Campagne présidentielle et désinformation
Alors que les manoeuvres de 2007 commencent, je m’interroge.
Les débuts de la campagne présidentielle sont limpides : plus que jamais les médias vont tenir un rôle décisif dans le choix des Français. Les partis vont mener pour la première fois des stratégies de communication sur Internet de grande ampleur avec des pôles de militants spécifiquement créés pour l’occasion. On pourra toujours dire que c’est inquiétant : l’affaire de la cassette de Mme Royal exposant ses vues sur l’emploi du temps des enseignants au collège montre que la manipulation et la désinformation sont au rendez-vous. Toutefois je me permets d’être optimiste : ce n’est pas comme si l’Internet avait été le vecteur d’une information biaisée par des partisans d’une seule personne ; la vérité, c’est que nous avons eu d’une part deux vidéos tronquées, issues de deux camps adversaires, chacune essayant d’établir une version sur ce qui était réellement important dans le discours de la candidate ; et d’autre part, nous avons eu droit à une vidéo complète qui permettait de voir clairement les supercheries militantes des deux premières. Voilà ce qu’il faut retenir de l’information sur Internet, de l’information libre : il se trouvera toujours quelqu’un d’intellectuellement honnête pour faire éclater le véritable déroulement des choses. Il y a débat justement parce que, malgré tout, il y a égalité des armes et que le public (les parties concernées mises à part) cherche à connaître les faits réels pour en tirer lui-même les conclusions qui s’imposent.
L’image, elle, ne ment pas
Malheureusement, ce qui est vrai de la Toile ne l’est pas des autres moyens de communication ; surtout, si l’audience de l’information citoyenne s’est considérablement élargie, elle reste en retrait par rapport aux canaux de diffusion classiques, j’ai nommé télévision, presse, radio. Il ne s’agit pas ici de dénoncer les cas flagrants de malhonnêteté tel le montage par Canal+ de la réponse du président Bush au sujet des causes de la guerre en Irak (http://www.youtube.com/watch?v=vuwHRY23-5U), car je préfère croire que de tels cas d’école de désinformation restent très rares. Ce sont des questions apparemment minimes qui m’amènent à me faire du souci : ce sont les "petites phrases". Ces sorties verbales, boutades ou autres, dont sont si friands les journalistes. Elles n’ont rien à voir avec le fond des choses mais sont tellement plus alléchantes et divertissantes au moment de remplir une grille de rédaction. Une phrase, un aparté qui ne respecte pas le politiquement correct, et tous les pourfendeurs de la langue de bois sont aux abois et relaient la citation pour nous mettre en garde contre ces troubles discours. Le problème, c’est qu’on n’a jamais droit à la citation exhaustive ; on nous la sert de la meilleure façon ; des professionnels se chargent d’en tirer la substantifique moelle pour nous éviter de mal comprendre.
Ou peut-être me trompé-je, et n’est-ce pas par déontologie mais pour un effet d’annonce garanti qu’il exécutent cette sélection. Personne ne pourra savoir complètement ce qui a été dit sans avoir accès à des sources alternatives. L’information est livrée en taille unique. Or si une petite phrase ne bouleverse pas un programme politique, elle suffit à discréditer son homme ; tout au moins aux yeux du public qui était visé par les journalistes quand ils ont opéré la simplification. On répare le mal une fois qu’il est fait. L’image dit la vérité de ce qu’elle montre, mais ne montre pas tout (cf. Royal et Bush).
Aujourd’hui Frêche, hier Sarkozy
Je ne conteste pas dans tous les cas cette reprise orientée des expressions utilisées par les hommes politiques. Dans le cas du point de détail de l’histoire de M. Le Pen, il se trouve que connaître le contexte (il s’agissait d’une discussion sur un livre traitant de la Seconde Guerre mondiale) ne change pas les conclusions à tirer du discours : volonté de provocation et surtout mensonge terrible. Mais, quoi qu’il en soit, il m’importe, à moi, de savoir exactement ce qui s’est dit, et dans quel contexte. J’aimerais par exemple savoir (plutôt que cela soit clairement expliqué) ce qu’a pu dire le président de l’éphémère Septimanie, pour pouvoir décider si cela est bien du racisme caractérisé, si je le condamne. Je ne veux pas qu’on me lise le mandat d’arrêt avant d’avoir les éléments. Car, décidément, je ne suis pas sot, et même si je le suis, je ne tiens pas à ce que l’on me prenne pour tel !
L’exemple qui m’amène à écrire cet article est celui, fameux s’il en est, des racailles de M. Sarkozy. Oui, il a employé le mot, mais il ne l’a pas invoqué, il reprenait le terme utilisé par une habitante exaspérée par délinquants. Les rédactions de France ont fait leur travail de manière à montrer que le président de l’UMP stigmatisait les jeunes des quartiers difficiles. Une fois qu’il y eut consensus médiatique sur le sens des mots, le ministre avait beau s’échiner à s’expliquer (voire à forcer le trait pour montrer qu’il ne s’agissait pas d’une maladresse mais que ce qu’il avait dit pouvait être dit), la jeunesse des cités était choquée (et il fallait la comprendre et la soutenir) car publiquement on lui avait fait comprendre que Sarko l’avait insultée. Comment ? En diffusant immédiatement des commentaires de désapprobation, des condamnations, des demandes d’excuses, des messages d’indignation de différents adversaires politiques du fautif. En fait, les médias ont créé un appel d’air pour déterminer le sens des propos de M. Sarkozy, de sorte qu’il soit impossible de comprendre différemment sa réplique ("-Vous en avez assez de ces racailles racailles ? Eh bien, on va vous en débarrasser !").
Le mot racailles ne signifiait pas jeune, ni jeune des banlieues dans la bouche du ministre ; il signifiait...racailles ! Ce qui veut dire délinquant, caïd, quelqu’un qui établit ses propres lois, se fait obéir par la peur, sans tenir compte de celles de la République. Cela, je suis capable de le comprendre, ceux qui ne l’ont pas compris sont de mauvaise foi, ou justement sont de trop bonne foi et n’ont fait que rapporter la version en vogue.
Pour 2007, j’espère qu’il y aura plus d’honnêteté, qu’on ne s’attardera pas sur des formules vides de sens, qu’on acceptera d’entendre ce qui est dit même si cela sort du conventionnel, car le discours républicain n’a pas à rester dans un carcan de bienséance. Les électeurs sont capables d’écouter et de comprendre ; ils ont tout à gagner à suivre les débats en version originale.
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