« L’oubli drape les morts d’un second linceul » écrivait à juste titre Lamartine. Un syndrome qui frappe une nouvelle fois les aviateurs Alcock et Brown. Car, n’en déplaise à nos grands médias, ce ne sont ni Lindbergh ni Nungesser et Coli qui ont réussi la première traversée transatlantique, mais les deux britanniques, spoliés d’un formidable exploit.
Depuis deux jours, les médias français font état d’un document qui semblerait confirmer que Charles NungesseretFrançois Coli avaient bel et bien franchi l’Atlantique à bord de L’oiseau Blanc, leur mythique avion disparu en mer le 8 mai 1927. Ce document, découvert dans les archives américaines par Bernard Decré, président de l’association Á la recherche de L’oiseau Blanc et fondateur du Tour de France à la voile, est un télégramme des gardes-côtes américains daté du 18 août 1927. Ce document signalait alors la découverte d’une aile d’avion blanche de 15 pieds sur 4 qui pourrait être une partie de l’épave de l’avion des Français.
Rendu public par Bernard Decré, ce télégramme a suffi à enflammer l’imagination des journalistes et suscité les spéculations sur la réussite effective de Nungesser et Coli qui auraient atteint Saint-Pierre-et-Miquelon, devenant ainsi, 12 jours avant Charles Lindbergh sur le Spirit of Saint Louis, les auteurs du premier vol transatlantique sans escale. Un exploit qui pourrait être confirmé dans les mois à venir par une équipe de plongeurs chargés, à la demande de l’association de Bernard Decré, de retrouver la carcasse de l’avion disparu afin d’établir avec certitude la réalité de l’exploit et lever définitivement les incertitudes qui perdurent sur le sort de L’oiseau Blanc.
Ces réserves devraient inciter les journalistes à être plus prudents dans leurs cocoricos enthousiastes pour saluer l’exploit, encore virtuel, des deux aviateurs français. Il n’en n’est rien car si tel est le cas dans l’article du jour signé Sophie Babaz sur le site Le Monde.fr, il n’en va pas de même dans d’autres médias, notamment radiophoniques. Un emballement d’autant plus ahurissant que ce ne sont ni Lindbergh ni Nungesser et Coli qui ont réussi cette fameuse première, mais un capitaine de la Royal Air Force, John William Alcock et un ingénieur écossais du nom d’Arthur Whitten Brown, huit ans avant nos protagonistes de 1927, sur un biplan Vickers, le 14 juin 1919 !!!
Dans un article paru le 2 juin 2010 sur AgoraVox et intitulé Justice pour Alcock et Brown, je racontais cette histoire méconnue et le vol, particulièrement périlleux, qui avait conduit les deux britanniques d’un champ de Terre-Neuve jusqu’aux tourbières du Connemara en Irlande. L’exploit avait été salué par des articles dithyrambiques dans la presse des deux continents, et notamment dans les colonnes du New York Times. Il avait également valu aux courageux aventuriers un prix de 10 000 ₤ remis par Lord Northcliffe, patron du Daily Mail. Sans oublier une réception au palais de Buckingham où les deux aviateurs avaient été anoblis par le roi George V.
Pourquoi l’Histoire est-elle si souvent bafouée ? Et comment se fait-il que des médias sérieux puissent ainsi relayer des informations relevant de la légende et non de la vérité ? Mystère ! Mais cela ne peut qu’alimenter la suspicion d’un public qui, de plus en plus souvent, a l’impression qu’on lui fait prendre les vessies pour des lanternes !
Il est toujours bon pour le moral de français surtout en ces temps difficile à faire « Cocorico » quitte à détourner la vérité.
Cependant, en faisant une petite recherche sur Internet et le sujet, il « semblerait » que Alcock et Brown ne soit pas les premiers à avoir effectué un vol transatlantique mais plutôt un certain « Albert Cushing Read » au mois mai de 1919 (1 mois avant)
Il semblerait par contre que ce premier vol transatlantique a été fait avec escale , ce qui ne semble pas le cas pour Alcock et brown ... Donc juste pour la précision, la première traversée transatlantique SANS ESCALE a été réalisé par Alcock et brown
Sauf erreur de ma part (je ne suis pas spécialiste de l’histoire aéronautique), Albert Cushing Read avait effectivement fait étape aux Açores. Qui plus est il pilotait un hydravion qui lui permettait de se poser sur l’océan en cas de difficulté.
La polémique porte donc sur le premier vol transatlantique sans escale entre les les deux continents, et une chose est sûre : ce n’est évidemment pas Lindbergh qui l’a réalisé comme les médias américains nous l’ont fait croire depuis le vol du Spirit of Saint Louis. Mais il est vrai que l’arrivée de Lindbergh au Bourget et la réception qu’il a reçue à son retour à New York ont marqué les esprits, et cela d’autant plus que ces évènements ont été fimés et diffusés dans le monde entier.
