Au Maroc, la main de fer a mis un gant de velours !
L’éternel combat pour l’indépendance et la liberté de parole au Maroc n’en finit pas de faire des victimes. Parler de liberté d’expression ou de liberté tout court au Maroc peut être malaisé, surtout quand, des trois derniers rois (Mohammed V, Hassan II et Mohammed VI), on n’en a connu qu’un seul : Hassan II. Mais pour de multiples raisons il faut le faire !
Il faut préciser, en guise de préambule, que je n’ai jamais été, ni un opposant au régime du Maroc, ni à la monarchie elle-même. Je ne suis par conséquent animé d’aucune haine envers qui que ce soit. En effet, si j’ai beaucoup d’admiration pour Mohammed V, je n’ai par contre envers Hassan II, aucune haine à titre personnel, contrairement à ceux qui ont un jour ou l’autre été broyés par les rouages de son système.
Je n’ai, en revanche et jusqu’à ce jour, éprouvé envers Mohammed VI que de l’indulgence. Celle qu’un jeune monarque est en droit d’exiger en début de règne.
Il faut néanmoins modérer le propos et rappeler que Mohammed VI est tout de même au pouvoir depuis plus de sept ans et nombreux sont ceux qui se posent déjà des questions sur ses orientations futures. Nombreux aussi sont entés de faire le point sur ce "début de règne".
Le siècle qui débute est l’occasion de tracer la route pour les années futures mais c’est aussi l’opportunité de marquer un temps d’arrêt pour faire un bilan.
L’Histoire nous y autorise. L’Histoire l’exige !
Cependant, faire le point sur un pays qu’on a quitté depuis plus de 17 ans n’est pas chose facile. Reste que le regard extérieur permet quand même une certaine distance qui facilite l’analyse.
L’arrivée au pouvoir du roi Mohammed VI au Maroc en juillet 1999 a été saluée par l’ensemble de commentateurs comme un souffle de modernité.
La volonté en fin de règne d’Hassan II de tourner la page pour sortir le Maroc de la période noire, où l’arbitraire côtoyait encore l’horreur, laissait présager un règne éclairé.
En effet en nommant en 1998 un gouvernement issu de « l’opposition de gauche » à sensibilité socialiste, le signal envoyé par Hassan II à la veille de sa mort était fort. Fort aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays, mais plus fort encore à l’adresse de son fils, Mohammed VI.
Mohammed VI dont le prénom rappelle phonétiquement celui de son grand père : Mohammed V, un monarque chérifien éclairé qui éclaira l’histoire du Maroc contemporain.
Les choses s’annonçaient donc bien et l’état de grâce dont il bénéficia, dans toutes les couches de la population, fut quasi unanime même chez les plus démunis. Une baraka en quelque sorte. On le disait même Prince des pauvres.
L’Instance Equité et Réconciliation ou commission nationale pour la vérité, mise en place en 2004 et dont le rapport lui a été remis en 2006 s’inscrivait dans cette logique d’Hassan II de tourner la page, en fin de règne.
Éclairé et proche du peuple pour les uns, désinvolte et superficiel pour les autres, il fut durant toutes ces années au centre de toutes les attentes d’une société civile qui s’impatientait et d’une population qui finit peu à peu par désespérer.
Au point que cette indulgence dont bénéficient les jeunes rois à leur accession au pouvoir finit par s’étioler au fil des années.
Que s’est-il passé ?
Est-ce l’usure du
pouvoir ?
Ou est-ce le poids
des usages ou le pouvoir des « usuriers » qui a repris le dessus ?
L’Histoire finira un jour par nous le dire...
L’ironie de l’histoire, si l’Histoire peut avoir un sens, c’est que deux procès très suivis, à l’encontre d’une presse « libre » remettent en cause son « indépendance ». Ils arrivent à leur terme en ce début d’année 2007, à quelques jours près de la date anniversaire de la signature, il y a plus de 60 ans, du manifeste de l’indépendance.
Difficile de ne pas faire le parallèle.
Ce manifeste, présenté le 11 janvier 1944 par le parti de l’Istiqlal, avait permis à Mohammed V, grand-père éclairé de l’actuel roi du Maroc Mohammed VI de voir le Maroc accéder à l’indépendance en 1956 et les marocains entrevoir la liberté.
