Bertrand Delanoë ou l’audace des banalités
Le photographe et l’artiste peintre ont un press book, mais le press book ne sert à rien pour le politicien qui, lorsqu’il prétend à une responsabilité nationale en France, se doit d’écrire un livre.

Et comme on pouvait s’y attendre, Bertrand Delanoë s’est prêté à cet exercice. Les uns choissent l’essai, les autres l’entretien, ce qui est le cas du maire de Paris interviewé par Laurent Joffrin dont on est certain qu’il ne posera pas des questions enquiquinantes comme celle sur la monarchie élective lors d’une fameuse conférence de presse donnée par le président. Mais ne peut-on penser que ce cirage de pompe du rédac chef de Libé dessert Delanoë ? C’est possible au vu des quelques pages dévoilées par Le Nouvel Obs. Joffrin semble être une pièce rapportée car toutes ces questions, Delanoë aurait pu se les poser lui-même. Ce qui fait de ce journaliste un exécutant au service d’un publi-reportage. En se fiant aux bonnes pages publiées comme teasing, le résultat semble proche d’une plaquette publicitaire.
Un peu comme une boisson gazeuse. Delanoë se définit comme libéral et socialiste. Libéral, c’est devenu un ingrédient fondamental, aussi couru que la formule du Coca-Cola. Une formule que nul ne connaît car les secrets de fabrication du Coca sont pratiquement aussi protégés qu’un code atomique. Quant à la formule du libéralisme, nul ne la connaît parce que le libéralisme n’a aucune formule originelle et que n’importe quel cuisinier politicien, comme Delanoë ou un autre, peut se réclamer du libéralisme et se l’accommoder à sa manière, selon son flair d’animal politique soucieux de ce qu’il faut et ne faut pas dire pour ne pas fâcher l’électeur. Il y a le Coca light, il y a le libéralisme light, celui que propose Delanoë, un libéralisme qui ne fait pas grossir les profits parce qu’il est social. A consommer sans hésitation. Le libéralisme social est un produit pas facile à vendre si on veut obtenir une part de marché électorale de taille nationale. Les banalités sont en marche, Locke, les libertés, l’Europe des Lumières, les grandes conquêtes politiques et sociales, on se croirait dans un spot publicitaire pour parfum de luxe, avec une séduction étincelante de postures, d’effluves intellectuelles distillées à partir des meilleures fleurs des Lumières. Place à quelques lignes érudites et réfléchies de l’aspirant au pouvoir sur le PS. Parfois subtiles en apparence :
« C’est, comme son nom l’indique, une idéologie de la liberté, qui a permis l’accomplissement de grandes conquêtes politiques et sociales. Le principe en est simple : il n’y a pas d’oppression juste, il n’y a pas de chaîne qui ne doive être brisée, il n’y a pas de légitimité, ni donc de fatalité, à la servitude. Et le libéralisme, c’est dans le même temps l’idée que la liberté est une responsabilité, qu’être libre ce n’est pas faire ce que l’on veut, mais vouloir ce que l’on fait. Au nom de cet héritage intellectuel-là, celui de Montesquieu, de John Locke, au nom de ceux qui ont su se dresser contre le confort mortel de l’habitude pour dire non, je suis libéral. Je suis libéral parce que j’aime la liberté. Pour moi-même : j’ai toujours voulu être un homme libre de toutes les puissances et de toutes les dominations. Et pour les autres : j’aime les peuples libres qui défient la rigueur de l’Histoire, j’aime que, collectivement, s’exprime le désir d’avancer fièrement dans la voie que l’on s’est souverainement tracée. »
Voyons dans ce propos toute une rhétorique qui, exprimée par un tribun de l’envergure de Delanoë, pourrait galvaniser les foules socialistes, comme le fait un certain Barack Obama aux States. Delanoë se voit pousser les ailes pour décoller et incarner le rêve français démocrate. Les médias sont prêts à le propulser comme ils ont pratiquement fabriqué Ségolène Royal pour les résultats que l’on connaît. Méfions-nous des politiciens auxquels on donne de trop grandes ailes. Ils les agitent dans les médias, mais c’est surtout du vent qu’on perçoit ! Suivons les propos de Delanoë et nous verrons en mouvement une mécanique de fascination, qui n’est pas sans rappeler Sarkozy. Delanoë serait-il un Sarkozy de gauche, avec ses idées et sa croyance dans le réformisme, assumant avec professionnalisme l’héritage de Jaurès revisité avec la foi libérale et le vieux plan positiviste avec la croyance dans le progrès par l’économie de la connaissance ?
L’aspirant au trône du PS croit dur comme fer que la technologie et le développement durable sont les bases du salut de la société. Il croit même à une Europe qui serve de modèle de développement humain servant de référence au monde entier, non sans plus loin condamner le colonialisme français en Algérie. Le colonialisme serait-il acceptable quand il est du domaine des symboles et des modèles ? Delanoë montre quelques contradictions et c’est sans doute le lot de tout discours qui cherche à ratisser large. Au risque de laisser transparaître les signes du positionnement artificiel du politicien. On connaît bien la rhétorique, bien rodée, de Bush à Sarkozy ; celle consistant à extrapoler un ennemi physique ou idéologique, axe du mal pour l’un, Mai-68 pour l’autre ; ce qui permet se positionner. C’est ce que semble faire Delanoë, se démarquant d’abord face un vieux démon dont le fantôme hanterait les couloirs de Solferino, ce diable de collectivisme marxiste qui n’existe plus depuis des lustres. Puis Delanoë se voulant un progressiste en convenant que la gauche est le parti des fonctionnaires pour ensuite lancer une pique contre un Sarkozy jugé conservateur et étatiste. Une contradiction de plus traduisant la difficulté du PS à servir une brochure politique alléchante. A se demander si Delanoë ne nous présente pas un séjour aux Antilles qui, une fois vendu, nous conduira vers les plages de Calais (pardon les Ch’tis).
C’est certain, Delanoë a montré les biceps intellectuels d’un ambitieux maniant la rhétorique comme un artiste, mais, au final, se révélant avec des contradictions et sonnant creux de toute une somme de banalités. Et de clichés très modernistes. Notamment le PS qui doit devenir un parti de manager dixit le maire de Paris ! Sorel se réveillerait de sa tombe pour critiquer ce socialisme se positionnant en conducteur d’hommes. On aurait préféré un PS se montrant en éveilleur d’idées, en réveilleur de conscience. Une politique axée sur les managers ne conduit-elle pas aux mêmes déviances que la politique conduite par des notables ?
Un bon conseil pour économiser son temps et 20 euros, trois CD de chez Naxos, n’achetez pas le livre de Delanoë ; sauf si vous êtes un militant très scrupuleux et soucieux de la prochaine désignation du chef. Delanoë, contrairement à la béatitude dont il bénéficie dans les sondages, ne ferait pas un bon candidat, ni un bon président. Il n’écoute pas, il est autoritaire, imbu de lui-même. C’est triste à dire, mais sa seule utilité, c’est de neutraliser Ségolène Royal qui n’a pas non plus de légitimité à se présenter en 2012. Le PS n’a pas vraiment d’idées. Mais il se peut bien que le PS n’ait plus vocation à gouverner la France à une époque où le possible du progressisme semble épuisé et que le seul horizon est d’éviter une régression, notion différente de la grande dépression économique qui, du reste, semble s’être évaporée si on suit le cours du monde.
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