seul facteur de hausse de la population en Europe. Nous avons le nez sur notre copie. D’autres, éloignés culturellement et géographiquement, nous observent avec clairvoyance. En stratèges, ils peuvent estimer que notre dénatalité, notre dénuptialité, nos avortements et notre euthanasie (à quand la Kill Pill, la pilule de la mort, en parapharmacie ?) vont bientôt laisser des places bonnes à prendre. Par moments, on est en droit de se demander si la théorie du Grand Remplacement de Renaud Camus ne serait vraiment que conspirationniste comme certains tentent de nous en convaincre pour nous endormir. Quitte à se faire baiser, mieux vaut savoir pourquoi. Pécaïre !
LE CAS PARTICULIER DU JAPON
Le Japon porterait-il un germe géronticidaire particulier ? Un film célèbre, La Ballade de Narayama (1983), a pu le faire croire à certains. L’histoire tourne autour d’une coutume japonaise, l’ubasute, selon laquelle on portait les vieillards inutiles dans des endroits sans ressources où ils s’éteignaient. Des soins palliatifs sans morphine en quelque sorte.
Aujourd’hui, le Japon compte plus de 125 millions d’habitants. Il courant d’entendre que ce chiffre devrait diminuer d’environ 40 millions au cours des 50 ans à venir. Son indicateur conjoncturel de fécondité était de 1,43 en 2015 (7). L’espérance de vie y est la plus élevée au monde. Qui ne connaît pas la fameuse île aux centenaires d’Okinawa classée dans les blue zones de la Terre ?(8).
En passant, rappelons que le Japon reste le pays le plus endetté de notre planète (250% du PIB). Cependant, contrairement à la France, cela ne pose pas de problème majeur puisque l’essentiel de la dette est détenus par des institutions japonaises. Nos budgétivores clientélistes oublient piteusement de préciser ces choses-là lorsqu’ils endettent nos générations futures à tire-larigot. Bah ! Elles n’auront qu’à vendre nos ports aux Chinois et nos cathédrales aux Saoudiens après avoir demandé conseil aux Grecs.
Rappelons aussi que le travail et le pouvoir d’achat, le second découlant du premier, sont sacrés au Japon. Pour un Japonais, grappiller de la RTT (Réduction du temps de travail) serait une attitude déshonorante. Il aurait plus volontiers une tendance à célébrer une augmentation de ce précieux temps. Certains gros bosseurs sont sans doute persuadés qu’ils pourraient travailler ad vitam æternam. Ainsi, selon le très célèbre docteur japonais Shigeaki Hinoara, mort à 105ans, champion de la médecine préventive, travailler le plus longtemps possible reste l’un des meilleurs gages de longévité. Ce vieil inconscient rétrograde ne se rendait pas compte qu’il était en train de casser la baraque de nos syndicats ! Rappelons que le syndicalisme moderne fut introduit au Japon, après la seconde guerre mondiale, par le général américain MacArthur.
Deux points distinguent le Japon de la plupart des autres pays en matière du traitement de la diminution et du vieillissement de sa population. D’abord, il y est exclu de faire appel à l’immigration pour combler la diminution de la population ou pour pallier un manque de main-d’œuvre. Ensuite, on compte sur la robotisation pour résoudre tant la diminution de la population que son vieillissement. Leur idiosyncrasie conduit les Japonais à préférer les infirmiers robots aux infirmiers humains, surtout si ces derniers sont des immigrés (9). Après tout, Femme Actuelle ne nous a-t-il pas appris récemment que « Selon une étude menée par Groupon (site de vente en ligne) et l’institut Opinium Research, un quart des Français (24%) préférerait passer la soirée de la Saint-Valentin avec leur animal de compagnie plutôt que de sortir avec leur amoureux ». Rappelons les rapports des œuvres caritatives comme les Petits Frères des Pauvres soulignant la solitude extrême de personnes âgées qui voient passer des semaines sans rencontrer personne avec qui parler, même pas un robot.
Finalement, on notera que les Japonais semblent être les moins réticents des humains pour ce qui est de confier leurs corps à des machines. On connaît ces WC nippons sophistiqués où l’usager peut régler la pression, la température et l’orientation des jets d’eau chargés de laver ses fondements et ses attributs géniteurs puis, selon son humeur ou son emploi du temps, solliciter massage ou séchage. Avec lunette chauffante, cela va sans dire.
LE PLUS IMPORTANT DE CET ARTICLE
Dans le jargon socialo-syndicalo-économique, on entend souvent des raisonnements tels que « Il faudra au moins X actifs pour Y inactifs afin de faire face aux retraites et aux dépenses de santé ». Ne s’agirait-il pas d’un raisonnement éculé ?
