Cantona, tapin de luxe pour la Fondation Abbé Pierre
Quelle tristesse ! Quel écoeurement ! Sous l’impulsion choquante de son Délégué général, Patrick Doutreligne – pas de CV gratuit disponible sur le Net –, la Fondation Abbé Pierre, cette fois, a touché le fond. Elle a vendu son âme au diable, à ce cancer qui ronge la société et l’ensemble des médias d’aujourd’hui : le marketing populiste et l’effet d’annonce, les deux soubrettes dévouées du monde capitaliste et ultra-libéral.
Structure créée en 1988 par Henri Grouès, dit l’Abbé Pierre, l’homme charismatique, puissant, sincère et bouleversant du terrible Hiver 54, la Fondation tout autant que son fondateur occupe à juste titre une place particulière dans le cœur de beaucoup de Français, catholiques ou non. Après la fantastique association Emmaüs lancée en 49, la Fondation Abbé Pierre s’est spécialisée dans la lutte contre le mal logement, qui touche actuellement près de 10 millions de personnes en France, dont 600.000 enfants. Le combat est des plus grands, des plus nobles, dans cette société française qui maltraite les plus faibles et les plus pauvres, et j’ai toujours considéré cette mission, comme celle des Restos du Cœur, comme étant l’un des derniers îlots d’humanité dans cette Vème République qui n’en finit pas de crever dans ses hypocrisies, ses mensonges criminels et ses absurdités.
Mais voilà, les temps changent. Cinq ans déjà ce mois-ci que l’Abbé Pierre s’en est allé, avec son cœur énorme et son vieux bâton de pèlerin. Les vrais hommes et les vraies femmes des combats altruistes disparaissent peu à peu pour laisser place aujourd’hui à une nouvelles race, celle des managers, des gérants, des représentants rémunérés de grandes causes humanitaires, amateurs de Prix et de médailles. En novembre 2007, six mois après l’élection de Nicolas Sarkozy, Patrick Doutreligne accepte d’être fait Chevalier de la Légion d’Honneur – l’une des rares infos dont on dispose gratuitement sur sa personne publique – sans exiger, contrairement à l’Abbé Pierre en 93, la moindre contrepartie en faveur de son noble combat. Dont acte.
Aujourd’hui, Patrick Doutreligne, délégué général de la Fondation Abbé Pierre donc, sort le grand jeu marketing, et le reconnaît d’ailleurs volontiers, avec une naïveté déconcertante. Plutôt que de mener une vraie lutte politique sur le terrain en faveur du mal logement – occupation des milliers d’appartements vacants, manifestations massives, condamnations actives et nominatives des propriétaires “indélicats”, des marchands de sommeil, mobilisations constantes et interpellations directes du gouvernement, de l’Assemblée nationale, du Sénat, des communes qui ne respectent pas la loi des 20% de logements sociaux, etc. –, on préfère inviter Éric Cantona, le clown de service des grandes causes populistes, le jumeau poétique de Jean-Claude Van Damme, le spectaculaire footballeur reconverti dans le business de l’image rebelle. Ainsi, avec la complicité peu étonnante du journal Libération, voici le grand philosophe engagé des planches et de la luzerne en pleine page à la une de ce fleuron fané de la presse nationale, jouant sur la vague des jérémiades à la mode : “Je cherche 500 signatures…”.
Comme Patrick Doutreligne l’explique dans Libération :
Il fallait un aiguillon comme Eric Cantona pour redonner au logement la place qu’il mérite dans cette campagne. (sic). […] Quand on lui a proposé de faire quasiment acte de candidature à l’élection présidentielle, il a rigolé. Il nous a dit : "D’accord, mais ne faites pas durer le suspense trop longtemps."
Ah, le rire de ce bon blagueur d’Eric Cantona, parrain de la Fondation Abbé Pierre, au même titre que d’autres grands humanistes engagés comme Jean Reno ou Marie-Christine Barrault…
Bon dieu ! Comment en est-on arrivé là, à ce degré d’idiotie, de mépris des pauvres, des victimes du capitalisme et des incompétences des partis politiques – UMP et PS confondus –, à ce degré de cynisme à peine voilé ?
La Fondation Abbé-Pierre réclame la construction de 150.000 vrais logements sociaux par an pendant cinq ans, un encadrement rigoureux des loyers, une prévention maximale des expulsions locatives, un accès au logement des plus pauvres, eh bien, qu’elle se batte avec dignité et efficacité sur le terrain politique, et seulement sur le terrain politique, au lieu de se compromettre ainsi dans la société écervelée du spectacle et le Buzz sans lendemain, hormis pour Cantona le bienheureux, bien sûr.
L’Abbé Pierre doit se retourner dans sa tombe. Surtout après avoir entendu le Délégué général de sa précieuse Fondation, Patrick Doutreligne, comparer sa parole fébrile et habitée de l’Hiver 54 avec celle de ce pathétique footballeur qui, comme Zidane ou Chabal, ou tant d’autres has been – bientôt Candeloro, Morandini ? Pour Attali, c’est déjà réglé –, ne sait plus quoi faire d’épatant pour vendre son image au grand public.
Vivant aujourd’hui à des milliers de kilomètres de la France, après avoir été expulsé de mon logement par les banques et jeté à la rue par le surendettement, j’appelle tous les donateurs de la Fondation Abbé Pierre, dont je faisais partie autrefois, à exiger la démission immédiate de Monsieur Doutreligne qui, après des campagnes de racolage de plus en plus déviantes, coûteuses et imbéciles, vient de traîner aujourd’hui les hautes fonctions qu’il occupe et sa Légion d’Honneur dans la boue infâme du show-business médiatique à la Sarkozy !
Monsieur Doutreligne, arrêtez de prendre les gens pour des cons ! La misère est votre gagne-pain, soit, mais respectez les pauvres en ne les prenant pas pour des écervelés !
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