Quant à Alcock et Brown, il n’y avait qu’un paysan pour les accueillir dans la tourbière de Derrymelagh...
Vous avez raison, le mal est plus profond, et cette petite polémique aéronautique peut paraître dérisoire en regard des enjeux portés par la manipulation historique. Mais ceci est sans doute un autre débat qu’il conviendrait d’appronfondir...
Pour ce qui est de Lindbergh, sa légende a bénéficié des images et de la mobilisation médiatique sans précédent autour d’une tentative annoncée entre deux villes emblématiques, New York et Paris. L’enlèvement et l’assassinat de son bébé, deux ans tard, achèvera, de manière horrible, de fixer son exploit dans la mémoire collective.
Cela dit, Lindbergh a bien été le premier à traverser l’Atlantique en solitaire, et cela, personne ne le lui conteste.
En matière de « traversée », il y a bien souvent des conventions, sinon, on peut faire dire un peu ce que l’on veut à l’histoire, et trouver sans fin des pionniers de ceci ou cela. En l’espèce, ni l’exploit d’Alcock et Brown, ni celui de Nungesser et Coli (dont il semble de plus en plus probable qu’ils aient quasiment touché au but), ne me semblent relever de la traversée transatlantique complète, de continent à continent. Les premiers, car ils ne relient « que » deux îles, certes proches de chacun des continents, mais ceci réduit la traversée de 5800 à 3600 km ! Les deuxièmes, car malheureusement, ils se perdirent à 200 ou 300 km du but : New York.
Sauf à prouver (et ce devrait être difficile...) que leur avion a délibérément fait l’objet d’une attaque visant à les empêcher d’atteindre le continent, et tout en leur reconnaissant les vertus extraordinaires qu’il faut pour entreprendre une telle traversée, le vol de Lindbergh me semble conserver toute sa légitimité, en tant que « vol transatlantique inaugural » !
Mais, quels qu’ils soient, et qu’aient été les rivalités ou coup bas de cette course, QUELS HOMMES !!
Vous avez raison de souligner ces différences. Mais s’il est vrai que la distance parcourue par Alcock et Brown a été moins importante, leur exploit n’en est pas moins fabuleux car accompli, dès 1919, à bord d’un bombardier biplan Vickers simplement (et dangereusement) lesté du carburant nécessaire, un appareil nettement plus archaïque que le Spirit of Saint Louis de Lindbergh. L’exploit de l’Américain n’en est pas moins remarquable.
Il y a une « petite » différence entre un vol est-ouet et un vol ouest-est, l’un s’effectue contre les vents dominants (est-ouest) et l’autre est porté par un vent favorable.
C’est pour cela que Lindberg a réussit et que Nungesser et Coli ont échoué, ils sont probablement tombé en panne d’essence et perdu dans la brume ils n’ont pas pu trouver un endroit où se poser.
Vous avez tout à fait raison de souligner ce point : les vents sont en effet porteurs d’ouest en est en vol direct entre l’Amérique du Nord et l’Europe, d’où la descente vers les Açores des navigateurs qui effectuent le parcours inverse pour trouver les alizés porteurs d’est en ouest.
Quant aux raisons qui ont provoqué la disparition de l’Oiseau Blanc, elles restent encore inconnues. Sans doute les incertitudes ne seront-elles levées qu’avec la découverte de l’épave. Mais les causes que vous évoquez semblent les plus plausibles.
Merci pour ce commentaire. Je n’ai évidemment pas pour ambition de « détruire la doxa de l’aviation », mais il est vrai que dans ce milieu, comme dans tous les autres, il existe un ensemble de clichés, d’idées reçues, de présupposés hypothétiques, voire de manipulations, qui ont tendance à s’imposer comme la vérité incontournable. Et cela d’autant plus aisément que les médias, consciemment ou pas, relaient sans sourciller ces erreurs ou ces approximations.
D’où la nécessité de remettre les pendules à l’heure lorsque l’occasion se présente.
« Nungesser et Coli, plus de 80 ans après les faits, peuvent toujours espérer effacer Lindbergh des tablettes. L’Histoire dira peut-être bientôt si les journaux français qui avaient titré »Ils ont réussi« avaient eu finalement raison ou non. Pour ceux qui voudraient en ce cas saluer l’exploit, ils peuvent toujours se rendre au Musée de l’Air, à Paris, au Bourget, et se recueillir devant un bout de ferraille à deux roues : Nungesser et Coli, juste après leur décollage, avaient largué leur train d’atterrissage jugé trop lourd et trop encombrant pour amerrir comme prévu en baie de New York (l’avion étant prévu ainsi dès le départ comme étant aussi un hydravion). A ce jour, c’est tout ce qu’il reste de nos deux héros. A moins que... »
Merci, Morice, pour le lien avec cet excellent article qui m’avait échappé au moment de sa publication.
