Cantona que l’humour d’un gorille en « Olly Gan » pour se poiler, holà gare !
La chaîne de l’évolution aux silhouettes bien connues menant du singe rivé au sol à l’homo érectus qui se redresse, puis à l’homo sapiens civilisé, se serait-elle inversée ? À voir l’actuelle publicité d’ « Olly Gan », une chaîne de boutiques de prêt-à-porter masculin, on est tenté de le croire.

La photo présente l’ancien joueur de football Cantona en plan moyen, un veston enfilé sur un torse velu, fusillant des yeux le passant qui ne lui a rien fait, avec pour légende « Cantona joue Olly Gan ».
Une avalanche de cinq paradoxes
On se saurait plus étourdiment jouer avec les paradoxes.
1- On ne s’attend pas d’abord à voir un ancien joueur de football jouer les mannequins : l’élégance et encore moins la grâce ne sont ni son métier ni sa spécialité. Il n’est que de voir les tronches de décavés mal rasées ou tondues que ses semblables promènent souvent sur les terrains. On comprend cependant que la chaîne de boutiques le mette en scène : une star, même ancienne, est un argument d’autorité qui capte l’attention car elle exerce - hélas ! - , en toute incompétence, un pouvoir de séduction sur un réseau de fans enamourés, prêts, par identification, à imiter ses postures et ses lubies. Il faut croire que Cantona, footballeur retraité, draine encore un tel réseau de "mouettes" après son "chalutier" pour servir de prescripteur.
2- Il est ensuite surprenant d’apercevoir si peu d’étoffe pour une publicité de vêtements. Le plan moyen ne laisse paraître tout juste qu’une moitié de veston sur le dos du footballeur. Impossible de voir comment il est coupé ni comment il tombe le long du corps ! Mieux, il n’est même pas enfilé civilement sur une chemise, un pull ou un T-shirt. Non ! il chevauche à cru un torse à poil : Cantona exhibe à foison toison, barbe et moustache, en somme, tout ce qu’il peut décemment montrer de son système pileux. La boutique « Olly Gan » offre moins du fil que du poil ou de la fourrure. On devine tout de suite pourquoi : pour elle, le poil, c’est la métonymie du mâle, la partie, si l’on ose dire, pour le tout. Elle vend donc du mâle, dont raffolerait, à l’en croire, une catégorie de femmes. Grand bien leur fasse !
3- On est également surpris par le choix du clair-obscur, façon Caravage ou Rembrandt, qui efface dans le noir tout décor, pour faire jaillir, voire saillir, en pleine lumière torse velu et visage mangé de poils. On ne risque pas d’être distrait par ce qui entoure la star, même pas par son veston sombre rayé dans le goût mafieux. Elle seule existe dans l’épiphanie de toute sa fatuité, accrue par un angle de contre-plongée qui la grandit encore artificiellement.
4- En fait, technique usuelle de mise hors-contexte, ce fond noir est ici paradoxalement aussi un contexte, celui de la nuit, qu’éclaire justement, de sa lumière jaune, le slogan : « Cantona joue Olly Gan ». Sans doute y a-t-il ambiguïté volontaire du verbe « jouer », selon qu’il intéresse le footballeur, l’acteur qu’il rêve d’être ou même le parieur. Mais le calembour sur la marque même « Olly Gan » désigne une réalité qui, elle, est sans ambiguïté : la sauvagerie imbécile des « hooligans », ces supporters anglais violents qui se déchaînent souvent le soir, avant, pendant et après le match. Cantona s’est longtemps donné en spectacle devant eux à Manchester.
5- Et, pour jouer à la fois « Olly Gan » et le hooligan, le personnage a la gueule de l’emploi : le procédé de l’image mise en abîme simulant une relation interpersonnelle avec le lecteur, le personnage lui plante ses yeux dans les siens ; il le fusille même d’un regard mauvais, sourcils froncés sur une barre d’arcade sourcillère de type Cro-Magnon, comme pour lui chercher noise gratuitement : « Tu veux ma photo ? » paraît-il lui signifier alors qu’il n’a fait que le regarder. Ce n’est pas le moindre des paradoxes que de s’employer à attirer l’attention des badauds pour la leur reprocher. Ça s’appelle « une double contrainte », dit Paul Watzlawick après G. Bateson : elle a le don d’ébranler l’équilibre psychologique d’autrui en l’obligeant perversement à n’obtempérer à un ordre qu’en désobéissant à un autre contradictoire intimé dans le même temps : « Regarde-moi, badaud ! » « Pourquoi me regardes-tu, bouffon ? »
Un humour introuvable
Cette mise en scène grotesque est-elle au moins sauvée par l’humour qui est l’art de parler légèrement de ce qui est grave ou gravement de ce qui est léger ?