Difficile de ne pas faire le parallèle quand, parmi les 67 personnes ayant signé ce manifeste, grands résistants et symbole du Maroc « libre », figure Bouchta El Jamaï grand-père de Boubker Jamaï, l’un des journalistes poursuivis, pour ne pas dire régulièrement harcelés, par la justice. Ses prises de positions audacieuses voire courageuses en on fait la cible du pouvoir.
Les signataires du manifeste de l’indépendance font tous partie du panthéon marocain dans lequel,nul n’hésitera à inscrire le nom de ceux qui ont poursuivi la lutte pour la liberté au-delà de l’indépendance.
Khalid et Boubker Jamaï, tout deux journalistes, respectivement fils et petit-fils de Bouchta El Jamaï, sont sans doute de ceux-là. Tout comme l’ont été Abdellatif Laâbi et tant d’autres qui sont rentrés dans ce panthéon, certes à bout de "souffle" mais incontestablement par la grande porte !
L’affaire Jamaï débute par le dépôt d’une plainte contre l’hebdomadaire le Journal dirigé par Boubker Jamaï par le Centre européen de recherche, d’analyse et de conseil en matière stratégique (ESISC).
L’ESISC reprochait à Boubker Jamaï la publication, dans l’édition du 3 décembre 2005, d’un article critique remettant en cause son objectivité et plus précisément, un de ses rapports sur le Polisario, un mouvement sécessionniste du Sahara marocain (dit occidental).
Le sujet du Sahara marocain est certes tabou mais la critique du pouvoir semble l’être encore d’avantage. La justice lui avait réclamé trois millions de dirhams, soit près de 270 000 euros de dommages et intérêts, ce qui est totalement disproportionné pour le Maroc et surtout pour un journal indépendant qui ne vit que de ses ventes et très peu de la publicité dépendant du pouvoir.
Pour bien comprendre
les enjeux de cette plainte et la réquisition qui s’en est suivie, il faut se
mettre dans le contexte local.
Il n’aura, bien sûr, pas échappé à l’observateur attentif de la vie politique marocaine que ceci n’est que l’illustration d’une nouvelle forme de « répression » qui touche la presse de manière déguisée. La main de fer a mis un gant de velours.
En effet le pouvoir marocain, longtemps mis à l’index pour ses exactions contre ses opposants et une certaine presse « libre », ne pouvait plus, du fait de la pression internationale, toucher physiquement aux journalistes sans se couvrir d’opprobre.
L’Etat a fini donc par trouver une arme assez redoutable et qui joue un rôle de dissuasion efficace : la justice et les condamnation avec des dommages et intérêts exorbitants.
C’est même devenu au fil des ans et du silence des chancelleries occidentales tout simplement une arme de destruction massive utilisée à l’encontre d’une presse déjà très fragilisée par la le « chantage publicitaire », les amendes astronomiques et les contrôles fiscaux « inopinés » qu’elle subit.
Dans l’autre affaire, celle du journal Nichane, où il est question d’humour, le réquisitoire du procureur du roi ne fait vraiment pas rire. Le 8 janvier 2007, le procureur du roi a requis, à l’encontre du directeur de l’hebdomadaire Nichane (proche de la revue « Tel Quel ») une peine de trois à cinq ans de prison assortie d’une amende pouvant aller jusqu’à 100 000 dirhams (8950 euros) et une interdiction d’exercer pour le journaliste. Pour quel crime ce procureur aurait-il requis une peine aussi lourde ?
Le journaliste de Nichane était poursuivi pour “atteinte à la religion islamique” et “publication et distribution d’écrits contraires à la morale et aux mœurs” suite à la parution, dans l’édition du 9-15 décembre 2006, d’un dossier intitulé “Blagues ou Comment les Marocains rient de la religion, du sexe et de la politique". Rien que ça !
Le Premier ministre Driss Jettou avait dès le 21 décembre suspendu la diffusion de l’hebdomadaire dans les kiosques, et ce, bien avant la fin du procès !
Dans ce cas, la confusion entre droit pénal, code de la presse et procédure administrative est manifeste, ubuesque même !
Peut-on pour autant qualifier la justice marocaine de moyen-âgeuse ?
Ce serait très certainement une insulte injustifiée, car à bien des égards elle offre plus de garanties que dans bien d’autres pays. Mais est-ce suffisant pour s’en vanter ?
Non ! Mais il faut reconnaître qu’elle s’illustre assez régulièrement, si ce n’est « trop » souvent par une exagération ou une disproportion et un arbitraire qui ternissent son image.
