Cannes 2018 : un grand bof....
Le Festival de Cannes 2018 s’est achevé le 19 mai dernier. Une occasion de vérifier une nouvelle fois, avec un peu de recul, que le conformisme a de beaux jours devant lui.
Le jury, présidé par l’australienne Cate Blanchett, actrice chevronnée au physique étrange et diaphane, comportait de parfaits inconnus (un acteur taïwanais, une chanteuse du Burundi, un cinéaste Russe) et pour la France le militant de gauche Robert Guédiguian (auteur de nombreuses œuvres naturalistes) ainsi que, dans un autre genre, l’héritière Léa Seydoux - son père est, entre autres activités, membre du conseil d'administration de Schlumberger et des chaussures Louboutin.
L’ombre portée d’Harvey Weinstein a plané sur la Croisette et changé la physionomie des raouts nocturnes : la face cachée des soirées Cannoises a été prudemment gommée, du moins officiellement. Les agressions sexuelles reprochées à Harvey Weinstein « relèvent d'un comportement impardonnable », avait diagnostiqué les organisateurs dès octobre 2017, et les bacchanales y sont désormais proscrites : pour la 71e édition les organisateurs ont par conséquent « exigé » un « comportement correct ». Un flyer distribué aux festivaliers rappelait mêmes les peines encourues pour harcèlement sexuel, en mentionnant un numéro de téléphone dédié pour victime ou témoin.
Quoi qu’il en soit de cette nouvelle virginité - il est cocasse de contempler certaines actrices sexy en appeler à la condition de première communiante - le festival a comme à son habitude généré des happenings politiques divers, la tradition n’ayant pas été bousculée.
90 actrices et réalisatrices ont ainsi monté les marches en protestant contre l’inégalité entre les sexes ; parmi elles figuraient les actrices Julie Gayet, Salma Hayek (l’épouse mexicaine du milliardaire Pinault), les revenantes Jane Fonda et Claudia Cardinale, ou encore Marion Cotillard. Délaissant son Arles natale, la Ministre de la Culture Françoise Nyssen a bien entendu rejoint l’armada. La procession s'est arrêtée à la moitié du parcours dans cette montée symbolique des marches. L'occasion pour Cate Blanchett et Agnès Varda de lire simultanément un texte en français et en anglais, réclamant des mesures concrètes pour imposer de gré ou de force l'égalité entre les femmes et les hommes (et surtout les salaires afférents, si l’on a bien compris).
Les festivaliers ont eu droit aussi à 16 comédiennes d’origine africaine réunies en haut du Palais, le lendemain, pour « combattre les clichés racistes » dans le cinéma. Cette journée militante a commencé tôt sur la Croisette : interviews à la chaîne et poses devant les photographes. La comédienne Aïssa Maïga a pris l'initiative nommée : « Noire n'est pas mon métier », sous forme d'un livre collectif rassemblant les témoignages de comédiennes blacks et blâmant les préjugés racistes qu'elles auraient endurés. Eye Haïdara rêve d'être une actrice du répertoire classique. "C'est fermé pour moi. Pourtant, j'ai été à l'école en France. La langue des alexandrins fait partie de ma culture", regrette-t-elle. Dans le cinéma français, la diversité peut certes mieux faire, nous apprennent en tout cas les statistiques : sur les 2 617 rôles distribués en 2017, seulement 171 l'ont été à des comédiens noirs, dont 31 rôles principaux.
