La confusion intellectuelle gauchiste
Les arguments les plus affligeants sont proférés dans les milieux gauchistes. Ils sont, on le sait, volontiers complaisants envers l’islamisme perçu comme une expression nouvelle des « damnés de la terre » dont ils sont par vocation les défenseurs attitrés. Lénine parlait autrefois d’ « idiots utiles » à propos des « compagnons de route » des partis communistes. Les gauchistes d’aujourd’hui oscillent, en effet, entre l’amalgame le plus grossier et le leurre de diversion.
1- Un premier argument est un pur amalgame : interdire la burqa impliquerait de devoir interdire aussi une cagoule portée par grand froid.
Cette confusion intellectuelle comique est un aveu de malhonnêteté : 1- peut-on assimiler un vêtement qui protège du froid à un vêtement qui est un instrument d’asservissement des femmes par les hommes ? 2- Une burqa est-elle portée indifféremment comme une cagoule par les hommes et les femmes ?
2- Un second argument est un leurre de diversion par minimisation du problème : les porteuses de burqa sont peu nombreuses. Leur prêter attention est une preuve d’intolérance, elles ne représentent aucune menace.
Cette minimisation est d’abord une mise hors-contexte historique : 1- la tendance se développe depuis vingt ans en Europe. Elle était jusque-là inconnue. 2- Ne pas s’en préoccuper, revient à la banaliser et à favoriser sa diffusion. 3- Et, quand bien même cet accoutrement ne concernerait que quelques femmes, cet usage devrait être pris au sérieux par principe républicain : tolèrerait-on une seule femme nue dans la rue ou promenée en laisse ?
3- Le troisième argument est un argument massue : il combine amalgame, leurre de diversion et ostracisme par l’accusation de racisme. Refuser la burqa serait manquer au respect inconditionnel dû à la culture différente de l’autre. Un cordon sanitaire est ainsi tiré autour de ce vêtement et le sacralise comme symbole d’une culture. Tout opposant à la burqa se livrerait à une stigmatisation de la religion musulmane tout entière : il ferait preuve de « racisme ». Le verdict a valeur d’ostracisme par une distribution manichéenne des rôles qui oppose le camp du Mal, les contempteurs de la burqa, et le camp du Bien, ses défenseurs.
Or, que l’on sache, 1- une religion n’est pas une race et une race humaine est un concept non opérationnel selon la génétique ; 2- la burqa n’est pas un vêtement préconisé par la religion musulmane, mais seulement par sa fraction intégriste ; 3- rejeter la burqa ne revient pas à refuser le droit de culte à ses adeptes ; 4- toute culture peut présenter des usages contestables dont le rejet ponctuel légitime de l’un d’entre eux ne signifie pas qu’elle est globalement méprisée ; 4- il est enfin cocasse de voir des gens, persuadés d’être les amis du genre humain, pratiquer eux-mêmes malhonnêtement envers leurs adversaires les méthodes qu’ils leur reprochent à tort.
Les jeux de mots du Conseil d’État pour écarter une interdiction générale
Les arguments opposés par le Conseil d’État sont d’un autre ordre, du moins à en juger par la version qu’en a donnée Le Figaro (1). Comme c’est l’usage de ces juridictions, le jeu de mots, par la pratique de l’euphémisme et la mise hors-contexte, permet de ne pas qualifier un délit ou un crime et donc de ne pas sanctionner l’acte déféré. On a vu ainsi une cour d’appel minimiser une calomnie en « excès de plume », ou même la Cour Européenne des Droits de l’Homme minimiser une lettre anonyme calomnieuse portant pour seule signature « les parents de la Seconde 5 » sans aucun autographe manuscrit, et la qualifier de « lettre collective non signée » : ce n’était donc pas une lettre anonyme et le tour était joué. Chacun sait pourtant que cette pratique de lettre anonyme permet à deux ou trois voyous courageux de se prévaloir d’une unanimité qui n’existe pas.
Le Conseil d’État minimise pareillement les significations de la burqa : selon le témoignage du Figaro qui a pris connaissance de son avis, elle ne porterait pas atteinte à la dignité humaine au motif que le consentement d’une femme à cet accoutrement suffirait au respect de celle-ci et que cet accoutrement ne serait qu’une manifestation de l’usage de sa liberté, voire de sa liberté d’expression religieuse. La Haute Cour préconise cependant de recourir à la notion de trouble à l’ordre public pour une interdiction partielle, dans les services publics et quelques autres lieux où l’identité de la personne est requise.
1- N’est-ce pas, d’abord, renoncer à une définition de la dignité humaine, comme valeur supérieure indépendante de la personne que le Droit se doit de protéger y compris contre la volonté de celui qui voudrait y attenter ? La dignité humaine n’est pas une propriété du citoyen qui pourrait y renoncer ou y attenter à sa guise. La dissimulation d’une femme sous une burqa, fût-elle consentie, rompt toute relation humaine qui exige échange à visage découvert. La dignité humaine est niée à la fois dans une femme dissimulée et dans ses interlocuteurs méprisés par sa dissimulation.
2- Ensuite, cet accoutrement imposé aux seules femmes est une discrimination sexiste qui ne frappe que les femmes : elle contrevient à cet égard aux grandes déclarations des droits de l’homme depuis 1789 qui proclament que « tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits » et « (garantissent) à la femme dans tous les domaines des droits égaux à ceux de l’homme », selon les termes du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946.
