Ce qui manque à Bayrou. Ce qu’il peut faire sien
Francois Bayrou prétend dépasser le traditionnel clivage droite-gauche. Pourtant cette thématique reste largement absente de sa campagne en ce qui concerne les questions d’ordre économique, ceci malgré la pertinence d’un renouvellement dans ce domaine.
Ainsi, à force de persévérance et d’ambition mais aussi
d’incompréhension et de sourires, le Rastignac du Béarn est en train de
creuser peu à peu son sillon dans la capitale.
A l’image du champ politique dans son ensemble, et malgré ce qu’en
disent ceux qui clament haut et fort que le clivage droite-gauche
commandera à Bayrou de prendre parti pour le second tour et donc de
rentrer dans les clous que les lignes idéologiques imposeraient à tous,
l’effet Bayrou illustre les questions que notre époque posent aux
catégories préétablies.
On fait mine de croire que le discours du prof de lettres - ni
droite-ni gauche - est iconoclaste ou bien qu’il pourrait tout au plus
faire un écho lointain à celui de De Gaulle en 1958, dans un contexte
soi-disant incomparable. Néanmoins l’actualité politique récente de
part et d’autre de l’échiquier politique révèle combien tout ça est
plus trouble et complexe qu’on ne voudrait nous le laisser croire. Les
électeurs du PC sont partis chez Le Pen depuis longtemps, Ségolène
défend sur la famille et l’éducation des positions qui laissent la
droite modérée perplexe. La potion de libéralisme décomplexé prônée par
une frange de l’UMP rebute celle restée fidèle au centralisme jacobin
teinté de paternalisme gaullien. Sarkozy, qui claironnait que le
centriste devrait tôt ou tard choisir entre lui et Royal, se drape
désormais dans les draps de l’ouverture et prétend dépasser les
clivages etc, etc, etc. Plus clairement et de manière plus novatrice
encore, l’écologie, grâce à Nicolas Hulot, est apparue comme un enjeu
politique majeur et un nouvel axe structurant irréductible aux
questions d’appartenance à une droite ou à une gauche essentialisées.
Voir l’histoire comme la longue procession à travers les âges d’un
combat entre la droite et la gauche, dont on pourrait retracer les
positions et les programmes de manière rectiligne et stable, confine à
la réinterprétation de celle-ci à l’aune des critères contemporains.
Autant dire à un contresens totalement improductif et certainement
incapable d’imaginer la manière dont il nous faut penser demain. Il
faut redire aux oublieux que Marx a écrit des diatribes contre les
fonctionnaires que Mme Thatcher elle-même ne s’est jamais permises et
que le tiers-état ne s’est jamais posé la question de savoir s’il était
de gauche ou de droite en ces termes.
La vérité c’est donc plus certainement que la droite et la gauche
n’existent que comme représentations simplificatrices et changeantes
d’aspirations politiques, économiques et sociales mouvantes, voire
paradoxales. L’acte fondateur de notre République porte en lui cette
ambiguïté fondamentale puisque derrière le souvenir entretenu du peuple
prenant la Bastille transparaît l’affirmation du rôle politique de la
bourgeoisie et finalement la révolution, érigée en symbole de la
rébellion des opprimés aura surtout consacré l’avènement des structures
politiques et sociales propices au développement accéléré du
capitalisme.
Aujourd’hui, Bayrou prétend donc s’approprier le rôle de celui qui
redéfinit les catégories selon lesquelles il convient de penser la
politique et, au-delà, notre monde. C’est en soi une ambition salvatrice
que tout homme politique ou intellectuel devrait se proposer de
poursuivre au lieu de se complaire dans l’invocation infantile de
glorieux aînés, de Marx à Jaurès en passant par de Gaulle, en se
persuadant qu’ils vous choisiraient vous ou vos idées.
Pourtant, et sans vouloir porter de jugement sur la capacité
personnelle ou stratégique de son avocat à plaider cette cause, il
semble qu’un aspect essentiel de cette partition soit resté tristement
inaudible. Il s’agit de l’économie. L’économie qui s’entend au sens le
plus large parce qu’elle affecte notamment les modalités d’encadrement
légal de la production, de la consommation et de leur interaction, la
fiscalité, les conditions de l’Etat providence, la prospective
stratégique, la recherche et développement et par conséquent
l’enseignement, la recherche publique et l’Europe dans laquelle tout
ceci prend place.