En cinquante ans, la France a perdu plus de trois millions d'agriculteurs. Ils étaient quatre millions en 1963 ; il ne sont plus qu'environ 900.000 aujourd'hui. Ils ne représentent plus que 3,6% de la population active (10). Bien que la population ait augmenté, manquons-nous de nourriture aujourd’hui par rapport à 1963 et l’espérance de vie moyenne s’est-elle effondrée ? La malbouffe, comme on dit, a sans doute progressé mais il s’agit d’un tout autre sujet. Et puis, vous le savez bien, rien n’a changé : que ce soit il y a 50 ans ou aujourd’hui, les élèves sont plus excités en pénétrant dans la cantine lorsqu’il y a des frites que lorsque ça daube l’épinard tristounet..
En économie, beaucoup de choses sont possibles pourvu qu’on en assume les conséquences en toute connaissance de cause. Ainsi, on pourrait revenir progressivement à un monde agricole employant plusieurs millions de bras bon marché. Le problème c’est qu’on ne trouverait plus ces derniers, toutes choses restant égales par ailleurs. Les immigrés économiques renâcleraient au sarclage de nos champs et de nos vignes pour jouer les succédanés du Roundup et autres glyphosates.
En vérité, la productivité a crû énormément dans tous les domaines grâce aux machines et aux méthodes. Dans 50 ans, la productivité, y compris dans les métiers et professions qualifiés traditionnellement " d’intellectuels ", aura encore considérablement augmenté grâce à l’application de l’intelligence artificielle (IA) aux robots. Ainsi, nous ne devrions plus utiliser la vieille formule « Il faudra au moins X actifs pour Y inactifs afin de faire face aux retraites et aux dépenses de santé » mais dire « Il faudra X robots afin de faire face ... ».
Il est commun d’entendre que de nombreux métiers et professions disparaîtront dans les années à venir. « 47 % des emplois seraient automatisables d'ici 20 ans ... Un robot abat une fois et demi plus de travail qu’un ouvrier, et ne coûte que 3,40 dollars de l’heure, prix d’achat, de maintenance et d’énergie compris. Voir à ce sujet : les ouvriers chinois, trop chers, remplacés par des robots » (11). Sans parler du coût d’un immigré économique...
Combien de gens connaissent le cas, triste mais révélateur, des mingongs (12) chinois ? Ces dizaines de millions de citoyens chinois, migrants dans leur propre pays, ont quitté leurs provinces pour bâtir la Chine urbaine et industrielle modern dans des conditions de vie lamentables et pour des salaires de misère. Maintenant que le boulot est terminé, les autorités les expulsent des villes comme des parias pour qu’ils laissent la place aux classes moyennes et supérieures. Henri Laborit (13) nous a dit « Quand on met des animaux dans une cage, à un certain degré de densité dans la cage, ils ne se reproduisent plus ». Cependant, un nouvel élément vient de s’ajouter à la densité mentionnée par Laborit. Il résulte du fait que le consommateur nouveau, né au XXème siècle, a besoin de plus en plus de terre, de feu, d’air, d’eau et de métal pour satisfaire ses besoins notamment ses divertissements. L’augmentation de l’espérance de vie amplifie cette tendance. Les Japonais semblent l’avoir compris indépendamment de tout malthusianisme ou de toute écologie de décroissance.
L’économie future aura plus besoin de gens au QI élevé que de bras. Laurent Alexandre écrit « Quelques gamins au QI de 165 créent plus de richesse qu’un million de travailleurs au QI de 95 » (14). En bref, ceux qui n’auront pas eu l’heur de développer la part acquérable de leur QI (par opposition à la part innée) auront droit au revenu universel d’existence dont Benoît Hamon se fit le laudateur malchanceux lors de la dernière campagne présidentielle. Les définitions du travail, du chômage et de l’argent devront être « revisitées » comme on dit du cassoulet ou d’une charlotte dans les concours de chefs cuisiniers. A vrai dire, certains aspects touchant au sens même de la vie devront être remis à plat.
Apparemment, ces complexités nouvelles n’impressionnent guère nos technocrates bruxellois pourvu qu’ils causent, le plus souvent imprudemment, pour se faire mousser. Ainsi, il y a moins d’un an, le commissaire européen Dimitris Avramopoulos déclarait dogmatiquement « L’Europe va avoir besoin de 6 millions d’immigrés » (15). Ca sent son couple Giscard d’Estaing / Chirac établissant ingénument le regroupement familial, il y a 40 ans. Evidemment, il est plus facile de moraliser sur l’immigration que de neutraliser les passeurs qui s’en repaissent... Et encore plus fastoche que d’avoir suscité des GAFAM ou des BATX européens au bon moment (16). Ce que le peuple aimerait savoir, ce n’est pas le simple fait ou le principe d’accueillir des migrants, gens courageux et de bonne volonté pour la plupart d’entre eux, mais l’après (l’after, comme disent les fêtards) c’est-à-dire les conséquences à long terme de ce qui semble relever de l’improvisation politicienne. En 2018, alors que se préparent des révolutions économiques, technologiques et démographiques aux effets encore mal cernés, affirmer que l’immigration est une chance pour le France c’est du niveau de Georges Marchais lançant son « globalement positif ». C’est, concédons-le, du Jacques Séguéla mais assurément pas du Tocqueville.