Dans un genre assez voisin, pour la présentation de son « BlacKkKlangsman », Spike Lee a affiché une attitude hostile à l'égard de Donal Trump. Le réalisateur, dont le nouveau film attaque le président américain frontalement, a déclaré avec beaucoup de nuances : « Nous avons un type à la Maison-Blanche - je ne prononcerai même pas son nom - qui, à ce moment décisif, aurait pu choisir l'amour contre la haine. Pourtant, ce fils de pute n'a pas dénoncé le KKK, l'alternative-right et ces fils de putes de nazis. » Spike Lee a ensuite souligné le caractère universel de son film. « S'il vous plaît, ne le voyez pas en pensant que cela ne se passe qu'en Amérique. Regardez vos pays et comment vous traitez les musulmans ou les migrants… » Ou encore : « Ce que je voudrais dire, c'est que ces conneries d'extrême droite, ce n'est pas seulement aux États-Unis : c'est partout dans le monde, et nous ne pouvons pas rester silencieux. Il faut nous réveiller ! »
La sélection française, quant à elle, a comme attendu fourni des films ennuyeux, et didactiques. Retenons par exemple l’oeuvre du dénommé Stéphane Brizé. Son opus précédent, très réussi, évoquait les errances d’un chômeur (La loi du marché) et avait valu à Vincent Lindon le prix d'interprétation en 2015. Or Brizé propose quasi le même film avec En guerre, avec ce coup-ci des fermetures d'usine. Le prix Fondation Louis Roederer a été remis au jeune Félix Maritaud, déjà présent dans 120 battements par minute, couronné aux Césars par huit prix. Dans Sauvage, le premier film de Camille Vidal-Naquet, notre Félix campe Léo, jeune prostitué masculin décrit par son concepteur comme une « bête de sexe » (sic) : La Caméra d’Or, ainsi que la Queer Palm (récompense réservée aux films faisant la promotion de l’homosexualité) ont consacré un autre film pro-gays : « Girl », du belge Lukas Dhont.
Le thème de l’immigration est bien entendu abordé, notamment avec le film présenté à la Quinzaine des Réalisateurs « Amin ». Le résumé de cet opus émeut : « Amin est venu du Sénégal pour travailler en France, il y a neuf ans. Il a laissé au pays sa femme Aïcha et leurs trois enfants. En France, Amin n’a d’autre vie que son travail, d’autres amis que les hommes qui résident au foyer. Un jour, en France, Amin rencontre Gabrielle et une liaison se noue. » Gabrielle est, on l’aura deviné, blanche, et elle s’embarquera pour Cythère grâce au vaillant Sénégalais, malgré la défiance de collègues jaloux. Comme tout ceci est audacieux et transgressif !
Au chapitre des films français affligeants, on notera aussi la prestation de Vanessa Paradis, interprétant une productrice de pornos gays dans le médiocre "Un couteau dans le coeur", oeuvre flinguée par toute la critique. Enfin, on évoquera pour mémoire le mini happening lié aux migrants. Condamné par la justice pour son action en faveur de ceux-ci (plus de 200 déjà « sauvés » et hébergé par son action), Cédric Herrou a été invité sur le tapis rouge de la Croisette, à l’occasion de la présentation d’un documentaire hagiographique. Le sauveur de migrants en a profité, avec plusieurs sans papiers, pour faire un doigt d'honneur devant les caméras. Cédric Herrou a ensuite, avec beaucoup d’audace sémantique, dressé un parallèle entre le traitement des migrants demandant l'asile et celui des juifs sous l'Occupation.
Examinons le palmarès final à présent : depuis toujours Cannes consacre des films rasoirs dont une grande majorité sombre dans l’oubli peu après. Cette loi d’airain n’a pas failli, et le palmarès 2018 sera source de bâillements pour de nombreux spectateurs. Une affaire de famille du nippon Hirokazu Kore-Eda (le Ken Loach japonais) remporte la Palme d'or. L’autre récompensé, BlacKkKlansman, déjà évoqué plus haut, reçoit le pompeux « Grand Prix ». Soyons honnêtes, son scénario était par essence un aspirateur à trophées (un gentil black infiltre de méchants blancs du Ku Klux Klan), mais il semble que ce film soit, lui, très réussi : le Figaro le décrit ainsi : "c’est une comédie aux savoureux dialogues avec des images choc de croix qui brûlent, de blancs qui crient leur haine et crachent leur bêtise, sur une bande son seventies appuyée »/
Il est temps de conclure. L’édition 2018 fut globalement terne et convenue, et cette cuvée ne restera pas dans les annales.
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