3- On ne comprend donc pas que le Conseil d’État ne se soit pas rendu à ces évidences. Cet aveuglement rappelle celui qu’il a montré sous le régime de Pétain quand il ne trouvait que peu à redire aux décrets-lois qui organisaient la discrimination envers la communauté juive. Cette juridiction a déjà semé la confusion en 1989 par un arrêt préconisant le traitement du voile islamique à l’École au cas par cas dans chaque établissement. Quinze ans après, une loi est apparue comme nécessaire pour endiguer les provocations croissantes de l’islamisme et les choses sont rentrées dans l’ordre. Cette Haute Cour - qui l’ignore ? - est plus sensible aux pressions politiques conjoncturelles qu’au respect du droit et des droits de l’homme.
Les leurres de diversion des Socialistes et de M. de Villepin
Enfin, les précautions de nombre de socialistes, à l’exception de quelques-uns, et les prudences de M. de Villepin scandalisent. Curieusement, les uns et les autres désapprouvent la décision d’interdiction générale de la burqa par une loi. Mais leurs contorsions font peine à voir. Ils sont bien d’accord pour voir dans la burqa une atteinte aux droits des femmes et aux principes de la République. Mais ils n’en concluent pas pour autant qu’il faille l’interdire par une loi. Ils ne sont pas à court de prétextes. Leur méthode préférée est le leurre de diversion.
- Un premier leurre de diversion est précisément d’accuser le président de la République d’user lui-même d’un leurre de diversion pour faire oublier la défaite électorale aux Régionales : il y aurait mieux à faire, le chômage, le pouvoir d’achat et tutti quanti, comme si toutes ces questions ne méritaient pas une égale attention.
- Un second leurre de diversion consiste à ne voir qu’un leurre « raciste » pour réapprivoiser l’électorat du Front national qui a déserté la majorité. On a dit plus haut l’inanité de l’accusation de « racisme » à propos du rejet de la burqa.
- Un troisième leurre de diversion agite une prétendue application impossible de la loi : « On imagine mal les policiers courir dans les rues pour retirer le voile aux femmes », persifle M. Cambadélis dont le parcours politique inspire toute confiance. Comment fait donc la police pour une voiture en stationnement interdit ? Court-elle après le conducteur ?
- Un quatrième leurre de diversion est de faire grief au gouvernement d’encourir la censure du Conseil Constitutionnel ou de la Cour Européenne des Droits de l’Homme pour atteinte à l’article 9 de la Convention Européenne des Droits de l’homme qui garantit « le droit de manifester sa religion (…) en public ou en privé » pourvu que soient assurées « la sécurité publique, la protection de l’ordre, la santé ou la morale publiques, ou la protection des droits et libertés d’autrui ».
On retrouve les amalgames et euphémismes vus plus haut que peuvent, en effet, très bien utiliser ces hautes cours, virtuoses en jeux de mots ridiculisant le Droit et dans ce cas précis le principe de laïcité. Mais prendront-elles dans un débat national aussi emblématique le risque de s’exposer à la risée générale et au discrédit en faisant de la burqa une panoplie qui n’attente pas la dignité humaine et à la liberté des citoyennes ?
Les motivations de ces leurres de diversion
Ces leurres de diversion pleins d’invention conduisent à s’interroger sur les motivations inavouables dont ils détournent l’attention : le PS ne cherche-t-il pas tout simplement à attirer à lui les voix musulmanes des cités ? Le très faible score réalisé aux Régionales par le NPA trotskiste devrait pourtant servir de leçon : ce n’est pourtant pas faute de sa part d’avoir flatté un électorat musulman intégriste en présentant une candidate voilée !
Quant à M. de Villepin, n’est-ce pas son hostilité personnelle au président de la République qui le conduit à s’opposer par réflexe à une loi anti-burqua générale ? Ou faut-il aller chercher dans une tradition chiraquienne l’explication de tant de précautions ? Seraient-ce les liens étroits entretenus par M. Chirac et des dirigeants de pays arabes qui inspireraient cette prudence incompréhensible ?
Ce débat sur la burqa montre comme les droits de la personne pèsent, en fait, de peu de poids face aux calculs politiques des hommes et des partis. Alors qu’il ne fait aucun doute en 2010 que cet accoutrement archaïque est un instrument d’asservissement des femmes par les hommes pour des raisons religieuses ou non, les arguments les plus insensés sont brandis comme autant de leurres pour tenter de le masquer. Cette exhibition de mauvaise foi débridée fait penser à celle qui a accueilli Mme Simone Veil, alors Ministre de la Santé, quand elle a défendu devant le Parlement le projet de loi sur l’interruption volontaire de grossesse. Tout y est passé, c’était même un projet de loi digne des nazis : « Cela ne s’appelle plus du désordre, Madame la Ministre, s’est écrié avec componction une haute autorité morale de l’époque, Jacques Médecin, le 26 novembre 1974. Cela ne s’appelle même plus de l’injustice. C’est de la barbarie, organisée et couverte par la loi, comme elle le fut, hélas ! il y a trente ans, par le nazisme en Allemagne. » Aujourd’hui, qui de Jacques Médecin, ancien maire de Nice, condamné à plusieurs reprises pour abus de biens sociaux et corruption au point de devoir s’enfuir en Uruguay dans les années 90, et de Simone Veil évoque le mieux l’idée de dignité humaine ? Les partisans de la burqa, déclarés ou honteux, feraient bien d’y songer. Paul Villach
(1) Le Figaro, « Le rapport qui sera rendu dans quelques jours au premier ministre devrait faire preuve d’une grande prudence. » 26.03.2010