Bruits de Bottes en Ukraine
Avec du côté ukrainien, 125 mille soldats, la moitié de ses effectifs totaux, positionnée dans le Donbass contrôlé par Kiev et du côté russe, un impressionnant matériel de guerre prépositionné près de la frontière ukrainienne et 300 mille soldats cantonnés dans les régions environnantes, l'Europe n'a jamais été aussi près d'un conflit majeur entre deux pays depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale.
Ce qui saute aux yeux, c'est que cette impressionnante force russe est bien trop importante pour seulement intervenir dans le Donbass d'autant plus que la supériorité aérienne russe est écrasante.
Quelle pourrait alors être la raison d'un tel déploiement ?
Les autorités russes n'ont cependant aucun intérêt à déclencher les hostilités. Il s'agit plutôt d'une force de dissuasion visant à avertir les dirigeants ukrainiens et leurs conseillers américains qu'un assaut sur les républiques de Donetsk et Lougansk provoquera une riposte de grande ampleur.
Le temps joue en faveur de la Russie. En effet, si les accords de Minsk 2 était appliqués, cela signifierait la neutralisation de l'Ukraine et si le statu quo demeurait, l'Ukraine n'aurait aucune perspective d'avenir. Ni l'adhésion à l'UE, ni à l'OTAN, ni le retour à la coopération économique avec la Russie ne seraient envisageables.
Une neutralisation de l'Ukraine (accords de Minsk 2) signifierait un retour à la case départ, comme avant 2014. L'Ukraine redeviendrait une zone tampon entre la Russie et l'OTAN comme l'était aussi la Biélorussie avant 2020. C'est sûrement la meilleure perspective pour l'Ukraine mais cela signifierait une défaite pour l'Alliance atlantique.
Le statu quo aussi d'ailleurs, les Occidentaux devrait indéfiniment soutenir un État failli sans en tirer le moindre bénéfice.
L'Ukraine pourrait renoncer aux deux républiques autoproclamées et à la Crimée mais ce serait d'un côté ressenti par les nationalistes comme une capitulation surtout après ces sept années de propagande antirusse et d'un autre côté, cela donnerait des idées à d'autres régions d'Ukraine.
Encouragé par les États-Unis ou du moins par sa tendance néocon, l'Ukraine est tentée par une dernière solution : la récupération des deux entités séparatistes par la force. En cas de succès, ce serait un triomphe pour le président Zelensky ainsi que pour les États-Unis.
Sauf à risquer une guerre meurtrière incertaine et qui forcera peut-être une intervention directe des alliés de l'Ukraine, cela demande au moins une prise de contact avec la Russie pour jauger jusqu'où elle est prête à intervenir. C'est le sens des entretiens entre Sergueï Lavrov et Antony Blinken de Stockholm.
Le moins que l'on puisse dire, c'est que l'intervention russe en cas de conflit ouvert dans le Donbass est jugée beaucoup plus importante que prévu et cela rend les États-Unis et l'OTAN extrêmement mécontents.
Une tentative d'invasion des deux républiques devient beaucoup plus risquée et la décision sera délicate à prendre.
La Russie ne va sûrement pas dévoiler ses plans militaires mais au vu des forces en présence, il semble qu'une petite partie des forces viendra au secours des sécessionnistes et la presque totalité du reste des forces enveloppera les forces ukrainiennes dans une immense nasse.
La destruction d'un satellite est d'ailleurs un signal donné par les Russes pour signifier aux États-Unis qu'ils ne pourront pas compter sur leurs satellites-espions en cas de crise grave.
L'Europe ne sera plus la même après un conflit pareil qui à mon avis sera court et violent et se terminera par une partition de l'Ukraine.
L'OTAN, les États-Unis et leurs alliés britanniques, polonais et baltes n'auront alors pas atteint leur premier objectif mais ils auront obtenu une rupture totale avec la Russie contraire aux intérêts des autres Européens.
Selon l'influent think tank Atlantic Council, les États-Unis doivent proposer une solution qui sauvera leurs intérêts en Ukraine : l'arrimage de l'Ukraine à l'OTAN sans aucune garantie pour la Russie (pas de ligne rouge) et faire du Donbass une zone sous contrôle international pendant une période de transition. Une partie des sanctions sera alors supprimée et la coopération avec l'OTAN sera rétablie.
En cas de refus, l'Ukraine recevra massivement de l'armement de tous types (radars, défenses antiaériennes et côtières, systèmes de guerre électroniques, radars de contre-batterie etc.) et les compagnies russes se verrait totalement exclues de tout accès aux marchés financiers.
Il va sans dire que la Russie n'est pas prête à entamer des discussions sur la base de telles menaces. Les accords de Minsk ont été entérinés par le Conseil de Sécurité de l'ONU et font force de loi. C'est la position de la Russie.
Le plan B de la Russie est de lancer une offensive pour couper l'Ukraine en deux et d'ainsi créer une Ukraine bis qui irait jusqu'au Dniepr et occuperait tout le littoral de la mer Noire.
Il ne serait pas question d'annexer ce territoire mais simplement de le reconnaître comme indépendant. C'est assez facilement réalisable parce que la moitié de l'armée ukrainienne se rallierait à cette nouvelle république.
