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Accueil du site > Tribune Libre > Candidature de l’Egypte à la tête de l’Unesco : un lègue (...)

Candidature de l’Egypte à la tête de l’Unesco : un lègue culturel inestimable balayé par la censure et la violence d’un régime autoritaire

Pendant plus de trois millénaires, la vallée du Nil vit éclore l’une des civilisations les plus brillantes de l’Histoire de l’Humanité, marquée par un lègue inestimable. L’invention d’une forme d’écriture originale sous forme d’idéogrammes, les hiéroglyphes, fit sortir l'espèce humaine de la Préhistoire.

L’Égypte aux nombreux visages, successivement antique, romaine, byzantine, islamique, ottomane puis républicaine, a connu son apogée culturelle au XIIIème avant JC, à l’époque des pharaons, laissant une œuvre monumentale au patrimoine mondial.

Mais cet héritage colossal suffit-il à justifier une éventuelle gouvernance de l’Egypte à la tête de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture ?

Rappelons tout d’abord les fondements de l’Unesco. L’organisation a pour objectif de permettre à chaque enfant et chaque citoyen :

- D’avoir accès à une éducation de qualité, droit humain fondamental et condition indispensable de développement durable ;

- De grandir et vivre dans un environnement culturel riche de diversité, de dialogue et où le patrimoine sert de trait d’union entre les générations et les peuples ;

- De bénéficier pleinement des avancées scientifiques ;

- De jouir d’une liberté d’expression pleine et entière, socle de la démocratie, du développement et de la dignité humaine.

Or c’est ici que le château de cartes s’écroule. L’Egypte, secouée par de nombreuses répressions de la société civile, la censure, les actions liberticides et de gros problèmes dans le domaine de l’éducation peine à paraître crédible.

Liberté d’expression et droits de l’Homme bafoués

En juin 2016, 5 célèbres défenseurs des droits de l'Homme ainsi que trois ONG se voient geler leurs avoirs sur une décision de la justice égyptienne. La décision relance les craintes concernant une nouvelle répression de la société civile en Egypte. Cette mesure intervient dans le cadre d'une vaste enquête sur les financements étrangers de la société civile, ouverte en 2011 après la révolte qui a chassé Hosni Moubarak du pouvoir. A l'époque, l'affaire avait provoqué une crise diplomatique entre Washington et le Caire.

Amnesty International a aussitôt appelé "les autorités égyptiennes à arrêter de harceler ces défenseurs des droits de l'Homme", alors que les ONG internationales accusent régulièrement le président Abdel Fatah al-Sissi d'avoir instauré un régime ultra-autoritaire.

Si les ONG ne sont pas légalement enregistrées ou si elles reçoivent des financements étrangers non autorisés expressément par le gouvernement égyptien, leurs membres encourent 25 années d'emprisonnement.

Depuis qu'il a destitué en 2013 le président islamiste Mohamed Morsi, l'ex-chef de l'armée réprime toute forme d'opposition, islamiste mais aussi laïque et libérale.

"Les partenaires internationaux de l'Egypte ne doivent pas se laisser berner par une répression qui se fait sous le couvert de procédures juridiques", a asséné Human Rights Watch dans un communiqué, accusant le pouvoir égyptien "d'œuvrer pour l'élimination des plus éminents défenseurs des droits de l'Homme du pays".

Arrestations arbitraires et disparitions

Pour Philip Luther, directeur du programme Afrique du Nord et Moyen-Orient à Amnesty International : « les disparitions forcées sont devenues un des instruments clés de la politique d'État de l'Égypte. Toute personne qui ose exprimer des critiques est en danger, la lutte contre le terrorisme servant de prétexte pour enlever, interroger et torturer les gens qui contestent la politique des autorités. »

En rapport d’Amnesty international de juillet 2016 atteste de la disparition et à la torture d’une centaine de personnes dans le cadre d'une vague de répression. L'agence nationale de sécurité égyptienne (NSA) enlève des personnes et les soumet à la torture et à une disparition forcée afin d'intimider les opposants et d'éliminer la contestation pacifique, écrit Amnesty International dans un rapport rendu public le 13 juillet 2016 qui attire l'attention sur une multiplication des disparitions forcées sans précédent depuis le début de l’année 2015.

Ce rapport expose les cas de 17 personnes qui ont été soumises à une disparition forcée : elles ont été maintenues en détention au secret pour une période allant de plusieurs jours à plusieurs mois, privées de tout lien avec le monde extérieur et de tout contact avec leurs avocats et leur famille, et de toute supervision par une autorité judiciaire indépendante.

