Cargos de nuit (vague 12)
Nous l’avons expliqué hier, le géant des mers relâché par les pirates, après l’épisode rocambolesque et meurtrier arrivé à son remarquable capitaine avait finalement accosté à Mombasa, pour y débarquer sa fameuse cargaison humanitaire, qui ne représentait somme toute qu’une infirme partie de sa cargaison totale, sur laquelle on ignore tout. L’empressement des médias à saluer son activité humanitaire seule nous a paru assez sommaire, ainsi que le peu de remarques faites sur la composition de son équipage, radicalement différente de celle des autres cargos qui sillonnent l’endroit où il a été intercepté. Si on y ajoute une conférence de presse de ses fameux marins assez surréalistes, où ils se sont employés avant tout à critiquer ouvertement l’action de Barack Obama, on obtient tous les ingrédients d’une histoire sulfureuse. Celle des porte-containers estampillés USAID, qui ne sont pas tous, loin s’en faut, des bateaux civils, même si extérieurement leur armateur l’est. On vous a déjà conté l’histoire du Faina, il semble bien que ce navire ne soit que le sommet de l’iceberg de ce qui se passe véritablement dans la région, chose à laquelle ne semble pas échapper le MSC Alabama, son nom complet, un cargo...sous contrat militaire, en réalité.

Les bateaux de Maersk servent-ils dans leurs containers à faire circuler les armes cette fois vers le sud et le...Soudan ??? Des armes qui pourraient provenir de la filière de l’Europe des Balkans dont on vous a déjà parlé, débouchant vers la Croatie, via un passage du canal de Suez et la Mer Rouge ou via l’Ukraine, la Moldavie ou via la fameuse Transnitrie, en traversant la Mer Noire ??? En fait, les deux sont possibles. Maersk est installé en Ukraine depuis 1993 et en 2008 est devenu là-bas le leader des transactions portuaires du pays : "In 2008 based on the laden volumes shipped to/from Ukraine Maersk Line remains the leader in the Ukrainian market". Ou tout simplement d’Israël ? Le Faina ne serait-il qu’un gagne-petit ukrainien en comparaison du MSC Alabama ? Ceci, si le porte-container n’était qu’un navire commercial comme un autre... Or, et c’est à noter, ce n’est pas exactement le cas. Le nom de l’Alabama donné au départ à la presse n’était pas complet : c’est en fait le "MSC Alabama"... à savoir un navire dûment affrété par.. le Pentagone puisque MSC signifie Military Sealift Command !! Sorti directement le 7 avril 2009 de la base militaire de Norfolk, qui l’hébergeait il y a quelques jours encore. Reste à savoir pourquoi une opération d’aide humanitaire transportant du riz du maïs et de l’huile débute dans une base militaire... avec un bateau civil, réquisitionné par des militaires...
Car pour ce qui est de la filière de la Mer Noire, il y a un précédent au Faina. C’est le Beluga Endurance, un porte container de 2004 de 138m de long, de 673 TEU, sous pavillon d’Antigua, et ayant comme port d’attache Oktjabrsk. Chargé par la firme ukrainienne Ukrinmash (déjà vue ici dans notre article sur la Georgie et vendeur de Migs 27 par exemple ou de BTR-4) de "machines et de véhicules". En réalité, à bord, "42 T-72 tanks, 15 anti-air canons, 2 multiple rocket launchers, 2 tons of RPG and 95 tons of Kalashnikov guns and accessories were loaded". Le bateau, discrètement chargé, à partir d’Oktjabrsk fut suivi par les journalistes du Spiegel tout d’abord jusqu’en Israël, puis jusque... Mombasa : "Israel is known for upgrading/refurbishing Ukrainian weapons as it did with tanks for Czechia and multiple rocket launchers for Georgia". Le circuit habituel, dira-t-on. On sait, et on vous l’a déjà dit également ici que les israéliens sont devenus les spécialistes des Grad, ces orgues de Staline qui furent tant utilisées dans le récent conflit Géorgien. La cargaison du Beluga Endurance portait la même signature de livraison que celle du Faina, à nouveau celle du GOSS, les rebelles du Soudan Sud soutenus par les Etats-Unis... et Israël. Lors de la mise en ligne des aventures du Beluga Endurance, un participant rappelait les faits : "The Ukrainian parliament set up a special commission in September to look into the country’s arm sales to Georgia before the August war. The results, recently made public, are quite explosive. See ’Ukraine laundered billions in arms trade’". On comprend mieux pourquoi, à la fin de notre premier article, ce n’était pas le propriétaire qui avait payé la rançon : les pirates ont eu comme interlocuteur direct Victor Louchtchenko, ce grand ami des américains, aujourd’hui en difficultés sérieuses dans son pays. A noter qu’à Cherbourg on le connaît aussi, le Beluga Endurance, mais pour une tout autre raison..