EXTRAPOLATION et CONCLUSION
On avait l’habitude de découper la vie en quelques grandes étapes : enfance, adolescence, âge mur, vieillesse. Il y a quelques décennies, on scindait la vieillesse en troisième et quatrième âges. Aujourd’hui, il conviendrait plutôt de simplifier le tout pour s’en tenir à deux blocs : période de vie en bonne santé et période de vie en mauvaise santé. Il est courant d’entendre dire « Il convient d’ajouter de la vie aux années et non pas des années à la vie » Clairement, cela signifie qu’il ne sert à rien d’allonger la vie si la santé ne suit pas. Encore que, chez beaucoup, l’effroi de la mort puisse conduire à repousser son issue fatale par tous les moyens. Si le suicide reste un droit fondamental, le désir de vouloir vivre à tout prix (sans rien devoir à personne ? ) ainsi que le droit de croire à une vie après la mort en sont d’autres. Et puis, comme l’a écrit Alexandre Dumas « On a toujours 20 ans dans quelque coin du cœur ». De toute façon, on trouvera de plus en plus des marchands de poudre de perlimpinpin claironnant que « la vie commence à 60 ans ». Leur slogan n’a rien à voir avec la leçon de sagesse de la chanson éponyme de Tino Rossi. Au-delà de leurs visées purement commerciales, ces merchandisers déchirent inconsciemment le tissu ancestral de l’humanité en faisant de l’ombre à la vraie jeunesse (17). D’autre part, le nombre des adeptes des théories transhumanistes va croître au nombre desquels on en trouvera un bon nombre en attente, quoi qu’il en coûte, de la singularité(18) avec l’espoir de bénéficier de ses promesses. L’euthanasie, rôde dans les parages de telles réflexions puisqu’elle sera l’un des fondements de la nouvelle morale économico-biologique qui point à l’horizon des prochaines décennies.
La cryogénisation (revoit 13), les cellules souches, les ciseaux génétiques, la vie sur Mars dans les pas d’Elon Musk, ( Le patron de Tesla ) ou les banques d’organes ouvrent aussi des voies susceptibles de procurer quelqu’espoir à ceux qui rêvent de retarder la fatale issue par tous les moyens. Dans un roman étrange et dérangeant, Kazuo Ishiguro, prix Nobel de littérature 2017, traite justement des banques d’organes (19).
Ce qui motive le goût de vivre de nos jours dans les pays dits développés a profondément changé au cours du dernier siècle. Dans l’ouvrage (2), Jacques Attali déclare encore « Je crois que l’important de la vie ne sera plus de travailler mais d’être en situation de consommer ». On dit que les jeunes Japonaises ont de plus en plus recours au papakatsu (20) pour apaiser leurs besoins consuméristes frivoles tout en sacrifiant aux marques qu’elles idolâtrent. Cet appétit, plus puissant que la libido, leur procurera-t-il la volonté de vivre jusqu’à la dernière extrémité malgré une santé défaillante ? Michel Cicurel estime que « Le vieux monde dont la population active diminue ne peut soutenir son niveau de vie qu'en se robotisant » (21). Ainsi, les robots pourvoiront biens et services à une population physiquement usée mais encore motivée par un appétit d’avoir plus fort que celui d’être, le premier venant à la rescousse du second.
Plus généralement, pourquoi chercherait-on à vivre plusieurs centaines d’années ? Il n’est pas rare d’entendre ceux qui vont partir déclarer « J’avais encore beaucoup de choses à faire ». Dans la vie d’un humain, vient-il nécessairement un moment où il sent qu’il a tout épuisé ? Attitude à ne pas confondre avec une inclination au suicide. Il n’est pas interdit de rêver à tout ce qu’on pourrait bien réaliser au cours d’une vie de 1000 ans : bien manger, comprendre la physique quantique, picoler, briser tous les tabous sexuels, écouter toutes les musiques, voyager, lire toute la littérature mondiale depuis l’antiquité, errer dans le monde virtuel ou jouer aux jeux vidéo, écrire jusqu’au bout de son imagination ou de ses idées, chanter, explorer l’univers, lire tous les romans-photos, méditer, lever tout doute dans son esprit jusqu’à être sûr qu’il n’existe rien après la mort ou, au contraire, jusqu’à être convaincu qu’une autre vie nous attend, réaliser tous ses fantasmes, respirer tous les parfums, arpenter tous les musées, toucher à tout, assister à tous les grands évènements sportifs, comprendre les mathématiques, schnoufer, attendre que soit établie la Théorie du Tout, connaître tous les parcs d’attractions, jouer de tous les instruments... A vous de jouer aux Bouvard et Pécuchet en complétant la liste. Est-on bien certain que, malgré tout, 1000 ans ça ne serait pas un peu longuet ? Qu’en eût pensé notre Jeanne Calment nationale décédée à 122 ans ?