Cela nous empêche en tout cas d’esquisser toute comparaison avec les pays dits de droit comme cela est communément admis. Dans cette deuxième affaire, un point positif est à noter, si on admet qu’on puisse trouver du positif dans une aussi triste affaire.
Le journal Nichane n’a
pas été saisi à sa sortie ni même les jours qui ont suivi mais plus tard... Le numéro en question a même fait sa
vie en kiosque avant d’être remplacé par le numéro suivant sans être retiré. Cela prouve
que les blagues sur le roi ou le pouvoir n’ont pas dérangé. Mais alors pourquoi
diable le Premier ministre s’est-il subitement fourvoyé en interdisant le
journal quelques jours après sa parution et laissé pourrir une procédure qui n’avait pas
lieu d’être ?
Ce qui est incompréhensible vu de l’extérieur devient limpide quand on consulte la presse étrangère. Il semblerait que le pouvoir et, par conséquent, le roi Mohammed VI aient subi des pressions extérieures de la part d’activistes musulmans de pays du Golfe très enclins à critiquer les autres sans se soucier de leur propres tares.
Le Koweït est de ceux-là et demandait avec insistance et grâce à une agitation de circonstance, orchestrée devant l’ambassade du Maroc, des têtes à l’image des manifestations qui ont visé nos amis danois suite à l’histoire des caricatures.
Cela a suffi à mettre le feu aux poudres et à plier le pouvoir marocain.
Le Journal
hebdomadaire relate avec clarté "Les dessous de l’affaire Nichane", en publiant
un excellent décryptage. La suite de
l’affaire m’a laissé sans voix. Sans voix et inconsolable, pas même par le
communiqué de Reporter Sans Frontières.
Ce n’est pas le réquisitoire, qualifié d’insensé et archaïque par Reporters sans frontières, qui m’a laissé sans voix mais plutôt que le Maroc de Mohammed VI puisse fléchir devant une poignée d’individus rétrogrades...alors que celui de Mohammed V avait courageusement résisté aux vichystes et aux nazis alors qu’il était occupé !
En effet, difficile de ne pas faire ici aussi le parallèle avec la position de Mohammed V durant la Seconde Guerre mondiale, avec son appel de Septembre 1939 et ses prises de position ultérieures en 1940.
Mohammed V s’opposa en 1940 à l’application des mesures ségrégationnistes demandées par les nazis au gouvernement de Vichy à l’encontre des Juifs du Maroc. Un appel rédigé le 3 septembre 1939 et lu dans toutes les mosquées du royaume avait clairement affirmé que le souverain soutenait la France contre l’agression allemande avant de s’opposer plus tard à la demande des forces du protectorat de cette même France sommée par les nazis de recenser les Juifs marocains "vraisemblablement" avant de les déporter. Je dis "vraisemblablement" car nombreux sont ceux qui ont dit en France qu’ils ne savaient pas !....
Etonnant car au Maroc les gens savaient....que les recensements administratifs se terminaient par un décompte macabre.
Il s’était dressé face là ’administration du protectorat vichyste, offrant à l’Histoire l’image d’un monarque éclairé et inflexible quand cela était nécessaire comme face à la barbarie des nazis. Son courage aura été de s’opposer à une décision venue d’ailleurs pour limiter la liberté de ses propres sujets, alors qu’il était lui-même sous la contrainte, puisque le Maroc de l’époque n’était pas encore indépendant.
On ne reprochera par ailleurs pas à Mohammed V de s’être aplati face aux forces de protectorat puisqu’une fois la guerre finie il reprit son combat pour l’indépendance en demandant à la France de respecter ses engagements en quittant le Maroc et en levant le protectorat.
Les rois passent, l’Histoire et les peuples restent !
Dommage que Mohammed VI après un début prometteur se soit mis à s’inspirer de l’histoire peu glorieuse en matière des libertés publiques écrite par son père alors qu’il aurait été infiniment plus inspiré de relire celle gravée par son grand-père.
L’histoire doit avoir un sens et ceux qui s’arrogent le droit de l’écrire devraient s’inspirer des pages les plus glorieuses plutôt que les plus sombres pour s’élever.
Pour le moment, des collectifs s’organisent au Maroc pour dénoncer cet arbitraire qui pousse des journaux indépendants comme Tel Quel ou Nichane à accepter l’arbitraire ou un brillant journaliste comme Aboubakr Jamai à s’exiler du Maroc.
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