« Box 27 » sur France 2, un traitement irresponsable et révoltant de la protection de l’enfance !
La soirée hier sur France 2, était consacrée au thème de la pauvreté, avec une projection et un débat à la suite. L’entrée, un téléfilm prenant pour thème le placement d’un enfant pour cause de précarité sociale : « Box 27. Vincent Cassagne, qui n'a plus d'emploi, élève seul Tom, son fils de 10 ans. Ils vivent sans eau ni électricité dans le box n° 27 d'un parking souterrain. Un amour indéfectible les lie. Mais un jour, les services sociaux découvrent que Vincent leur a menti sur leurs conditions de vie. Ce père dévoué risque alors de perdre la garde de son enfant. Vincent décide de se battre... »
Très bien, mais cette présentation relève déjà effectivement de la fiction. Cet enfant qui n’a aucun problème à vivre dans de telles conditions interroge. C’est un parti pris qui permet de laisser penser d’emblée, que le seul problème serait les services sociaux qui vont intervenir dans cette situation, le pauvre étant évidemment une double victime, de sa pauvreté et de l’Etat qui lui vole son enfant. Le décor est posé.
Dans la réalité, avec un peu de recul, les choses sont bien différentes : on voit un enfant en situation d’insécurité matérielle, ayant un box comme lieu de vie sans eau ni électricité, se cachant des voisins pour aller le rejoindre pour dormir, avec un père absent la nuit pour faire des petits boulots, mettant dans une situation d’inquiétude autant que d'instabilité psychologique ce jeune enfant laissé seul dans ces conditions, exposé au risque de mésaventure... Dans la vie réelle, cet enfant manifesterait sans doute un peu partout où il passerait, au bout d’un certain temps, du mal être, des signes de ces difficultés, qui n’ont rien de neutre. Tout cela est shunté.
D’autre part, ce père ne va à la rencontre d’aucun service social pour obtenir de l‘aide, comme s’ils n’existaient pas, lorsque l’on sait que des milliers de familles sont prises en charge en France dans des hôtels ou centre maternels, au lieu d’être à la rue. Ce n’est tout simplement pas sérieux. Mais le but, comme c’est fréquemment le cas avec les grands médias, est de faire pleurer dans les chaumières et tout est bon, et bien sur contre l’Etat et ses représentants, comme si ces médias étaient hors société, au-dessus de la mêlée, sans responsabilité. Les bons sentiments remplacent tout recul, réflexion. On entraine le téléspectateur dans une dérive anti-services sociaux, aux conséquences incalculables.
La situation de ce père qui vit avec son enfant dans un box, dans une grande précarité, est signalée par une femme qui fait le ménage dans le café où ils viennent discrètement se laver le matin. A la suite, une évaluation de la situation est diligentée, comme la loi le veut, par la protection de l’enfance. Le père demande alors à un ami de lui prêter son appartement pour recevoir l’assistante sociale qui enquête sur la situation, et ainsi bluffer les services sociaux, sous une lecture bienveillante du réalisateur qui banalise totalement ainsi le fait de contourner rien de moins que le droit, la loi, qui protègent précisément combien d’enfants dans la réalité.
Le patron du café se séparera de la femme de ménage en la traitant de « balance », alors que l’on ne cesse de mener des campagnes de sensibilisation censées permettre précisément de repérer au plus tôt des situations d’enfants en risque ou en danger. Ceci, dans le but de prévenir par des propositions d’aide aux familles, que les choses ne se dégradent et que l’on en arrive, justement pas, à un placement. Une invitation lancée via la télé à ne surtout pas signaler les situations d’enfants qui pourtant chaque jour subissent des violences, des maltraitances, des carences. C’est grave ! Car, tous les parents ne sont pas par essence aimants et même lorsqu’ils le sont, pas toujours protecteur de leur enfants, lorsque le fléau de l’alcoolisme ou de la drogue les touche, par exemple. L’enfant il se trouve aussi, dispose de droits, consigné parait-il dans une Convention international des droits de l‘enfant qui a constitué un progrès considérable en faveur de leur protection. Rappelons dans cet état d’esprit, au passage, que l’obligation est faite à tout citoyen de signaler des situations d’enfants en risque ou en danger dont il est le témoin, au risque de poursuites. Mais tout cela ne pèse pas lourd face aux bons sentiments dégoulinant de ce téléfilm, pour alimenter à peu de frais la bonne conscience de certains bienpensants, à coups de raccourcis irresponsables.
Evidement, l’assistante sociale de la Protection de l’enfance à laquelle on confie l’enquête sociale, est un peu à part. Elle prend très vite le parti pris de ce père alors qu’elle découvre la situation, la cache ainsi à son responsable et son équipe, présentés comme déshumanisés, agents d’un « système » implacable et aveugle.
Une autre AS de son service lui prend les infos cachées sur cette situation dans son sac, et la dénonce à sa hiérarchie. Le système est donc bien pourri de l’intérieur, à l’image de cette collègue qui l’a trahi. On lui enlève du coup la situation en la mettant en congés forcés, et cette autre AS prend le relai. L’enfant est placé, malgré la tentative du père de l’y soustraire.
Il est placé dans un foyer dont on ne compte pas les lits de la chambre où il est reçu, tellement ils sont nombreux. Image d’Epinal totalement décalée au regard de ce que sont les établissements d’accueil d’enfants placés aujourd’hui. Les autres enfants sont méchants… L’horreur est totale. Une vision fausse qui en rajoute encore, dans cet exposé caricatural à l’extrême pour justifier l’intention de départ.
