Bien raide justice !
La Belgique vient de refuser au président équatorien de libérer de sa geôle une petite fille de 11 ans, Angelica, qui est sans-papiers. George W. Bush vient de légitimer la torture en prétendant l’interdire par décret. En France, la Cour de cassation confirme une peine allongée par erreur de transcription de greffier ! L’expression « raide comme la justice » a un bel avenir devant elle !
Il avait été jugé et condamné en mai 2006 à deux ans de prison
dont six mois avec sursis. Le greffier chargé de taper la décision a écrit par
erreur "trois ans" sur la décision notifiée. À mi-peine, en
décembre 2006, alors que l’avocat déposait une demande de semi-liberté pour son
client, il s’aperçut de l’erreur. Il saisit la cour, qui reconnaît une "erreur
lors de la transcription". Que croyez-vous qu’il arriva ? Le
procureur fit appel, au nom sans doute du principe d’infaillibilité de la
justice française. Fort heureusement pour notre homme, la cour d’appel de
Versailles confirme le premier jugement de deux ans. Mais c’était sans compter
sur l’obstination du parquet qui fait un pourvoi devant la Cour de cassation,
laquelle rend l’erreur définitive. Au pays des affaires Dreyfus et Seznec, la
justice est bien raide !
Cette affaire toute récente me permet de faire une transition
vers une autre affaire : l’arrestation arbitraire de Sacha Guitry le 23
août 1944. L’Affaire Sacha Guitry est un téléfilm diffusé
mardi 24 juillet sur France 3. Au petit matin, Paris se libère. Cinq hommes
armés surgissent chez Sacha Guitry et l’obligent à le suivre. Aucune charge
précise n’est retenue contre le dramaturge, qui fera même remarquer à ses
geôliers (en lisant à l’envers) la mention "Motif de
l’arrestation : ignoré" qui figure en gros caractères sur le
procès-verbal de police. Peine perdue ! Le juge d’instruction, bien que
vite convaincu que l’arrestation ne repose sur aucun grief sérieux, tient à
poursuivre d’un zèle stupide et méchant l’œuvre de démolition entreprise
contre cet homme, au nom de la rumeur publique, du train de vie qu’il a
conservé durant les années noires. Et au nom du contexte historique ! Que
voilà un bel argument de juriste ! Puisque la rumeur publique dit que Guitry
a collaboré avec l’ennemi (Mme Michu le tiendrait de M. Glandu, qui aurait
vaguement entendu dire que...), c’est que c’est vrai !
Et même si la justice a fait une erreur, elle ne peut plus
revenir en arrière. Elle sait pourtant, la justice, que Guitry a joué de son
influence durant l’Occupation, et non sans danger pour lui-même, pour obtenir
la libération de onze personnalités, dont Tristan Bernard et son épouse. Mais
elle ne veut rien entendre la justice. Elle enferme le dramaturge, et puis
c’est tout ! Présumé coupable, il ne dispose d’aucun moyen de se défendre
efficacement. Il lui faut attendre patiemment le bon vouloir de la justice.
Encore a-t-il la chance, lui assène le juge d’instruction, de bénéficier d’une
instruction (en ces temps d’exécutions sommaires et de risques de lynchage
public). Il quitte la prison après soixante longues journées de fréquentation des
cafards, qui hantent les lieux de sinistre mémoire de sa captivité : le Vél
d’Hiv, le camp de Drancy, la prison de Fresnes. Il est libéré mais seulement parce
que la justice a consenti, dans sa grande clémence et son infinie clairvoyance,
à lui concéder un non-lieu !
"- Et alors je suis libre. dit K. avec hésitation.
- Oui, dit le peintre, mais seulement en apparence ou, pour mieux dire,
provisoirement."
(Le Procès, Kafka, extrait)
Un simple classement d’affaire ambigu ne le réhabilitera pas aux
yeux de tous. Sans doute ne pouvait-elle faire mieux, la justice, à cause de
son principe sacro-saint d’infaillibilité. Sacha Guitry dira plus tard qu’il
aurait préféré un procès pour aller jusqu’au bout des choses et laver son
honneur du doute que la raide justice a entretenu par cette lâcheté. Mais, à soixante
ans, usé par la calomnie, les trahisons et le zèle implacable de la justice, et
une captivité éprouvante, les juges savaient bien qu’il n’aurait pas eu la
force de les attaquer...
Il s’en sort blanchi, ses avocats ayant apporté la preuve de sa
vertu patriotique exprimée dans ses œuvres théâtrales passées habilement au
travers de la censure allemande. Mais à l’issue de l’instruction, Guitry se
retrouve bien seul. Comme se retrouvent aujourd’hui encore bien seules les
victimes de procès comme celui d’Outreau, les victimes d’erreurs judiciaires,
d’emprisonnements arbitraires pudiquement nommés "détentions préventives",
ou d’autres actions vindicatives ou tout simplement d’oublis dont la presse ne
parle pas...
"- Voilà la loi, où y aurait-il là une erreur ?
- Je ne connais pas cette loi, dit K
- Vous vous en mordrez les doigts, dit le gardien.
- Elle n’existe certainement que dans votre tête, répondit K. [...] Mais le
gardien éluda toute explication en déclarant :
- Vous verrez bien quand vous la sentirez passer !"
(Le Procès, Kafka, extrait)
Bien raide justice !
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