Bobos, cocos : même combat ?
D’abord, il y a Madame le maire, qui a dit dans l’un de ses discours : « Je ne laisserai pas Saint-Ouen aux bobos ». Ensuite, il y a le retour en force de Renaud avec sa chanson « Les bobos ». Enfin, il y a le chauffeur de taxi la semaine dernière qui, après m’avoir chargée à Paname 8e, m’a fait cadeau du rictus habituel quand j’ai annoncé Saint-Ouen, avant de me demander gentiment si, enfin, il pourrait dire à sa femme en rentrant qu’il avait fait une rencontre du 3e type avec un spécimen bobo.
Bobos, ce ne sont pas des bleus à l’âme ou aux genoux, non, c’est une tribu. Pour les spécialistes, les bobos appartiennent à une catégorie de la population dotée d’attributs socioculturels forts : les bourgeois-bohêmes. Ainsi, selon Mimie talentueuse blogeuse outre-Armor, le bobo est censé être riche et de gauche, consommateur compulsif et altermondialiste, élitiste et pour l’égalité des chances, fashion victim et assoiffé de culture, chic et débraillé, rat des villes et rat des champs...
Cocos, non, ce n’est pas le fan-club des œufs à la coque, mais bien les toqués du communisme. Une espèce bientôt protégée par le WWF qui n’a presque plus de députés à l’Assemblée.
Le bobo gagne bien sa vie, est un propriétaire privé comme 50% des Français et certains communistes de Saint-Ouen. Le bobo est souvent salarié, peut-être dans une grande entreprise que les cocos ont fait s’installer près du RER C Saint-Ouen, ceux-là mêmes qui se disent antilibéraux. Bref, j’avoue que je n’y comprends plus rien : les bourgeois seraient bohêmes, les cocos capitalistes. Mais alors, pourquoi y aurait-il incompatibilité d’humeur ?
À Saint-Ouen, bobo, c’est l’insulte suprême. D’ailleurs, quand la mairesse a dit dans l’un de ses discours : Je ne laisserai pas la ville aux bobos, j’avais envie de lui dire : je ne laisserai pas la ville aux cocos. Mais bon, je n’ai pas osé. Pourtant, ça m’a démangée. Mais, je suis définitivement contre le racisme social et toute forme de ghetto dans tous les sens. Je vous rappelle qu’on dit Neuilly et pas banlieue ;-))
Aïe, j’ai un problème, surtout depuis que j’ai écouté la chanson de Renaud, je crois bien que je suis une bobo. Et pourtant, je n’ai vraiment pas l’impression de déclencher la haine autour de moi, ni d’être montrée du doigt. Sauf une fois, à Saint-Ouen, décidément ! Quand une passante m’a bousculée violemment, je lui ai dit : Vous pourriez dire pardon. La passante m’a rétorquée : Sale bourgeoise. D’abord, j’ai pensé : bourgeoise, peut-être... Mais sale ? Ensuite, je me suis dit : zut ! la politesse c’est le monopole du savoir-vivre, pas de la bourgeoisie !
Comme dans la chanson de Renaud, j’ai lu Le petit prince à six ans, je travaille dans les médias, j’habite en banlieue, dans un pavillon ouvrier en briques et pas dans un loft, mais bon... Je mets des pulls Zadig & Voltaire (1), je roule à vélo (j’ai raté cinq fois mon permis), le catalogue Ikea trône dans mes WC et mon livre de chevet, non, ce n’est pas Cioran (trop chiant) mais en ce moment Présent, de Jeanne Benameur, que je recommande au passage.
Ensuite, si je tente une analyse en détail : bourgeois, bourgeois, ça veut dire quoi ? Eclairez-moi ! Le Petit Larousse Illustré 2004 dit : Personne conformiste et sans idéal, préoccupée de son seul confort matériel.
En ce qui me concerne, j’ai toujours fait des jobs peut-être conformistes, mais pas très bourgeois, genre caissière, vendeuse-serveuse, hôtesse d’accueil pour payer mes études. J’ai aujourd’hui un job à responsabilités, gagnées à la sueur de mes neurones, à coups de promos internes non canapélisées et non sponsorisées par les copains de papa-maman. J’ai créé un emploi de nounou et je fais mes courses au marché (pas bio) pour faire tourner le commerce local qui en a bien besoin. Enfin je pars en vacances deux fois par an avec Chouchou (mon mari, aïe c’est conformiste, le mariage ?) et mes trois blondes allias Fifi Brindacier, Miss Star Ac’ et Candy. Je paye des impôts et je suis parent d’élèves d’une école ZEP de la Rép’ dans le 9cube (oui, neuf trois c d-m-o-d-é !).
