C’est quoi un artiste ?
Suite à une interview de Jean-Louis Murat dans Le Monde.
![](http://www.agoravox.fr/local/cache-vignettes/L300xH332/Murat-d8815.jpg)
Interview de Jean-Louis Murat dans Le Monde du 18 novembre. A ce propos d’ailleurs, je fais tout de suite une incise sur le traitement de l’information. Cet article du Monde papier évoque un coup de gueule du chanteur à propos des internautes. Il est d’ailleurs titré Internet ou la liberté de se goinfrer. Version titrée sur l’édition numérique du journal : La Crise du disque est un leurre... Pourquoi ce changement de titre d’un même article suivant que la version paraisse dans les kiosques ou sur le net ? Peur de choquer son lectorat numérique par un titre forcément polémique. Le Monde ferait-il le calcul que les internautes ne lisent plus la presse et donc qu’une information peut-être donnée via deux approches différentes ? Un peu gonflé, voire déontologiquement déplacé.
Donc pour en revenir à Jean-Louis Murat, le chanteur énervant et poseur (mais je l’aime bien quand même) ; il s’énerve non seulement dans cette interview après les internautes, mais également à ceux qui font la musique actuelle, et qui ne sont à ses yeux que des artistes ratés. "Qu’est-ce qu’un artiste raté" demande Le Monde ? "C’est celui où celle qui fait la moitié du chemin sans rien sacrifier. Le monde est plein d’artistes qui ne le sont que six heures par semaine, du samedi matin au dimanche soir. Ils sont d’une arrogance, ils veulent tout arracher ! Alors qu’être artiste demande un engagement total, où tous les risques sont pris. C’est une décision à laquelle on se tient. Quitte à dormir dehors, à vivre autrement. Tout le monde a en soi des capacités créatives, cela n’en fait pas un artiste pour autant. Etre artiste, c’est une affaire de vocation et de discipline, une discipline de fer. Etre artiste c’est du travail, du travail, du travail et encore du travail". Diantre ! Sans souffrance, par d’oeuvre ?
Il est vrai que le dictionnaire lui-même
donne raison à Murat. "Artisan qui excelle dans son
travail, qui a acquis une technique, une maîtrise d’exécution,
un savoir-faire qui lui permet de reproduire habilement un modèle
ou d’en inventer un nouveau". Le dictionnaire de l’Académie
Française, édition de 1788 donne cette définition
"artiste : celui qui travaille dans un art ou le génie et
la main doivent concourir". Un vétérinaire était
considéré comme un artiste (artiste vétérinaire)...
L’édition de 1932 ouvre un peu plus la définition :
"Celui, celle qui s’occupe de dessin, de peinture, de sculpture,
de gravure, de musique. Par extension il se dit de celui ou celle qui
excelle dans son art. Il signifie quelquefois de manière
générale celui qui a le sentiment ou le goût des
arts".
Voila qui relativise...
Personnellement, j’ai ma propre définition de ce qu’est un artiste : c’est celui ou celle dont il restera quelque chose, dont l’oeuvre résistera au temps et marquera son époque d’un jalon culturel. Suis pas sûr que vu sous cette focale Jean-Louis Murat soit considéré dans le futur comme un artiste... Hendrix était un artiste, Armstrong était un artiste, Trénet était un artiste. Mais les temps ont changé, et les définitions vont évoluer. La démocratisation culturelle, l’évolution de la technologie, l’action culturelle font que chacun peut effectivement proposer son travail et peu importe son degré de "sophistication". Murat semble sceptique quant à cette démocratisation culturelle où il ne voit qu"une "tyrannie des imbéciles". Pour lui, Myspace par exemple, c’est "45 000 nigauds, 45 000 artistes ratés", autant de gens qui viennent bouffer dans son assiette... Mais bien sûr, il a lui-même sa Myspace car sinon "on me vole mon nom". Comme Dantec (l’écrivain), comme Fred Chichin (les Rita Mitsouko), Murat devient réactionnaire et extrême dans ses propos. L’aigreur le fait parler, et cela n’arrange pas son propos lui qui avait déjà une très haute opinion de lui-même. Mais c’est peut-être en cela qu’il acquiert une dimension artistique ? Car un artiste peut-il faire l’économie d’une critique de la société, de l’ordre établi ? Que reste-t-il des artistes d’Etat ? Que restera-t-il du théâtre subventionné ? Vaste débat.
Quoi qu’il en soit, même si je juge personnellement les propos de Jean-Louis Murat assez déplacés, je conviens qu’il n’a pas complètement tort. La qualité ne régne pas forcément dans la production actuelle. Et comme il le dit à raison, la gratuité n’est pas le meilleur moyen de développer, de démocratiser la culture. Tiens tiens, le propos deviendrait-il politique (donc artistique) ? Car cette gratuité (ambiguë puisqu’elle doit également être rentable) n’est-elle pas voulue par notre président ? Et notre président n’est-il pas le reflet d’une certaine forme de culture, forme de société, celle des patrons, celle d’une oligarchie qui impose ses modes ? Pour Murat, c’est clair, nous vivons l’époque "du triomphe du petit bourgeois snobinard et de la fanfaronnade ! Nicolas Sarkozy ressemble tout à fait à un patron de maison de disques". Murat a une dent contre ces derniers qui ne sont à ses yeux que des médiocres qui rêvent de parachutes dorés. Mais en a-t-il déjà été autrement ? Combien d’artistes exploités depuis l’invention du disque ? Et justement internet permet de s’affranchir des maisons de disques, Radiohead vient de le prouver. Si leur dernier disque n’a pas atteint un prix de vente "normal", ne faut-il pas en déduire que c’est cette "normalité" qui est fausse ? Que vaut une oeuvre dès lors qu’elle est destinée à être diffusée au plus grand nombre ? Je parle de sa valeur financière, pas esthétique.
Le monde artistique a son échelle de valeur, et généralement le sens commun ne s’y trompe pas. La culture, et là je rejoins Jean-Louis Murat, est affaire d’élite, "d’une minorité qui fait des efforts". Ce n’est pas une affaire de classe sociale (même si on ne peut éluder Bourdieu et ses travaux sur la transmission), mais de volonté d’ouverture culturelle, de soif de connaissance, d’envie de connaître le monde extérieur à soi-même. Chacun son degré d’ouverture. TF1 pour certains, Arte pour d’autres. Et n’allez pas croire que les classes supérieures iront forcément sur la chaîne culturelle, car j’ai souvent vu le contraire. J’ai même souvent été surpris de la médiocrité du propos culturel de certains VIP et étonné par certains échanges et considérations culturelles ou géopolitiques entendues autour d’un café dans le hall d’un centre social de quartier... Ce qui valide les propos de Murat.
Alors oui, on trouve de tout sur les scènes actuelles et sur Myspace. Du bon, du moins bon, de la merde parfois maquillée sous un cynisme facile (Didier Super par exemple), mais également du très bon. A chacun de trouver sa formule. La culture est un sport de combat ! Et pour finir sur une phrase de Murat "la chanson existait avant l’écriture", et à ce titre je crois que le temps fera comme toujours office de filtre entre le bon grain et l’ivrée. Et l’artiste du dimanche, parfois, me repose l’âme aussi bien que le génie.
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