Tout cela peut sembler excessif de la part de la Russie mais on ne peut le comprendre ici que si on prend en compte les craintes des autorités russes et les analyses de la presse que je vais essayer de résumer ci-dessous.
Le premier moment de rupture avec l'Occident a lieu en 2009 quand la percée stratégique de l'Union douanière a fait craindre aux Occidentaux une reconstitution de l'Union soviétique.
Les États-Unis n'ont d'abord pas prêté beaucoup d'attention à cette union mais en 2013, les analystes américains ont alerté le président Obama que l'Ukraine risque de basculer dans le giron russe avec son immense potentiel industriel. i Cela aurait fait de la Russie une entité autosuffisante et indépendante et elle deviendrait une concurrence sérieuse pour l'Occident.
Des contre-mesures étaient urgentes et c'est ainsi que le coup d’État du Maïdan fut décidé.
Le renversement du président élu et son remplacement par des pro-occidentaux devait permettre aux navires de guerre américains d'avoir accès à Sébastopol. ii
Un an plus tard, le président Obama en visite en Inde a reconnu sa responsabilité dans cet événement.
Aucun responsable américain n'avait prévu le coup en Crimée et surtout sa rapidité sans que personne ne puisse réagir. iii
Je me souviens qu'il a fallu une semaine avant que les États-Unis et l'OTAN ne réagissent.
C'est sans doute la pire humiliation subie par l'OTAN depuis son existence.
Vladimir Poutine n'a pas vu d'autre possibilité que le rattachement à la Russie pour empêcher la perte de la principale base russe vers le Sud.
Le reste, la sécession du Donbass, la guerre civile, l'échec des accords de Minsk et la suite ne sont que les conséquences du coup d’État du Maïdan.
La Russie aurait pu écraser l'Ukraine en quelques jours en 2014. Elle ne l'a pas fait car elle a préféré utiliser le soft power en s'en prenant à l'économie ukrainienne.
Aujourd'hui, l'annexion de l'Ukraine n'intéresse pas la Russie. La seule chose qui est importante pour elle, c'est que l'OTAN n'installe pas ses bases de missiles en Ukraine et elle veut des garanties écrites.
C'est ce que Sergueï Lavrov appelle la ligne rouge. C'est aussi ce que les États-Unis et L'OTAN rejettent. Cela indique que la crainte des Russes de voir des missiles de l'OTAN en Ukraine n'est pas farfelue.
Ceci est le point de vue russe. Il est largement partagé par les médias et par la population.
Nous vivons sans doute la pire crise depuis celle de Cuba en 1962 et elle a malheureusement lieu en Europe.
Est-il possible d'éviter une vraie guerre aux frontières européennes ? C'est difficile à dire parce que nous avons d'un côté, la Russie qui est dos au mur et un nouveau recul la rendrait fragile et de l'autre côté, les États-Unis et leurs proches alliés qui perdraient la face s'ils renonçaient.
Avec la France et l'Allemagne, les grands perdants dans tous les cas de figure, qui sont aux abonnés absents et qui semblent tétanisés par ce qui arrive, on peut s'attendre à une vraie confrontation sur le sol européen. Sans doute une guerre conventionnelle sur le sol ukrainien mais comme on dit souvent : « Une guerre, on sait quand cela commence mais on ne sait jamais quand cela finira. »
Il faut aussi signaler que les oligarques ukrainiens, Akhmetov en tête, perdront leurs empires commerciaux en cas de destruction de l'Ukraine d'où les rumeurs de renversement du président Zelensky pour éviter une guerre.
Le tout, c'est de savoir jusqu'où les États-Unis sont prêt à aller pour maintenir leur statut de super ou hyper-puissance et si la Russie a vraiment les capacités militaires qu'on lui attribue.
i Lors de son indépendance en 1992, l'Ukraine avait un avenir radieux vu que son industrie était du niveau de celle de l'Allemagne. Il ne reste plus grand-chose aujourd'hui de la construction navale (Nicolaev), de l'industrie aérospatiale (Zenit), de l'industrie aéronautique (Antonov), de la fabrication d'automobile, des usines de moteurs (Motor Sich, les meilleurs moteurs du monde), de l'industrie nucléaire, de la fabrication d'engrais etc. L'Ukraine était autosuffisante en production d'énergie. Il reste encore la production agricole mais pour combien de temps.
ii Les médias avaient toujours omis de dire que la Navy avait depuis longtemps une antenne à Sébastopol. Cela prouve que les États-Unis s'intéressaient à Sébastopol depuis longtemps.
iii Une autre chose que les médias ont toujours omis de dire, c'est qu'il y avait 22000 militaires ukrainiens en Crimée et seulement 12000 soldats russes. Ce sont les autorités civiles de Crimée qui ont convaincu l'armée ukrainienne de ne pas résister ce qui a permis de ne pas faire de victime. Il faut aussi dire que seulement 2000 soldats ukrainiens ont décidé de rentrer au pays. Les autres, y compris de l'état-major, se sont soit ralliés aux nouvelles autorités, soit pour une très petite minorité, ont démissionné et sont restés en Crimée.
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