L’hypothèse des contrebandiers ne semble plus avoir trop la cote, mais on ne sait jamais, tant les juteux trafics étaient alors nombreux sur les grèves dans une Amérique encore en pleine prohibition.
Peut-être la prochaine camapgne de plongée, programmée en juin 2011, permettra-t-elle d’écrire enfin le dernier chapitre du vol de Nungesser et Coli...
Ah, je comprends tout, c’est pour rendre hommage que Pipole 1er s’est fait repeindre un autre oiseau tout blanc, pour la modique somme de 198 millions de boules (€) afin de rendre hommage à ces valeureux hommes.
Mais il a dû confondre le voleur dans l’oiseau blanc et les voleurs avec l’oiseau blanc.
Ce sont surtout les « valeurs » comparées de notre Matamore et de ces deux aviateurs qui sont aux antipodes les unes des autres, et notamment le vrai courage.
La mort de ces aventuriers ajoute une dimension dramatique à l’exploit mais ne le diminue en rien à mes yeux. Avec le temps, et s’il est prouvé un jour que Nungesser et Coli ont bien atteint Saint-Pierre et Miquelon, leur vol en sera d’autant plus légendaire qu’ils auront disparu aux commandes de leur avion, tel un acteur mourant sur scène.
sans même faire allusion à Alcock et Brown et que pour ces pioniers l’exploit outre la traversée était belle et bien d’arriver vivant .
exact et bien vu : mais eux ils avaient fini plantés dans une tourbière en Irlande... ce devait être moins médiatique, mais pour moi, ce sont bien eux les pionniers de la traversée en effet !
Eh oui, Morice, bien d’accord avec vous. On n’imagine pas à quel point ces deux hommes ont pris un terrible risque en s’embarquant sur ce bombardier biplan Vickers dont les missions durant la guerre étaient limitées à quelques centaines de kilomètres. Leur voyage a d’ailleurs été particulièrement périlleux, et c’est par miracle qu’ils ont pu atteindre les côtes du Comté de Galway.
Quant à l’atterrissage, en l’absence de tout terrain adapté, il s’est fait in extremis sur la tourbière de Derrygimlagh, et là n’est pas la moindre curiosité de cette aventure car dans cet univers quasiment désertique - les brebis y sont, de nos jours encore, plus nombreuses que les hommes -, Gugliemo Marconi avait installé sa principale station télégraphique, à quelques centaines de mètres du lieu d’atterrissage d’Alcock et Brown. C’est de cette station que fut émis le premier message commercial transatlantique vers Glace Bay en Nouvelle Ecosse (Canada) en octobre 1907. Et c’est tout naturellement de cette station que partit le jour même de l’arrivée des aviateurs la nouvelle de leur réussite (mouvementée) vers le continent américain.
Un Marconi présent partout à Clifden où il partage la vedette à... Alcock et Brown, y compris dans les pubs, au son de l’uillean pipe, du fiddle et du bodhran.
je trouve votre article fascinant et bien plus intéressant qu’une quantités d’autres, sempiternelles variations sur des thèmes invariablement rabâchés sur le site.
Je m’intéresse depuis l’enfance à l’histoire de l’aviation de la seconde guerre, et même si c’est hors sujet, c’est aujourd’hui seulement que j’apprends que Lindbergh n’était pas le premier aviateur à réussir un vol transatlantique ! Avec preuve à l’appui, ça n’est contesté par personne dans le domaine. Y a pas à dire, l’Histoire est écrite par les vainqueurs ! Propagande, tout est propagande.
Je me demande combien d’autres trucs que nous prenons pour acquis sont tout aussi contestables. Si d’autres en connaissent, ça pourrait faire des articles, qui loin des anecdotes, nous montreraient comme nos convictions sont parfois bâties sur du sable.
Bonsoir, Bluebeer, et merci pour votre commentaire.
Comme vous, j’ai appris tardivement l’existence d’Alcock et Brown et découvert avec stupéfaction leur vol de 1919 lors d’un passage à Clifden il y a bien longtemps. Et c’est en retournant au printemps dans cette région et alors que j’admirais le paysage des Bens (les montagnes du Connemara) depuis le monument dédié aux aviateurs près de la tourbière historique que j’ai pensé écrire un article sur ce sujet. D’une part, pour faire connaître Alcock et Brown à ceux qui en ignoraient l’existence. D’autre part, pour montrer que Lindbergh avait été devancé 8 ans plus tôt.