Le rapport fait aussi état d’actes de torture infligés aux victimes lors des interrogatoires, qui peuvent durer sept heures, afin de leur arracher des « aveux » par la suite utilisés contre elles lors des audiences devant les procureurs, et lors des procès (farces ?) pour obtenir leur condamnation. Dans certains cas, les victimes de torture étaient des mineurs.

Le cas de Mazen Mohamed Abdallah est particulièrement révoltant : il a été soumis à une disparition forcée en septembre 2015, alors qu'il avait 14 ans, et a subi de très graves violences ; il a notamment été violé à plusieurs reprises avec un bâton, afin qu'il fasse de faux aveux…

La culture prise pour cible

Ces derniers mois, la culture et le savoir sont pris pour cible par les autorités égyptiennes. En février 2016, un jeune auteur a été condamné à deux ans de prison pour avoir publié un ouvrage contenant des passages aux "contenus sexuels explicites", un livre qui avait pourtant été validé par le comité de la censure. Quelques semaines auparavant c'est un autre écrivain qui a été condamné pour avoir diffusé sur les réseaux sociaux des propos jugés blasphématoires. Les exemples de la répression sur le monde de la culture sont innombrables et de plus en plus fréquents. Des pressions sont exercées sur les centres d’art ou les maisons d’édition. La culture fait peur au pouvoir actuel car elle est le reflet d’une société en pleine mutation dont le point d’orgue a été de révolution de 2011.

Des problèmes majeurs dans le domaine de l’éducation

Classes surpeuplées, programmes vieillots et locaux décrépis : en Egypte, les familles s'en remettent au privé, devenu un véritable système d'éducation parallèle, pour pallier les insuffisances de l'école publique, parent pauvre des politiques gouvernementales et incapable de faire face à l'explosion démographique.

Ces conditions pèsent dans les classements internationaux. En septembre, l’Egypte a fini dernière du classement en termes d’éducation primaire, selon le Rapport global sur la compétitivité du Forum économique mondial. En queue de peloton, derrière 147 autre pays, le gouvernement a été forcé de reconnaître des défaillances.

Dans l’Egypte de Gamal Abdel Nasser, l’éducation gratuite fut l’un des piliers des grandes réformes socialistes des années 50 et 60, faisant rêver d’ascension sociale même ceux qui ne pouvaient payer d’onéreuses études à leurs enfants.

Mais au fil des décennies, l’éducation a été rattrapée par des maux rampant en Egypte : la bureaucratie et la corruption. Depuis, le système est paralysé par ses décisions centralisées, ses programmes vieillots et moralisateurs et son personnel sous-payé et sous-diplômé.

L’apprentissage par cœur est la règle, immuable, au détriment de la réflexion, et les résultats aux examens sont plus le fruit de quotas imposés par le gouvernement que d’une réelle réussite scolaire, selon le corps enseignant.

Moushira Khattab, une candidature faible qui veut redorer le blason de l’Egypte

A quelques mois de l’élection, il y a au moins quatre candidats du même groupe arabe qui briguent le poste de secrétaire général de l’Unesco. La candidate égyptienne, Moushira Khattab, ancienne Ministre de la Famille et de la Population sous le régime d’Hosni Moubarak, jusqu’à sa démission en 2011, a été investie lors d’un événement mondain à l’Egyptian Museum, le 19 juillet 2016. A cette occasion, elle a déclaré que “Les membres de l’UNESCO n’auraient pas seulement à faire le choix d’un directeur-général, mais d’une civilisation”. Seulement voilà, peut-on seulement regarder la grandeur d’une Egypte et fermer les yeux sur les maux de ses contemporains ? Moushira Khattab, a cette même soirée, renchérit également en soulignant l’impuissance de l’organisation internationale : “Quand on voit la montée en puissance des extrémismes religieux et de la xénophobie à travers le monde, nous devons reconnaître que l’UNESCO a failli à sa mission”. Un discours dur, surtout de la part d’une personnalité dont le parcours ne garantit pas la compétence dans les axes fondamentaux de l’action de l’UNESCO, en particulier sur la question culturelle, et dont la crédibilité reste donc très faible.

 


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5 réactions à cet article    


  • escoe 10 octobre 2016 11:15

    Cher manager des industries culturelles (rires.....) on écrit un legs et pas un lègue.