- Deux sujets graves sont, en effet, ici traités : la réduction de l’érotisme masculin à celui du primate et l’apologie du hooliganisme, cette violence tribale, délictuelle ou criminelle.
- Sans doute, par le calembour et l’ambiguïté volontaire, n’est-il question que du jeu et de la simulation d’un acteur. La posture, du reste, gratuitement agressive, touche à la caricature qu’on ne peut prendre au sérieux.
- Seulement, ce qui gêne, c’est précisément le choix de l’acteur Cantona pour jouer son propre rôle. On est loin de Lino Ventura dans Les Tontons flingueurs jouant cet « homme de la pampa » capable de rester courtois jusqu’à ce que « l’Antoine », l’ami de sa fille adoptive Patricia, « commence à les lui briser menues ».
Le CV du personnage Cantona que joue l’acteur Cantona n’est pas celui d’un enfant de chœur. Il a traité publiquement le sélectionneur de l’équipe de France de « sac à merde », lancé de rage un ballon à la figure d’un arbitre, jeté de dépit son maillot à terre en quittant sur ordre de son entraîneur le terrain en cours de partie, ou, encore, bondi dans les tribunes pour agresser un supporter d’un « mawashigiri », un coup de pied circulaire dont ses fans se réjouissent encore, même si ce coup de folie lui a valu deux semaines de prison ferme commuées en heures d’intérêt général. On ne peut oublier non plus à son palmarès qu’il a accepté de singer avec le plus grand sérieux le style de Mussolini dans une publicité de Nike en 1998 (voir photo ci-contre).
Cantona qui parodie Cantona, cela revient donc pour lui à revendiquer, en les donnant en référence, ses comportements de voyou passés qui ont beaucoup fait pour sa notoriété, du moins chez ceux qui, soumis à leur chef, vivaient avidement cette insubordination de mauvais garçon par procuration.
De « l’objet du désir » au « désir de l’objet »
On ne peut donc pas parler d’humour, d’autant que la marque « Olly Gan » joue, elle, à plein sur cette double image de Cantona pour déclencher chez les clients éventuels la pulsion d’achat. Elle attend tout de la stimulation d’un réflexe d’identification à Cantona, personnifiant un érotisme masculin dans sa version primate et une variété d’hooliganisme. « L’objet du désir Cantona », ainsi identifié, ne pouvant être possédé, il reste au lecteur, pour apaiser l’inconfort de sa frustration, à seulement éprouver « le désir de l’objet », ce veston « Olly Gan » aperçu : celui-ci prend, en effet, des airs de « relique » par concentration sur lui des feux du désir inassouvi chez le fan et du rayonnement dont la star associée l’auréole.
Le client a beau être dépourvu des « virils appâts » de son idole et de son audace à transgresser ouvertement les règles morales et sociales, il peut bien être astreint à ramper devant son patron dont il attend faveurs et hausse de salaire pour payer ses traites. Comme l’enfant qui reçoit à Noël la panoplie de Zorro ou de Spiderman, il lui reste le loisir de revêtir l’accoutrement « Olly Gan » de Cantona et, en compensation de sa frustration quotidienne, de jouer à son tour au matamore devant sa glace ou son entourage, sur la route au besoin, mais loin de son patron.
Cette apologie de l’érotisme de primate façon footballeur - « droit au but sans les mains » - comme celle de l’hooligan imbécile, ne pouvait être tolérable que sous la forme d’une parodie. Mais « Olly Gan » n’est pas Michel Audiard ni Cantona, Lino Ventura. Leur malheur est de n’avoir pas écouté cet avertissement d’Audiard dans la bouche de Lino : « Les cons, ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnaît ! » Sauf erreur, on ne retient de Cantona qu’un aphorisme lancé à des paparazzi accourus pour l’entendre après son agression mémorable : « Quand les mouettes suivent un chalutier, leur avait-il proféré avec superbe, c’est parce qu’elles pensent que des sardines seront jetées à la mer. »
Il lui revient aujourd’hui comme un boumerang en pleine figure : Cantona sait très bien depuis longtemps ce qu’il faut lancer de son chalutier pour attirer non seulement les mouettes mais aussi les mouches. Paul Villach
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