Belgique : vers un confédéralisme solidaire ?
Après près de cinq mois sans gouvernement, la Belgique est à la croisée des chemins. La formation du gouvernement libéral-démocrate chrétien peut capoter à tout moment. Et si un confédéralisme bien pensé était la solution ?
La Belgique est un bateau ivre qui a traversé bien des vicissitudes. Son absence d’identité véritable inscrite dans les gènes l’amène tout naturellement, à se poser la question de son existence. Accident géopolitique, à cheval sur l’antique ligne de fracture entre Latins et Germains, elle traverse la crise la plus grave de son histoire. Pour la première fois, dans le cœur des francophones et des Flamands, la volonté de vivre ensemble n’y est plus. Un mur d’incompréhension sépare deux communautés qui ne se fréquentent plus ni ne se parlent.
La différence d’approche dans les réponses apportées aux grands défis du XXIe siècle est abyssale. Les Flamands souhaitent des allocations de chômage limitées dans le temps, les francophones répondent « chasse aux chômeurs ». A la maîtrise des flux migratoires prônée par les uns s’oppose une politique de régularisation massive. Les uns demandent l’extension de l’aéroport national ? Les autres répondent : nuisances sonores. Baisses fiscales ? Allocations garanties. Efficacité ? Solidarité. Privatisation ? Maintien du service public. Antiterrorisme ? Respect de la vie privée. La Flandre est à droite, le sud à gauche. 40 % des Flamands souhaitent l’indépendance pour 12 % des francophones.
Mais la différence n’est pas qu’idéologique. Mélange de terre d’accueil pour les investissements étrangers et d’un réseau de PME familiales prospères, la Flandre présente un des bulletins économiques les plus alléchants d’Europe. Elle connaît le quasi plein emploi (moins de 5 % de chômeurs, plein emploi masculin), tous les indicateurs économiques sont au vert. Fourmi aux pieds d’argile ? Comme jadis la sidérurgie wallonne, les industries automobile (300 000 emplois) et pétro-chimique (Anvers, second port d’Europe) sont facilement délocalisables. Le taux d’entreprises innovantes est décevant (moitié moindre qu’aux Etats-Unis). La Flandre manque de friches industrielles pour se développer. Et ses citoyens sont las de payer aux Wallons 3 euros chaque matin.
En contrepartie, la cigale wallonne, en dépit d’améliorations timides (boom des exportations), présente un portrait moins contrasté, plombé par un chômage de masse, de longue durée et structurel qui varie entre 11 et 18 % selon les méthodologies utilisées. Elle affiche un taux anormal d’emplois publics tandis qu’un climat politico-affairiste de type maffieux a achevé de convaincre les Flamands que c’était assez.
Au milieu du gué, la Région de Bruxelles, capitale de la Flandre, de la Communauté dite « française » et de l’Union européenne, îlot francophone en terre flamande est une ville pauvre aux allures de riche grâce à la présence de nombreux sièges sociaux d’entreprises nationales et internationales qui dopent sa valeur ajoutée. Ultime ciment belge, la Capitale fédérale est l’enjeu majeur de la mauvaise pièce de théâtre qu’on est en train de vivre.
Deux camps, apparemment contradictoires, se font face. D’un côté, des négociateurs flamands, portés par un élan électoral régionaliste voire indépendantiste (victoires du CD&V-NVA, de Dedecker, échec du SPA et de VLD-Vivant, maintien du Vlaams Belang). Ils proposent que les Régions soient le moteur institutionnel de l’Etat belge, ce dernier ne conservant qu’une existence « par défaut ». En face, les francophones souhaitent un « stop institutionnel ». Ils voient les Régions subordonnées à un Etat fédéral fort. Toute avancée est une menace sur la solidarité interrégionale malgré les dénégations des Flamands jurant que le nœud du problème est « l’efficacité ».
Face à eux, trois scénarios de sortie de crise : 1) la scission du pays ; 2) l’approfondissement de la Régionalisation ; et 3) le confédéralisme.
La première option serait une folie. Refusée par l’essentiel des francophones et la moitié des Flamands, elle nécessiterait un coup d’Etat institutionnel de la Région flamande, déclarant unilatéralement son indépendance voire un vote unanime des 60 % de députés flamands au Parlement fédéral. Les Flamands pourraient perdre Bruxelles qui est aussi... la capitale excentrée de leur Région et, surtout, la fructueuse capitale de l’Europe. Il faudrait partager la dette publique (85 % du PIB), la Sécurité sociale, les chemins de fer, l’aéroport de Zaventem, la monarchie, les ambassades. Des signes délétères pour les investisseurs étrangers qui, déjà, se demandent à l’heure actuelle sur quel pied danser. Un Etat Wallonie-Bruxelles serait difficile à organiser. Le rattachement à la France implique l’adoubement des Français déjà bien servis en matière de reconversions sidérurgiques. Enfin, l’Union européenne voit d’un mauvais œil l’arrivée inopinée d’un 28e membre.
La deuxième option reste la plus vraisemblable. Par la porte ou par la fenêtre, les francophones devront accepter qu’une part des prérogatives fédérales glisse vers les Régions. Le moins douloureux serait la scission d’une partie des décisions en matière d’emploi (mais pas des cotisations idoines), la scission de l’arrondissement judiciaire et électoral Bruxelles-Hal-Vilvordre (une hérésie institutionnelle depuis la scission de la province de Brabant), des compétences en matière de mobilité et une partie du pouvoir fiscal. En contrepartie, Wallons et Bruxellois obtiendraient eux aussi plus d’autonomie pour régler leurs problèmes propres.
Reste - troisième solution - l’option confédérale.
Elle aurait plusieurs avantages : 1. La stabilité. Une fois circonscrites les compétences résiduaires de l’Etat fédéral (désormais confédéral), le pays pourrait fonctionner normalement et efficacement. La plupart des Flamands s’accommoderaient d’une telle solution. Les francophones pourraient obtenir le maintien des transferts nord-sud via un mécanisme de solidarité à inventer, notamment au sein d’une Sécurité sociale « confédérale ». Ce système pourrait se tarir à raison de 5 % par an pendant vingt ans, laissant au sud du temps pour sa reconversion. L’objectivation du baxter flamand ne pourrait qu’inciter le sud à prendre des mesures énergiques en matière de renouveau économique. 2. La pérennité du « produit » Belgique (commerce extérieur). A l’étranger, on rassurerait nos partenaires européens et on conserverait la capitale européenne principale. 3. L’efficacité : fini les interminables réunions inter-cabinets, rassemblant, dans les deux langues, les collaborateurs de trois, quatre ou même sept ministres, voici venus les paquets de compétence homogènes ! La dette publique (85 % du PIB) resterait à charge de l’Etat confédéral de même que la dette (abyssale : 8 milliards d’euros) de la SNCB. On conserverait la nationalité ainsi que quelques symboles qui font la différence : équipe nationale de football, monarchie, drapeau, défense nationale, aéroport, etc.
Le mouvement nationaliste flamand s’apaiserait, ayant obtenu l’essentiel de ce pourquoi il combat depuis un siècle et demi.
Enfin, nous nous retrouverions, francophones et Flamands, maîtres chez soi, encore plus amis qu’avant, ne dépendant plus désormais l’un de l’autre, et ayant une fois pour toute décidé de ce que nous voulons garder en commun.
Cette optique n’est pas la panacée. Mais elle vaut mieux sans doute que le lent détricotage d’une Nation moribonde.
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