Le Beluga Endurance était affrété par la compagnie allemande Beluga, qui se vante aujourd’hui encore de faire dans le lourd : "No matter how big or heavy your cargo is or where it has to be shipped, we are your ideal partner. We pursue new paths for our clients, thinking visions ahead creatively". Sans elle, nous n’aurions jamais imaginé que des chars puissent être un marché "créatif". Maersk, quant à elle, est une société danoise d’origine, a en effet des liens privilégiés depuis longtemps avec l’armée américaine : "Maersk Line, Limited is based in Norfolk, Virginia, and is one of the Department of Defense’s primary shipping contractors. It has been a reliable partner for the government in peacetime and war for almost 30 years. " Quatre navires Maersk servent donc exclusivement aux transports de la marine US, quatre bateaux estampillés "Class A" selon leur nom : l’ALABAMA l’ALASKA, l’ARIZONA et l’ARKANSAS. En 2004, un contrat leur a assigné un port d’attache, l’Alabama héritant de Dubaï : "Seafarers crewed up MLL’s Sealand Charger Oct. 28 in Los Angeles ; the Sealand Meteor Nov. 9 in Dubai ; the Alva Maersk -since renamed the Maersk Alabama-Nov. 10 in Dubai ; and both the Sealand Intrepid and Sealand Comet Nov. 16 in Los Angeles. The Sealand Lightning was due to join the fleet in Southern California. A sixth MLL vessel was scheduled to enter the fleet in late November or early December 2004". En fait, les USA disposent de 38 navires de ce type au total : "As of the most recent listing in October, 2008, the ship was still named as one of the 38 container ships in the U.S. government’s Maritime Security Program Fleet. Its purpose is described as maintaining “a U.S.-flag merchant fleet crewed by U.S. mariners to serve both the commercial and national security needs of the United States.” Notre bateau bleu et rouge n’a donc rien d’un bateau civil. Les pirates, sans le savoir, sont à nouveau tombés sur plus gros qu’ils ne pensaient.
Ce qui explique aujourd’hui le pourquoi d’un équipage entièrement américain à bord de ce bateau, payé à un tarif bien différent des ukrainiens ou philippins habituels, et à mon humble avis pas venu seulement pour surveiller les containers "d’aide humanitaire pour le Kenya". La conférence de presse improvisée et surréaliste donnée par l’équipage juste relâché qui pressait Obama de tout faire pour arrêter le piratage est symptomatique : derrière les propos maladroits se cachait un état d’esprit tout... militaire. "We’d like to implore President Obama to use all of his resources to increase the commitment to end the Somali pirate scourge… It’s a crisis." On voudrait continuer à "travailler" tranquillement qu’on ne s’y prendrait pas autrement. Travailler en qualité de... militaires, voire de... mercenaires. Car c’est la BBC, le lendemain même, qui a bien levé un autre lapin, en soulevant la question d’un équipage capable de tenir tête à des pirates munis de Kalachnikovs et de RPG-7... sans être "officiellement" armés : "the BBC’s Jonah Fisher in Mombasa says the one remaining question surrounding the Maersk Alabama is how its crew of merchant seamen managed to fight off Somali pirates equipped with AK-47s.The crew refused to provide an answer because they said the techniques they used were being kept secret to help other ships resist pirate attack." Il serait tout simplement aberrant que les marins à bord d’un des bateaux de Maritime Security Program Fleet n’aient eu aucun cours et n’aient été équipés d’aucun matériel pour lutter contre la forme de terrorisme qu’est la piraterie ! Ces fameux "américains", à bord du MSC Alabama, ne seraient-ils pas tout simplement nos fameux mercenaires de Blackwater, reconvertis comme on vous l’avait dit en marins anti-pirates...et chassés par Obama de l’Irak, d’où leur étrange discours à peine débarqués ? Des photos de l’équipage descendant des passerelles du bateau jettent le trouble... a-t-on à nouveau loué des porte-pistolets ?