Vous avez raison, il existe sans aucun doute de très nombreux cas de mystification historique, volontaire ou pas, et il serait en effet utile d’en dénoncer l’existence, ici ou ailleurs.
Historiens amateurs ou amateurs d’histoire, à vos plumes !
@ bravo fergus pour ces très intéressantes révélations.Cet héroïsme paraît si lointain et il est si proche ! Il y a eu une telle accélération du temps en ce qui concerne le progrès technique. je pense que le progrès moral, pendant ce vingtième siècle, a lui aussi progressé, quoique certains en pensent. Mais nous vivons actuellement une régression due à l’excès de bienfaits justement..
Ce qui m’avait frappé en lisant je ne sais plus quoi, c’est la somme d’héroïsmes incroyables dont nous ignorons tout et pour toujours. L’homme est une belle espèce. Il faut quand même le dire et ne pas sombrer dans un pessimisme qui n’a pas lieu.
Les progrès techniques des dernières décennies sont effectivement impressionnants. Il me suffit à cet égard de me pencher sur mon enfance et notamment sur le monde agricole que j’ai connu dans les années soixante en Auvergne pour mesurer les changements.
Accumulation de bienfaits liés à la technique, sans doute, mais également des régressions sociales liées à la perte des valeurs collectives. Le monde dans lequel nous vivons est à l’évidence déboussolé par une transformation trop rapide à la fois sur le plan économique et sur le plan sociétal. Mais il faudra bien s’y habituer ou avoir la force de le redessiner autrement. Vaste programme !
Vous avez raison, l’homme est une espèce passionnante, mais plutôt que belle, je dirais fascinante à observer dans la mesure où elle est capable, c’est vrai, de produire de l’héroïsme, y compris là où on ne l’attend pas forcément, mais également des actes inqualifiables, et cela sous la même enveloppe charnelle. Impressionnant, non ?
Pour en revenir au sujet, au moins gardons-nous avec ces aviateurs une belle image de l’humanité entreprenante et courageuse.
Qu’il y ait des « journalistes citoyens » qui commettent des erreurs, c’est indiscutable. Que le « journalisme citoyen » ne soit pas irréprochable en matière de diffusion de l’information, c’est tout aussi indiscutable. Mais, comme toute nouveauté, ils doivent grandir et trouver leurs marques. Pour autant, le résultat obtenu constitue d’ores et déjà un grand progrès, ne serait-ce qu’en posant un regard critique et distancié sur des affaires ou des sujets volontairement éludés par les médias traditionnels, ou en mettant en ligne des réflexions alternatives, souvent de qualité, sur des thèmes sociologiques, politiques, économiques ou culturels.
Ce constat fait, il n’est évidemment pas question de glorifier le journalisme citoyen et de fustiger le journalisme traditionnel. Mais force est de reconnaître que s’il existe des erreurs dans le premier, cela vaut également pour le second. Pourquoi le nier ?
Cela dit, la question que vous soulevez est intéressante et mériterait un débat approfondi. C’est pourquoi je vous suggère de soumettre un article argumenté sur le sujet. Nul doute qu’il susciterait de très nombreuses réactions et apporterait, peut-être, un éclairage inattendu sur la question.
Je comprends vos arguments et je les respecte. Je n’en pense pas moins que le journalisme citoyen, dont je ne méconnais pas les limites actuelles, est un progrès réel car il constitue un aiguillon pour les médias traditionnels. Cela dit, oui, il y a des rédacteurs qui ne s’embarrassent pas de scrupules éditoriaux, ce qui, je l’espère, n’est pas mon cas.
Dommage que vous ne preniez pas le temps, pour une fois, d’exposer dans un article votre vision du journalisme sous ses différentes formes. Je ne doute pas qu’il serait très intéressant de vous lire et de prendre connaissance des commentaires que votre article susciterait.
En ce qui concerne la traversée d’Alcock et Brown, vous avez raison, ils ont effectué un parcours plus court que Lindbergh, mais à une autre époque et sur du matériel nettement moins fiable. Qui plus est, Tere-Neuve fait partie du continent américain comme l’Irlande fait partie du continent européen. Ils ont d’ailleurs été recompensés et anoblis pour cet te « première », et l’on a oublié à quel point ce vol a été salué par les américains eux-mêmes comme le plus extraordinaire exploit de l’époque.
Merci pour le lien avec l’album de carmen Maria Vega. J’avoue que je ne connaissais pas, mais je trouve cela très sympa, un peu comme les chansons d’une autre fille talentueuse, la swingeusue Rennaise Marie Kiss la joue.