« Avec Carla, c’est du sérieux ! » disait l’un. « Estelle, j’ai besoin d’elle ! » dit l’autre
L’art du contre-pied est une feinte délicieuse pour le spectateur d’un penalty. Le gardien plonge à droite quand le ballon surgit à gauche dans la cage. On n’imagine que pour qui en est le jouet, le plaisir est bien moindre. N’est-ce pas justement un contre-pied que le sélectionneur Raymond Domenech a effectué, mardi soir 17 juin 2008, après la défaite de l’équipe de France et son élimination piteuse de la Coupe d’Europe ?
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Une demande publique en mariage
Le reporter sportif de M6 venu recueillir ses précieuses pensées à la fin du match n’en est pas revenu, des millions de téléspectateurs non plus ! Après quelques paroles convenues sur la valeur prometteuse de son équipe battue, l’entraîneur a adressé publiquement une demande en mariage à sa compagne, l’animatrice de l’émission sportive de la chaîne, Estelle Denis : « Je n’ai juste qu’une chose à dire, a-t-il confié tranquillement, j’ai qu’un seul projet, c’est d’épouser Estelle. Donc c’est aujourd’hui que je lui demande vraiment. Je sais que c’est difficile, mais c’est dans ces moments-là qu’on a besoin de tout le monde et moi j’ai besoin d’elle. »
Singulier commentaire d’un entraîneur après la déroute de son équipe que ce mélange des genres entre vie publique et vie privée ! Un tel impair surprend de la part d’un individu plutôt cassant, apparemment peu sentimental, et surtout rompu à l’exercice de l’information indifférente, rituellement quémandée par des escouades de journalistes sportifs, et qu’il délivre avec plus ou moins de superbe pour la promotion de son action et celle de son équipe. N’a-t-il pas été décrit comme assez méprisant envers ces médias à ses basques qu’il tiendrait en piètre estime ?
L’hypothèse d’un leurre de diversion
On est donc tenté de voir d’abord dans cette extravagante déclaration une opération mûrement réfléchie. Il s’agirait dans ce cas d’un leurre de diversion visant à détourner l’attention : il livrerait en pâture un flash sur sa vie privée pour qu’on parle moins de la défaite de son équipe. Un puissant réflexe d’attirance jusqu’au voyeurisme est, en effet, susceptible d’être déclenché par l’exhibition d’une relation conjugale entre deux stars, un entraîneur national et une animatrice de télévision. Ce réflexe peut l’être d’autant plus qu’une telle demande publique en mariage n’a, sauf erreur, jamais été tentée avec tant d’impudeur à la face d’une dizaine millions de téléspectateurs.
Parallèlement, un réflexe de compassion pourrait être aussi suscité par un tel appel de détresse simulé : « C’est dans ces moments-là, dit-il, qu’on a besoin de tout le monde et moi j’ai besoin d’elle. » Le malheur de son équipe, rappelle-t-il ainsi, est d’abord le sien : toute star qu’il soit, il reste un homme qui connaît des moments de faiblesse et aspire à l’amour. Cette humanité recouvrée doit le rendre sympathique aux yeux de ses supporters. Il appelle donc à l’aide, car, sans doute, n’ignore-t-il pas l’autre partie qui l’attend. Le journaliste le lui a rappelé d’entrée : que répond-il à ceux qui vont demander sa démission ? Il feint donc de s’en désintéresser : il préfère louer les qualités de son équipe promise à un grand avenir, histoire de signifier qu’il n’a pas fini son travail avec elle, que son contrat court jusqu’en 2010, date de la prochaine Coupe du monde en Afrique du Sud et qu’il n’entend pas démissionner.
Attention, il ne se livre surtout pas en victime expiatoire d’une défaite dont il serait le seul responsable. Il s’offre en victime seulement pour solliciter le secours de tous ceux qui lui doivent peut-être leur promotion. Et qui sait si la proximité d’un entraîneur de l’équipe de France de football n’est pas un atout pour l’animatrice d’une émission sportive à la télévision, ne serait-ce que pour avoir avant tout le monde des informations de première main ?
Un précédent illustre
L’autre hypothèse pour expliquer cet apparent dérapage, serait un désarroi tel que l’entraîneur en serait venu à perdre le sens et à confondre vie privée et vie publique à un micro qu’il a tant fréquenté pour y distiller ce qu’il entendait seulement y dire. En somme, quand, dans cette équipe de France, ce n’est pas un joueur qui donne un coup de boule, c’est l’entraîneur qui la perdrait et ce sont les fans qui les ont dans les deux cas ! Ne plaide pourtant pas en ce sens, le langage analogique qui a accompagné cette confidence, c’est-à-dire le calme et la fermeté dans la voix avec lesquels il s’est exprimé, sans que le moindre indice de fébrilité ait pu être décelé sur son visage.
Revient, au contraire, à l’esprit une autre scène assez semblable où l’intéressé a avoué en fin d’intervention que sa réponse avait été préparée puisqu’il s’attendait à la question. Lors de sa conférence de presse du 8 janvier 2008, à une petite journaliste fringante mais un peu godiche qui lui demandait s’il allait épouser Carla Bruni, le président de la République n’avait pas répugné à s’étendre longuement sur sa nouvelle relation féminine en assurant son auditoire qu’« avec Carla, (c’était) du sérieux ! ». L’avantage de l’opération avait été de masquer un peu une promesse de campagne non tenue sur l’amélioration du pouvoir d’achat qui, lui, intéressait autrement les Français.
« La transparence en politique, avouait l’ancien Premier ministre D. de Villepin, le 6 mai dernier devant des étudiants de Paris-Dauphine, est toujours le maquillage de quelque chose. » L’entraîneur de l’équipe de France vient sans doute, après le président de la République, d’en faire une nouvelle démonstration. Reste à savoir si cet exhibitionnisme atteindra son but auprès de fans dépités de voir leurs héros humiliés. Pourquoi pas ? Si « Avec Carla, c’est du sérieux » a pu faire un temps son effet, pourquoi ne pas tenter en le criant sur les toits « Estelle, j’ai besoin d’elle ! » ? Ce sont Estelle et Raymond qui ont dû bien se marrer ! Mais ils ont peut-être été les seuls ! Paul Villach
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