Ce 7 avril 2008, flamme de mai, liberté enflammée, dictature incendiée

Ce 7 avril 2008, la traversée de la flamme olympique dans Paris résonna d’une somme de symboles, témoignant des valeurs, des luttes, des tendances liées au spectacle, au sport, au commerce, aux convictions personnelles. La situation du Tibet n’aurait pas dû interférer avec celle des JO. Mais comme les instances officielles, associées aux intérêts des sponsors, ont décidé d’organiser ce tour du monde de la flamme, alors les militants des causes de l’homme libre ont décidé d’utiliser ce créneau pour montrer leur détermination en pourrissant ce qui devait être la fête de l’olympisme et de la fraternité. Notre époque se vit sur la base de symboles et de luttes symboliques, tout spécialement en France où on pouvait s’attendre à ce que les manifestations soient le point d’orgue de ce combat pour les libertés et le Tibet, autre symbole puissant, bien plus que la Tchétchénie. Il y aurait matière à se demander pourquoi mais ce n’est pas le lieu ici pour en débattre. Quoique, nul ne sait ce qui serait advenu des JO s’ils avaient été à Moscou. Ils sont à Pékin, en Chine, grande puissance économique, mais grande impuissance face aux libertés. Et le dénominateur commun entre le Tibet et la Liberté, spiritualité ! Autant dire que la France était le pays de l’Esprit le mieux placé pour montrer sa détermination face à l’alliance de la marchandise et de la dictature.
Le spectacle de cette flamme secouée restera un événement marquant, même s’il semble être une comédie qui répète les tragédies, conformément à la doxa du Marx. On aura remarqué des divergences d’appréciation. Ce qui est naturel et prouve la bonne santé de notre démocratie. Ici on montre les images et chacun expose son sentiment. Cette spontanéité fleure bon le parfum de Mai-68. Pas comme en Chine où les images sont filtrées et les discours contrôlés. Un autre pays, un autre état d’esprit, une autre conception de la société. Mais l’intérêt de ces JO, bien compris par les radicaux bien trempés, c’est de faire se rencontrer des cultures différentes. Avec évidemment le risque de produire des étincelles. Ce qui est normal puisqu’une flamme est au centre des confrontations.
Provocation. Chacun suit une voie, une idée et, donc, destin de dévoilement des voies et dévoiements, comme aurait pensé Heidegger. La lutte a été serrée. Le dispositif policier était à la hauteur. Aussi imposant que pour une visite de chef d’Etat. Les manifestants n’ont pas hésité à braver les forces de l’ordre. La France était le jour J, celui où, en cette terre des libertés, le combat devait atteindre l’apogée, plus qu’à Londres et bientôt à Frisco où le Golden Gate est pris d’assaut. Des banderoles contre les JO ont été arrachées par la police, sauf celle déployée par une cinquantaine de députés frondeurs derrière les grilles du palais Bourbon, car le risque politique eût été énorme si on avait fait taire la représentation nationale, sanctuaire inviolable des libres expressions, protégé par l’Institution et la Constitution, dans une démocratie qu’on pense éteinte, mais qui fut rallumée l’espace d’un jour par des « opposants à la Chine ». Evidemment, les légalistes diront qu’il ne fallait pas leur donner les JO et que maintenant que la décision est prise, il faut s’y plier. En cette espèce de différend, il importe de reconnaître à chaque partie sa légitimité à défendre sa cause. Il n’y a pas les méchants d’un côté et les bons de l’autre. Comme en Mai-68, il n’y avait pas les anges étudiants contre l’Etat satanique du général.
On compatira avec les Chinois de Paris, minorité prête à faire la fête, mais qui a dû prendre acte de notre culture et du fait que la question des droits de l’homme, même si elle s’enlise ou conduit à des excès, est une affaire touchant à l’essence de la nation française et de ceux qui veulent ou croient porter la défense des libertés. Certes, Robert Mesnard (comme José Bové ou Patrick Pelloux dans d’autres luttes) a mis le paquet, mais qui peut reprocher à individu de se mettre en avant dans un combat ? Il faut bien quelques leaders. On ne va pas reprocher à Jean Moulin d’avoir été un « leader » dans la résistance. Cette fronde de Paris a quelque peu rappelé Mai-68, avec les bonnes gens et les artisans du coin, agacés qu’on dérange leur affaire, et puis les manifestants, les forces de police et les déclarations officielles. Comme celle de Bernard Laporte qui, on l’espère, a parlé pour déminer les relations diplomatiques entre la France et la Chine. Chaque parole porte la personnalité et la fonction de celui qui les exprime. La retenue et la discrète compréhension de Stéphane Diagana contraste avec la morgue agacée d’un David Douillet ou l’irritation d’un Christophe Dominici. Le premier est étiqueté à gauche, les seconds à droite. Vous pensez que cette remarque est lourde de sous-entendus, vous avez raison.
Quand la discorde est de mise, le glaive n’est pas si loin et le Christ en embuscade. Beaux moments d’humanité éclairée ou obscurcie, c’est selon. Bernard Laporte a décrété que l’image de la France était ternie. Moi je pense au contraire qu’elle a pris quelques couleurs. D’ailleurs, cette France était si brillante dans ses valeurs et ses combats que les officiels chinois ont cru bon d’éteindre la flamme olympique. En termes d’image, ce sont eux qui ont perdu. Mais allez faire comprendre cela à un secrétaire d’Etat de droite. Qui croit que les JO c’est comme les affaires économiques, sacrées ! Eh bien non M. Laporte, la donne mondiale a décidé que les biens étaient interchangeables sur toute la planète. Alors les valeurs sont défendables sur la terre entière et la vie ne se résume pas seulement à des profits dans les centres commerciaux et au statut d’un citoyen spectateur qui, à l’instar d’une vache, regarde passivement et lascivement son écran, comme si tel était le destin de l’homme. Les officiels n’ont pas confisqué les JO et c’est toute la fierté et tout le sens dont on peut se délecter quand on est Français. Les JO de 2008 ne seront pas confisqués par un pouvoir, au nom de l’orgueil déplacé d’une caste dirigeante, pas comme en 1936. La donne a changé et, pour cette fois, soyons heureux de ce qui s’est passé et qui honore la France citoyenne, avec ce fait d’arme médiatisé, même si quelques excès ont été commis et si personne n’est entièrement blanc, mais qui peut prétendre l’être ? Certainement pas la Chine qui est la grande perdante en termes d’image et qui, on l’espère, apprendra un peu à nous connaître, nous Français épris de liberté mais qui avons de par le passé été en délicatesse avec elle. Puissions-nous avec ce 7 avril renouer avec notre compagne de quelques siècles et faire encore un bout de chemin, debout, fier et libre d’être révolté et comme disait l’ami Sartre, d’avoir raison.
Au final, cet épisode emblématique de la flamme ressemble de près à une opposition entre deux Lois, celles de Créon et d’Antigone. Comme quoi, la Grèce est encore présente dans cette affaire de jeux Olympiques. Elle qui les a inventés et la France qui en a assumé la renaissance avec le Baron Pierre de Coubertin. Antigone, comme le coup de boule de Zidane, comme le sort de la flamme olympique ce 7 avril, histoire de nous rappeler que le sport n’est ni une mécanique ni un jeu anodin ni une marchandise, mais un dispositif où se concentrent d’autres enjeux, qui dépassent ce que le Baron avait imaginé au tournant de 1900.
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