J’organise chaque année la fête des voisins. Je refile des bons tuyaux à tout le monde, j’aime les gens, sans doute par égoïsme parce que j’ai besoin de me sentir utile. Mon idéal, c’est en quelque sorte le décloisonnement, la recréation du lien social, ça manque beaucoup chez nous les urbains. Voilà, c’est pas que je veux vous éclabousser avec ma life, mais le truc, c’est que bobo, ça a une connotation négative. Et moi, ben je suis une fille qui a la postiveeeuuuu attitudeeeuuuu(2), même si Lorie ce n’est pas ma tasse de thé, ni Vincent Delerm d’ailleurs. Renaud, t’as tout faux, et si en fait j’étais pas une bobo ?
C’était Vis ma vie (3) ne zappez pas... Et bohême alors ? Toujours selon le Petit Larousse Illustré 2004 : dont les habitudes de vie sont irrégulières ; marginal ; non conformiste. C’est là que les Athéniens s’attégnirent.
Légèrement cinglée, c’est ce que mes potes du 17e arrondissement (pour les néophytes, un arrondissement plutôt chicos de l’Ouest-Paname) ont pensé quand nous leur avons annoncé fièrement notre déménagement pour aller vivre outre-périph (on ne dit plus banlieue, on dit périphérie, c’est un peu comme mal-voyant ou technicien de surface) dans un pavillon (les brochures disent maison de ville, mais les autochtones disent pavillon).
Au début, je ne voulais pas trop y aller en fait, c’est Chouchou qui a insisté. Trois chambres, le dressing de ses rêves, genre comme dans Santa-Barbara (4) mais revu par Lapeyre, la pelouse à tondre, le barbecue à réussir.
Mais au fait, les potes vont-ils prendre le risque de traverser les six forêts des clichés, les douze rivières des préjugés, pour parvenir dans cette étrange contrée et goûter le gigot hallal grillé de Chouchou, le king du BBQ ?
Là-bas, de l’autre côté du périph, dans l’autre monde, il n’y a pas encore d’ambassade officielle mais des ambassadeurs officieux (tous sportifs ou comiques), où la télé nous fait croire que tout le monde parle une langue étrangère (sur M6 dans les reportages, toutes leurs phrases commencent par nik), où les hommes sont voilés avec des sweets à capuche, où les murs des rues n’ont jamais lu Venillia (5).
Fifi, Miss star Ac et Candy sont quasi les seules blondes de leur école. Dans la classe de Fifi, y a même un Oussama né en octobre 2001 (sic). D’ailleurs, quand je vais en Bretagne chez ma copine Jakot, je ne peux pas ramener de bols pour les camarades des blondes parce que les patronymes de sitcom et du prophète ne sont pas arrivés outre-Armor. Non stop, je vous vois venir, ce n’est pas Wisteria lane(6) avec ses pelouses de Barbie, et puis je ne suis pas desperate. Ce n’est pas non plus une colonie dans la bande de Gaza. C’est vrai que la famille Ricoré, depuis trois ans est une sorte d’OVVI : Objet voyant en voie d’intégration. Mais nous adorons notre quartier et pour rien au monde on ne pourrait revenir en arrière.
Grâce à l’école et un engagement citoyen à 200 à l’heure, nous avons rencontré des tas de gens, tous différents, tous super attachants et solidaires. Nous avons pris de cours de religion comparés et les filles ont compris que certains reçoivent des cadeaux pour l’Aid, d’autres à Noël. On s’échange des recettes de brownies contre celles des Cornes de gazelles. J’ai offert un thermos à une de mes copines qui me ramène son délicieux thé à la menthe. Bon allez, je vous le dis, j’habite Saint-Ouen, et Saint-Ouen, c’est comme un village, les gens sont modestes, mais adorables et les relations sont simples et beaucoup plus sincères. Cette ville est super attachante, genre Walnut Grove(7) sans Nelly Oleson, avec la famille Cosby(8) en plus et Joëlle Mazard (pause Café) (9) en guest star.
Et puis ici, il y a aussi la piscine, la patinoire, le conservatoire de musique, le tennis dans le stade. D’ailleurs quand les gens me disent : « Quoi, t’habites dans le 9-3, comment tu fais ? Je leur réponds que j’ai une villa avec tennis et piscine. Bien sûr, Paname n’est qu’à 10 minutes de monospace et 3 stations de métro. Enfin de ligne 13, une ligne abandonné par la RATP où les voyageurs sont traités comme des bestiaux. Bien sûr, « tout près de Paris, mais loin de ses prix » comme dit aussi la brochure des promoteurs, sachant que tout le monde n’est pas près à devenir un héros de la traversée du périph’. Ce qui est triste d’ailleurs, parce que franchement, cela ne relève pas de la prouesse, mais du bon sens.