A l’initiative de l’assistante sociale qui a pris parti pour ce père, la solidarité s’organise à partir de l’école où est solarisé Tom. On soutien ce père contre les services sociaux… Une mère d’un élève qui est le meilleur copain de Tom, explique lors d’une interview à un média, qu’elle recueille plein d’histoire de séparations d’enfants et de parents, qui débordent le seul cas de Tom. On passe ainsi du cas d’espèce à la généralisation.
L’assistante sociale en question reçoit chez elle la visite de son chef de service, à l’occasion de quoi elle fait le procès en archaïsme de la protection de l‘enfance, qui seraient responsables de drames organisés faisant violence aux familles et aux enfants en arrachant ces derniers à ceux qui les aiment et les protègent. Comme si dans l’application de la loi on ne tenait aucun compte des conditions rencontrées, les Juge des enfants étant des placeurs imbéciles et inhumains, les travailleurs sociaux dans le meilleur des cas des incompétents qui s’en foutent, tout cela évidemment en dehors d’une héroïne anti-système qui a aucun moment ne fait appel à un minimum de distance professionnelle.
On a envie de rappeler que 300.000 enfants sont l’objet d’assistance éducative en France, moins de 2% des mineurs, dont la moitié sont placés, et qu’une partie d’entre eux le sont avec l’accord de leurs parents et donc, sans passer par un juge, ce qui ne sera à aucun moment relaté lors du débat qui suivra le film. Des enfants de familles en difficulté sociale qui sont aujourd’hui protégés, alors que longtemps les enfants maltraités étaient oubliés derrière la pauvreté. Précisément, des enfants qui passaient en raison de leur condition sociale par perte et profit. Plus de 100.000 enfants sont signalés par an et les informations transmises évaluées selon des procédures rigoureuses, encadrées par la loi, toujours dans le souci du lien parents-enfants, car les parents ont des droits qu’ils ne perdent pas même lorsque leur enfant est placé. Mais les enfants aussi ont leurs droits, donc celui à être protégés et parfois c’est ainsi, de leurs propres parents.
Ce père grâce à la solidarité aura un travail et logement. C’est formidable ! Mais les services sociaux eux, en sortent totalement discrédités, encouragés à être haïs. La protection de l’enfance est une chose trop sérieuse pour la laisser de façon totalement hors propos subir un tel procès, jusqu’à encourager la haine contre ceux qui chaque jour remplissent une mission essentielle de service public, de cohésion sociale, sans laquelle, des milliers de famille seraient laissées seules face aux difficultés qu’elles rencontrent dans l’exercice de leurs responsabilités éducatives, certains enfants sortiraient abimés à jamais de leur situation familiale pour cause de maltraitance, voire décèderaient comme malheureusement des faits divers le relatent régulièrement.
La morale de l’histoire, c’est qu’au nom de la pauvreté on doit laisser faire n’importe quoi. Comme si être pauvre exonérait les familles, sur ce mode de victimisation, d’être tout aussi potentiellement maltraitantes que des familles aisées. C’est absurde, mais ça marche, parce que mettre en scène des sentiments de cette nature est tellement plus facile, en criant à la victime et à l’injustice, que de regarder la réalité en face dans sa complexité, qui nécessite mesure et responsabilité.
Parlant des familles précaires, le journaliste Julian Bugier, juste après la fin du film, interroge : Faut –il les placés ou accompagner les familles ? Comme si cela était l’alternative ! Lorsque l‘enfant est en danger on le place, quelle que soit sa condition sociale, et si on peut l’éviter en accompagnant les familles, on fait évidemment prévaloir cette réponse. Ceci, d’autant que les services sociaux ne décident aucunement du placement judiciaire, c’est le Juge des enfants qui seul peut prendre cette décision, en entendant aussi la famille qui a des droits, et même la possibilité de faire appel devant un tribunal de la décision de ce dernier.
On se demande quel amalgame amène à dire que 84 % des enfants placées le seraient de familles précaires, ce qui pour le moins serait à vérifier, et surtout ce que l’on entend véritablement par précaire. Car cela nourrit la proposition de départ qui est d’affirmée, selon laquelle, on place les enfants des pauvres parce qu’ils sont pauvres. D’ailleurs, si on était dans cette logique de stigmatisation des enfants pauvres, on se demande comment on peut avoir un tel écart entre le nombre d’enfants placés, environ 150.000, et le nombre de famille dites pauvres, 8 à 9 millions de personnes. Soyons donc un peu sérieux !
Le réalisateur explique avoir utilisé des vrais SDF comme figurant, pour en rajouter encore une couche. Le Juge des enfants présent sur le plateau expliquera très bien, que demain les médias lui reprocheront de ne pas avoir placé un enfant parce qu’il aura décédé dans sa famille en raison de violence, comme aujourd’hui on l’interpelle pour lui demander de ne pas placer les enfants des pauvres sous prétexte de l’être.
Les élus des conseils départementaux qui ont la responsabilité de la protection de l’enfance, devraient commencer à se soucier de ce traitement médiatique qui est fait à cette mission essentielle, ce bien commun, qui tourne au lynchage public depuis un certain temps. Ceci d’autant qu’ici, une limite a été franchie qui devrait faire réagir, qui porte atteinte à toute une profession, un service public, à la protection de l’enfance elle-même et donc à l’intérêt supérieur de l’enfant, y compris à leur famille, qui collaborent avec les services de la protection de l’enfance qui poursuivent toujours le but, autant que possible, du « retour en famille. Il serait temps qu’on entende réagir ces élus, et condamner ce traitement médiatique qui met à mal, par-delà la protection de l’enfance et leur responsabilité, toute notre société.
Guylain Chevrier. Educateur spécialisé, formateur en travail social et enseignant à l’Université.
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