En effet, le duo Sarko-Ségo que Bayrou se propose de renvoyer dos à
dos organise - pour ce qu’on en entend à ce jour - sa réflexion (sic)
économique sur des bases archaïques qui témoignent assez bien du manque
de culture de nos classes dirigeantes dans ce domaine et de
l’incompréhension que celui-ci suscite en retour. Le débat se résume au
sempiternel "moins d’impôts plus d’impôt", "plus de marché versus plus
d’Etat" et son corollaire "plus de compétition contre plus de monopole
public" et, dans les grands jours, à quelques considérations sur le
degré souhaitable de décentralisation. Cette dernière répondant souvent
au moins autant à des calculs politiques liés au délicat financement du
budget national (Ah ! la dette...) qu’à une volonté d’adaptation et
d’efficacité économique optimale pour le bien-être de la population.
Pourtant, depuis peu, un nouveau sujet de dispute idéologique apparemment
propice au dépassement des barrières des partis apparaît autour de la
valeur travail dont on entend surtout les connotations morales, voire
religieuses (la bonne vieille éthique du capitalisme fécondée par la
morale protestante). Le « je ne ferai rien qui puisse décourager le
travail » de Madame répondant au « Travaillons plus pour gagner plus »
de Monsieur.
Pourtant, chacun comprend aisément que le jeu économique dans lequel
nous prenons tous les jours davantage place depuis au moins 25 ans pose
des défis à la réflexion et à l’action auxquels les concepts et les
réflexes des deux candidats principaux ne sont pas en mesure de répondre.
Plutôt sont-ils les cache-misère qui perpétueront l’incapacité de
notre pays à embrasser la modernité.
A l’heure ou Nicolas Sarkozy prétend mettre la France au goût du jour
de l’économie mondiale, il n’est pas acquis que celui-ci la comprenne
mieux que son adversaire du PS. Le magazine The Economist, qui se
demandait récemment s’il fallait une Margaret Thatcher à la France, a
omis de se poser la question du contexte de l’époque : en vérité, les
politiques de celle-ci seraient largement obsolètes à l’heure de la
nouvelle économie, dont seuls les plus myopes ont prononcé l’oraison
funèbre avec l’éclatement de la bulle internet.
Le marché fait de plus en plus place aux réseaux et la concurrence va
de pair avec la collaboration, les limites de l’entreprise s’estompent
sous l’impact de la technologie, de la mobilité généralisée, des
trajectoires professionnelles, les entreprises à travers les marques et
leur management deviennent des microsystèmes politiques et s’ouvrent
sur des questions qui, hier, restaient à leur porte. Les « externalités »
engendrées par les synergies entre universités, entreprises et
institutions locales sont devenus les atouts majeurs d’une économie
ouverte mais ne sont pas solubles dans Smith ni Marx, même pas Keynes.
La mesure de la performance, quant à elle, peut intégrer des critères
environnementaux et sociaux, autant dans les comptes publics que privés.
Ainsi la régulation sociale de tels bouleversements ne saurait passer
par les schémas du fordisme pas plus que ceux du capitalisme du XIXe.
Comme on le voit, là aussi le refus des clivages ossifiés devrait
pouvoir transparaître.
Malheureusement, les recherches qui ont inspiré des politiques
hétérodoxes et efficaces, surtout en Scandinavie, restent trop souvent
ignorées dans notre pays et il y a fort à parier que ceci perdurera avec
ceux des candidats qui doivent répondre de leurs engagements à des
partis où les conservatismes de toute nature sont la règle. Dans le
meilleur des cas, ces politiques originales sont résumées laconiquement
par les termes vagues de « flexi-sécurité », à l’image du désormais
fameux modèle danois, pour mieux cacher la variété et l’ampleur des
transformations que ce modèle requiert pour être efficace.
Devant ce vide, Bayrou, dont la doxa en matière économique reste à
préciser afin de dépasser l’anecdotique dont il gratifie les médias à
ce jour, serait assez légitime pour s’approprier le sujet en proposant,
comme il le fait sur d’autres thèmes, de dépasser les inerties ou les
impasses de « l’UMPS » afin de promouvoir une alternative nécessaire.
Dans cette perspective, et alors que Christian Blanc s’en est allé proposer ses « écosystèmes de croissance » ailleurs, on ne saurait que trop lui conseiller de prendre rapidement contact avec l’un des seuls politiques francais qui a compris la nature et la portée des enjeux aussi bien technologiques, sociaux et institutionnels qu’économiques qui se profilent : le professeur Strauss-Kahn...
Enfin, en attendant un signe de ce dernier, l’entourage de M. Bayrou
devrait lui conseiller rapidement quelques ouvrages dans le domaine,
qui bien que certainement assez éloignés d’un Pessoa stylistiquement parlant, pourraient lui
être tout aussi utiles au cours des prochaines semaines.
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