Grâce au banding(10) si particulier des rues des « banlieues rouges » (Salvador Allende, Jaurès,...), j’ai pu savoir que le 11 septembre, avant 2001 était surtout connu pour le coup d’état de Pinochet en 1973, l’année de mes 1 an. Enfin, vu qu’à Saint-Ouen, ce sont des Cocos plutôt tendance chinoise rénovée que stalinienne, on n’a pas de stade Lénine ni de collège Youri Gargarine. 47% de logement social en moyenne dans la ville, (80% dans le Vieux Saint-Ouen), mais presque plus un seul commerce gaulois. Cuisiner un rôti de porc avec une bouteille de rouge qui tâche et un fromage qui pue, c’est quasi mission impossible. En revanche, téléphoner worldwide pour moins cher que gratuit, c’est possible dans tous les quartiers de la ville.
Les écoles sont toutes ZEP (grâce à TF1, vous savez que c’est Zone d’éducation prioritaire) et la ville profite de l’un des 10 lycées de France sélectionné pour l’accord avec Sciences-Po......ZEP. 10 000 habitants sont partis en 10 ans, je l’espère avec l’ascenseur social. Ouh là, je sens que je vous effraie. Je me reprends.
Depuis 2000, marché de l’immobilier aidant + communisme rénové, les promoteurs sont arrivés (avant ils avaient peur de ne pas trouver acquéreur, donc sémantiquement je ne peux pas dire « revenus »). Les classes moyennes se sont donc installés grâce à Bouygues, Nexity Ikéa, Leroy Merlin et leurs potes. Et voilà comment les bourgeois colonisent Saint-Ouen. Welcome dans le mixeur social ! (marque déposée à l’INPI, avis aux journalistes avides de plagiat).
Alors, le Bobo, « voisin de Monsieur Tout-le-Monde ? Celui qui en prend plein les dents pour pas un rond ? Histoire de passer ses nerfs et d’évacuer les frustrations ? Un réflexe qui remonte à la nuit des temps, comme nous le rappelle Philippe Taillandier, journaliste à l’Humanité ». (tiens, la bible des Cocos). Bref, le Bobo c’est toujours l’autre... et réciproquement... Vous voilà prévenus. De quoi réfléchir à deux fois avant de crier aux Bobos !, comme le dit Mimie notre blogeuse.
Une nouvelle histoire serait donc en train de s’écrire, tissant des liens inédits entre les anciens et les nouveaux Audoniens. D’ailleurs entre minorité visible (oui, pour l’instant que le Coco soit rassuré, le Bobo est largement minoritaire) on se reconnaît tout de suite dans la rue le week-end ou au parc du château : Converse, 35 ans hors-taxes, 4x4 allemands ou monospaces et sacs Nespresso à la mano.
Certains de la tribu participe même à un blog citoyen : www.lesaudoniens.com. Le web 2.0, conjugué à un talentueux webmaster-fondateur (est-il un bobo ?) réussit le pari de rassembler tout un tas de gens qui ne s’adresseraient pas la parole dans la vraie vie : simples citoyens, associations, ménagères de moins de 50 ans, collectif anti-libéraux, employés municipaux, écolos, anarchistes, DAL et opposition voire UMP locaux.
Le pitch du blog, c’est : dialogue, respect et informations. Le mixeur social est en marche : vive le mélange, tant qu’il ne produit pas un résultat lisse (ben oui, quoi je n’ai pas dit blender Magimix).
Voilà, c’était « in vivo », dans la peau d’une bobo de l’outre-périph’.
Signée Zora la Rousse.
PS1 : mon sens de l’autodérision me titille, si je réécrivais la chanson de Renaud, version les Cocos ?
voir ici le texte de la chanson de Renaud,
Lexique : les Bobos font partie d’une tribu étrange, parfois il faut un traducteur pour les comprendre
(1) fait référence aux paroles de la chanson de Renaud, à découvrir en cliquant ici.
(2) La Positive Attitude, chanson de Lorie, star de 8-12ans.
(3) « Vis ma vie » est une émission de TF1, où les invités racontent leurs vies.
(4) Série TV américaine des années 1980, juste après Dallas.
(5) Célèbre marque de papier-peint depuis sa pub télé « t’as pas lu Vénillia ».
(6) Wisteria lane (allée des Glycines en vf) c’est la rue où habitent les Desperate Housewife de la célèbre série américaine.
(7) Walnut Grove, c’est le village de Laura Ingalls dans la Petite maison dans la prairie. Nelly Oleson, c’est la méchante bourgeoise blonde dont les parents tiennent un commerce.
(8) Le Cosby Show, première sitcom américaine à ne mettre en scène que des afro-américains, en réaction à la non-représentativité ethnique des programmes TV.
(9) Pause Café, serie TV gauloise des années 1970-80, la première (et la dernière ? avec feu seconde B) à raconter la vie d’une assistante sociale dans un collège pas vraiment favorisé de banlieue. Véronique Jeannot est le personnage principal.
(10) De l’anglais to brand, marquer (au fer rouge, pour les vaches par exemple) terme aujourd’hui employé par les pros du marketing et de la communication.
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