    • Plus robert que Redford 10 octobre 2016 15:24

      @escoe
      Moi aussi, ça m’a interpellé... J’ai même douté à la fois de Robert et de Larousse après les avoir consultés, pensant que la substantivation du verbe « léguer » constituait une manifestation de modernitude à laquelle j’ (vieux con) étais imperméable, jusqu’à trouver (en pinaillant, il faut le reconnaitre) l’évocation de locaux décrépis...

      Gardons-nous que la décrépiude du langage ne nous fasse oublier la profondeur des propos, et considérons donc qu’un petit manque de relecture de l’auteur ne doive pas nous faire moquer l’ensemble de l’article...


    • njama njama 10 octobre 2016 13:44

      "en Egypte, les familles s’en remettent au privé, devenu un véritable système d’éducation parallèle, pour pallier les insuffisances de l’école publique, parent pauvre des politiques gouvernementales et incapable de faire face à l’explosion démographique."

      On pourrait remplacer Égypte par États-Unis, ou par d’autres noms de pays, ce serait kif-kif.

      Ce n’est ni plus ni moins que l’application de la doctrine néo-libérale, ce qui nous pend au nez, au bout d’un lent mais sûr démantèlement progressif de l’école et université publique.

      De la maternelle à l’université, tout devient limpide lorsque l’on a lu ça :

      Centre de développement de l’OCDE, Cahier de politique économique n°13
      La Faisabilité politique de l’ajustement, par Christian Morrisson

      © OCDE 1996

      « Pour réduire le déficit budgétaire, une réduction très importante des investissements publics ou une diminution des dépenses de fonctionnement ne comportent pas de risque politique. Si l’on diminue les dépenses de fonctionnement, il faut veiller à ne pas diminuer la quantité de service, quitte à ce que la qualité baisse. On peut réduire, par exemple, les crédits de fonctionnement aux écoles ou aux universités, mais il serait dangereux de restreindre le nombre d’élèves ou d’étudiants. Les familles réagiront violemment à un refus d’inscription de leurs enfants, mais non à une baisse graduelle de la qualité de l’enseignement et l’école peut progressivement et ponctuellement obtenir une contribution des familles, ou supprimer telle activité. Cela se fait au coup par coup, dans une école mais non dans l’établissement voisin, de telle sorte que l’on évite un mécontentement général de la population. »

      Source : http://www.causeur.fr/ecole-primaire-maternelle-reforme-vallaud-belkacem-37117.html


      • sls0 sls0 10 octobre 2016 14:28

        Quelles sont ces ONG ?
        On s’est aperçu que des ONG à la Soros et d’autres peuvent avoir un certain pouvoir de nuisance.

        Je faisais partie d’une ONG qui apportait de l’eau potable et de l’électricité, aucun problème pour intervenir. Le seul message qu’on faisait passer c’est comment garder l’installation pérenne c’est tout. Si on bosse pour le département d’état US, l’accueil risque d’être moins sympa, ils sont chez eux quand même.

        Je suis droits de l’homme mais cet argument est assez souvent employé pour raser gratis, sauf que c’est des pays qu’on rase.

        L’Egypte ne bombarde pas d’autres pays c’est déjà ça, le mien bombarde, je suis mal placé pour l’ouvrir.
        Quand je vois les stats de l’UNICEF, avec 30 fois moins de fric par habitant qu’en France, ils s’en sortent pas mal.


        • njama njama 10 octobre 2016 15:55

          @ Raymond Devilles

          Compte-tenu de la richesse culturelle, archéologique, ... de l’Égypte et de tout le Moyen-Orient, et, en même temps de la fragilité de cet héritage qui a été livré aux pillages en Irak, en Syrie ... ne serait-il pas hautement pertinent d’avoir un locuteur arabe, un arabe, à la présidence de l’Unesco ? Nous ne pouvons ramener le rôle de l’Unesco qu’à l’école ... Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture

          Je vous dirais que j’avais pensé de même lors de l’élection du dernier pape. J’aurais préféré de très loin l’élection de Bechara Boutros Rahi patriarche des maronites, plutôt que ce latino des favelas Jorge Mario Bergoglio. En 2000 ans, pas même un pape de Terre Sainte, arabe !

          Ceci dit je ne connais pas le pedigree des candidats à ce poste. Vous portez l’estoc contre Moushira Khattab,vous ne citez même pas les trois autres, ni d’autres candidats étrangers qui vous agréeraient.

          Au fond, on se demande quelle est votre réelle motivation derrière cet article et pour qui vous roulez ... ?

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