En fait, c’est du côté d’HollowPoint Protective Services (HPPS ), firme du Missouri dirigée par un dénommé John Harris, qu’il faut plutôt chercher . Le 20 octobre dernier, ce patron avouait qu’il était en "négociation" avec les entrepreneurs ayant des bateaux dans le Golfe d’Aden :"the firm is “currently in negotiations to provide our asset protection and security services to shipping companies operating in the Gulf of Aden region” . Ce qu’il y a de très amusant, c’est de constater que pour présenter la firme sur Internet, HPPS n’a rien trouvé de mieux que d’utiliser une célèbre photo des mercenaires de Blackwater (devenu depuis Xe) protégeant l’ambassadeur US en Irak Paul Bremer ... Est-ce intentionnel ? Est-ce de l’inconscience ou existe-t-il un lien entre le défunt Blackwater et le nouveau HPPS ? Bizarrement encore, HPPS possède une société jumelle, appellée HP Terra-Marine International, LLC. Elle s’est associée à une société anglaise du même type, REDfour MSS. Les deux viennent de se partager la sécurité dans les régions piratées, selon leurs dires : un nouvel eldorado pour mercenaires ? Ce n’est pas un peu compliqué au départ, ces DEUX sociétés sœurs HP Terra-Marine International et HPPS qui font exactement la même chose ?
Bizarrement en effet, HPPS possède une société jumelle, appellée HP Terra-Marine International. LLC. Elle s’est associée à une société anglaise du même Wpe. REDfour MSS. Les deux viennent de se partager la sécurité dans les régions piratées clament-elles : la Corne de l’Afrique, un nouvel eldorado pour mercenaires ? Ce n’est pas un peu compliqué au départ. ces DEUX sociétés sœurs HP Terra-Marine International et HPPS qui font exactement la même chose ? Avec les mêmes dirigeants à leur tête ? Autre équipe possible sur le pont des navires attaqués : les anglais de Anti Piracy Maritime Securi Solutions (APMSS. mais on ne peut pas dire qu’ils sont efficaces à la premiere attaque sérieuse, celle du Biscagilia un chimiquier libérien, ils ont détalé en se lançant à l’eau et en laissant l’équipage en otage ! Il n’étaient même pas.. armés ! Un peu cher pour aucun service : "APMSS provides three-man teams of former soldiers to protect commercial vessels and in recent weeks demand fonts services has soared. it has teams on ten ships off Somalia - each costing £14.000 for three days". Finalement, deux mois après, les pirates laissaient le navire.. contre rançon, sans doute. Autre société encore : Tactical Solution Partners, qui propose elle d’entraîner les marines US aux attaques de flibustier... on le voit, comme on a senti l’argent sécuritaire couler à flots de l’autre côté, il y aura bientôt plus d’agences de sécurité que de pirates somaliens... Bien entendu, TSP rassemble la crême habituelle des mercenaires : "Tactical Solution Partners ("the Company") is a homeland security technology firm led by an elite management team comprised of veteran business professionals and former Special Forces military personnel" dit son dépliant. Ronflant, comme pouvaient l’être les gens de Blackwater, imbus d’eux-même et se sentant protégés. Mais Grumman lui-même s’est fait prendre à son jeu.
Ceci pour l’équipage. Sur les différents mouvements du bateau, les dépêches ont entretenu un flou artistique intéressant... Car en réalité, les trajets de L’Alabama dans l’année 2008 et de ce début d’année nous renseignent assez sur la filière possible. En septembre, on le trouve en train de passer le détroit de Gibraltar, le 15 et le 22. Le 29, il est remonté au Havre où il est photographié par une "spotteuse". Il bat alors pavilon panaméen (comme aujourd’hui encore !). En novembre 2008, il effectue deux accostages en Australie. Mais en décembre cela devient plus intéressant : le 04 il est au Brésil, du 7 au 9 à Jeddah (en Arabie Saoudite) et le 20 il visite Felixstowe en Angleterre, et le même jour Bremerhaven en Allemagne, puis Anvers, où il arrive le 22 décembre, pour repartir vers le Havre le 24, direction.. Boston, Baltimore et... Norfolk où il arrive les 3, 8 et 10 janvier dernier. Au 28 février il est à New-York. Felixstowe est le plus grand terminal anglais pour containers, mais Bremerhaven n’est rien d’autre que l’une des bases militaires américaines chargées des approvisionnements en Irak par exemple. S’y activent tous les jours le Military Sealift Command Europe et l’ U.S. Army’s Military Surface Deployment and Distribution Command’s 598th Transportation Terminal Group, deux des composantes fondamentales du Transportation Command US, dont fait partie le Military Sealift Command (MSC). Le troisième arrêt du 22 décembre est tout aussi intéressant : c’est Anvers, haut lieu du trafic d’armes légères en Europe. Odessa d’un côté, de l’autre Anvers, comme nous l’avions défini lors de notre série des cargos. Comme le fameux Faina, qu’on retrouve déjà en train de mouiller au large de la côte... ukrainienne.