Où conduira ce qu’il faut bien appeler « la nouvelle morale biologique » guidant un homo consumericus issu d’un économisme triomphant ? En se désengageant progressivement des grandes attaches de l’anthropologie classique telles que la transcendance, la conception in utero, le mariage et la mort l’être humain, pour la première fois de l’Histoire, est en voie de se livrer corps et âme à un individualisme de masse, justifié par le matérialisme et justifiant l’hédonisme. Lorsque son smartphone le connectera au réseau 5G, l’être humain pensera ne plus avoir besoin des autres puisqu’il transportera le monde entier dans sa poche ou dans son baise-en-ville. Chaque individu sera devenu le centre d’un monde qui le suivra partout comme un chien fidèle. Chacun jouira anonymement de la vie pour sa pomme (22) sans nulle entrave éthique puisque la palette des valeurs aura tourné à l’unicolore.
Les Etats généraux sur la bioéthique nous demandent de définir le monde que nous voulons pour demain. Mais où commence et où finit le monde de demain ? Les Japonais vieillissants semblent apporter un brin de réponse. Brin ténu et sans doute désespéré par lequel ils acceptent de se livrer pieds et poings liés à la machine comme des esclaves marrons à bout de souffle se rendant aux miliciens de leurs maîtres. Un jour, leurs descendants ne deviendront-ils pas eux-mêmes des hommes-machines puis, pour finir, des machines ?
Allons encore plus loin et pensons à l’après-demain. Pour nous y aider, permettez-moi de citer « Quand on n’a plus que le corps pour vivre, son immortalité devient une hantise » (2 3).
(2)Michel Salomon, éditions Seghers.
(3) https://www.grimmstories.com/fr/grimm_contes/le_vieux_grand-pere_et_son_petit-fils
(4) On conçoit aisément que ce seuil dépend de nombreux facteurs dont le taux de mortalité entre la naissance et la puberté
(5) Nombre moyen d’enfants par femme en supposant que les générations à venir aient la même fécondité que les générations actuelles. Basé sur une période donnée, il analyse les chiffres par tranche d’âge (génération).
(6) https://www.insee.fr/fr/statistiques/1912926
(7) https://www.ined.fr/fr/tout-savoir-population/chiffres/europe-pays-developpes/indicateurs-fecondite/
(8) Blue zones : régions du monde où la longévité moyenne de la population est notablement élevée par rapport à la moyenne
(9) https://www.letemps.ch/societe/japon-reserve-matiere-robots
(11) https://humanite.fr/47-des-emplois-seraient-automatisables-dici-20-ans-549348
(12) Travailleurs manuels (paysans et ouvriers) de l’exode rural chinois
(13) Médecin, chirurgien, biologiste neurobiologiste, éthologue, pharmacologue et philosophe. Il est le premier au monde à introduire des molécules à action psychotropique dans la pharmacopée (Chlorpromazine, 1951). Pionnier de nombreux domaines dont ceux de l’anesthésie, de l’hibernation artificielle et de la cryogénisation.
(14) La guerre des intelligences, JC Lattès, 2017
(15) https://www.tdg.ch/monde/L-Europe-va-avoir-besoin-de-6millions-dimmigres/story/19455815
(16) Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft aux USA ; Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi en Chine.
(17) On peut lire à ce sujet : Près du ciel, loin du paradis – Jean-Marie Perier, Calmann-Levy, octobre 2017
(18) A ce sujet, on peut voir mon article Eglises, mosquées et bien plus encore ... du premier décembre 2017.
(19) Auprès de moi toujours, Éditions des Deux-Terres, 2006.
(20) En France, on utilise généralement l’expression anglaise sugar daddy. A ce sujet, on peut lire Love & Pop, éditions Picquier poche, 2011. Auteur : Marakami Ryû ( Cer auteur, également réalisateur de cinéma – Tokyo decadence, par exemple - ne doit pas être confondu avec le très célèbre Haruki Murakami).
(22) Tout récemment, pour avoir déclaré « Je suis là pour ma pomme » le skieur Mathieu Faivre, a été invité à quitter les JO de Pyeongchang.
(23) L’éclipse de la mort, Robert Redeker, Desclée de Brouwer, 2017.
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