Très vite en effet, pendant le déroulement de la prise d’otages, et sans qu’on ne l’ait demandé, John Reinhart, le responsable de Maersk à Norfolk affirme qu’il n’y a aucune arme à bord, cette fois, c’est bien sûr :" No military cargo on ships. Repeats was just food aid."Pourtant, le Surface Deployment and Distribution Command (SDDC), un groupe d’experts rappelle que les navires de Maersk acceptent toutes sortes de matériaux à bord, même les "hazardous" tels que les détonateurs.... les munitions et le nitrate d’ammonium.... Sur l’ensemble du chargement on apprendra un peu plus tard les containers n’étaient pas tous dédiés à l’envoi de nourriture, il s’en faut de peu. "A spokesman for the U.N.’s World Food Programme (WFP) in Nairobi told Reuters that among the vessel’s cargo were 232 containers of WFP relief food destined for Somalia and Uganda". L’insistance à avoir tout de suite présenté l’Alabama comme un bateau humanitaire du Programme alimentaire mondial (PAM) prête à interprétation, sachant que ce genre de navire ne peut circuler avec à peine le 1/5 eme de sa capacité... Son équipage entièrement américain intrigue davantage encore. Que transportait donc d’autre le Maersk MSC Alabama, bateau travaillant pour l’armée américaine ? Qu’allait-il donc véritablement livrer à Mombasa en plus de l’aide alimentaire ? Pourquoi insiste-t-on autant sur une infime partie de sa cargaison, en clamant très vite que les dommages aux populations seront terribles si le bateau ne parvient pas assez vite à Mombasa ? "Mombasa is the key port because of its more modern waterfront and warehouse facilities. The United States is the largest donor with more than $2 billion in aid it provides the World Food Program through USAAID. Approximately four to five ships sail each month from U.S. ports in support of the World Food Program. It would be a catastrophe were one of these ships carrying World Food Aid hijacked. The food would be lost and could not be replaced""... quelque chose cloche dans l’argumentaire : l’Alabama avait certes à bord des containers refrigérés (blancs) , mais le programme d’aide ne comportait pas de denrée périssable à bord. Il n’en comporte jamais. Rappelons ici les termes de la représentante de l’aide humanitaire : "la cargaison comprend "4.097 tonnes d’un mélange de soja et de maïs, utilisé pour combattre la malnutrition des enfants et de leurs mères et destiné à la Somalie et à l’Ouganda, ainsi que 990 tonnes d’huile végétale pour des réfugiés au Kenya". A ce jour, on n’a pas encore vu de soja, de maïs et d’huile en bidons se dégrader aussi vite qu’on a pu le dire. A Mombasa, on a vu débarquer des sacs de soja, des sacs de maïs... rien qui nécessitait un tel empressement à arriver à bon port. Des sacs de maïs.. et des employés de Maersk ressemblant comme deux gouttes d’eau à des mercenaires en armes.
Le dernier point qui laisse dubitatif est en effet la protection accordée au navire. Dans un communiqué élogieux en date du 14 septembre 2008, la Navy canadienne revendiquait l’escorte de l’aide en nourriture apportée à la Somalie, la frégate polyvalente ille de Quebec de 4750 tonnes s’en chargeant, munie d’un hélicoptère de surveillance un CH 124A Sea King. On avait affaire à un effet d’annonce, donc, car depuis la marine canadienne n’a plus donné de nouvelles de ces escortes. Pour ce voyage, pas d’escorte, seulement des bateaux sur zone, mais pas au bon endroit, car cette fois les pirates sont allés loin des côtes chercher leur proie, comme ils ont pu le faire malheureusement pour le voilier français, qui ne s’était pas non plus approché des côtes. Les navires américains n’ont-ils pas serré de près l’Alabama pour ne pas éveiller les soupçons, justement, sur de possibles livraisons d’armes ? L’insistance sur le contenu humanitaire pour un bateau tout droit sorti d’une base militaire est-elle la preuve d’un autre contenu caché ? Dans cette chasse au pirate, les médias ne sont-ils pas allés de journée de dupes en journées de dupes, à ne pas vérifier les contenus ou les équipages concernés ?
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