Ceux qui font, ceux qui font faire
Le temps passant, presque tout disparaît. Une chose persiste malgré tout, il y a toujours ceux-qui-font et ceux-qui-font-faire qui constituent deux mondes étrangers l'un à l'autre. L’Histoire connait les uns, pas les autres.
Les cueilleurs-chasseurs n’avaient à disposition comme énergie que celle dérivant de la photosynthèse, du soleil donc. L’ensoleillement (en plus de l’eau) détermine la quantité d’herbes, donc de ruminants, donc de gibier… Malgré tout il faut exploiter judicieusement ce que la Nature offre, des innovations importantes ont été faites dans ce but : la pierre polie, la céramique, la fabrication d’outils en os... Les Hommes primitifs étaient principalement nomades et tendaient à n’avoir aucune structure hiérarchique stricte hormis, peut-être, celles induites par l’usage de la force brute lors de conflits territoriaux ou parce qu'il était nécessaire de choisir qui était le plus apte à déterminer où et quand il fallait trouver un meilleur territoire. La richesse consiste à savoir fabriquer arcs, haches, canots et à connaître quelques-uns des secrets des forêts. Les cueilleurs-chasseurs s’attachent à survivre et y parviendront.
L’existence de structures se fera plus prégnante dès la sédentarisation. Les éleveurs possédaient leurs bêtes, les cultivateurs leur terrain, des conflits d’usage devaient être solutionnés par une instance indiscutable. Tout le monde avait à disposition les mêmes biens matériels, mais la répartition ne dépendait plus seulement de la force brute. Il fallut imposer des normes arbitraires, le sens de l'honneur, le sentiment du sacré, afin que les nombreux se plient aux désirs d’une minorité. On peut étendre à l’infini les biens spirituels, ils sont disponibles pour tous, même pour la multitude, il suffit que l’on y croit. Riche d’un sacré imaginaire, les plus démunis, essentiellement ceux-qui-font, auront cependant juste de quoi survivre. Leur travail ne permettra que de satisfaire leurs besoins élémentaires. Ceux-qui-font-faire se draperont dans les mystères pour justifier leur pouvoir, personne ne connaissait les aptitudes qu’il fallait démontrer pour les rejoindre.
Mais la puissance installée permet de grandes choses impossibles sans elle. Les pharaons, plus dieux qu’hommes, firent construire des monuments funéraires grandioses en utilisant plusieurs dizaines de milliers d'hommes de peine ou d'esclaves pour ce faire. Ceux-ci, comme la grande majorité de la population, n’avaient que leur travail comme richesse.
Dès l’antiquité, l’idée même de travail est considérée avec mépris à cause de la subordination qu'il impliquait. Celui-ci comprenait alors les divers travaux de production mais aussi le commerce, les professions de poète, de médecin…Appliqué principalement aux serfs durant le moyen âge, le travail est aussi effectué à côté d’eux par les valets, les paysans astreints à des corvées, les artisans... Le charbon est récolté dès le début du moyen-âge sur les plages d’Angleterre sous forme de charbon de mer, ceci se révélera essentiel quelques siècles plus tard, mais alors il ne contribue pas significativement aux besoins énergétiques ; le solaire reste, de très loin, la principale source d’énergie. Les paysans représentent 95% de la population totale et le servage dominant n’a rien à envier à l’esclavage. L’immense majorité de la population travaille pour assurer sa seule subsistance, leur seule richesse est leur travail.
Au Grand Siècle, la France s’embellit de somptueuses demeures et de châteaux. Les français vivent encore en grande majorité à la campagne et dépendent pour l’essentiel de la Nature et des ressources naturelles pour vivre. Très peu possèdent un lopin de terre, la plupart sont ouvriers agricoles. Ils se contentent d’un pain fait d’orge et d’avoine et d’une soupe aux légumes. Leur travail ne leur apporte rien d’autre.
Une immense révolution s’amorce au XIXe siècle car il devient possible d’utiliser massivement d’immenses quantité d’énergie sous forme de charbon, de pétrole, de gaz, une énergie accumulée durant des millions d’années sous terre. Chaque humain aura potentiellement à sa disposition plusieurs centaines d’esclaves énergétiques pour produire plus, plus vite ou pour alléger ses souffrances. Pourtant les ceux-qui-font ne virent pas soudainement leur sort s’améliorer. En 1906, un « coup de poussier » ravagea la mine de charbon de Courrière dévastant 110 km de galeries et faisant 1099 morts. Les mineurs à l’époque étaient obligés de dépenser l’intégralité de leur salaire pour acheter les biens de première nécessité. Les enfants de 10-16 ans constituaient 10% des effectifs. La durée du travail dépendait de la demande mais était de l’ordre de 11 heures par jour. Les possibilités de dépense énergétique avaient été plus que décuplées mais le sort des ouvriers était comme précédemment de l’ordre de la survie.
La consommation mondiale d’énergie entre 1800 et 2000 a été multipliée par un facteur 30 grâce aux énergies fossiles. Le pouvoir s’est-il dilué dans la population, les ceux-qui-font se confondent-ils avec les ceux-qui-font-faire ? Une caractéristique des propositions intellectuelles c’est que l’on ne peut juger de leur validité que bien longtemps après leur formulation, généralement après la mort de leur auteur. Les ceux-qui-font n’ont pas cette chance, la qualité de leur travail se juge au premier coup d’œil : ils ne peuvent pas devenir des dieux. Les autres non plus, mais il est plus difficile de s’en rendre compte. Les dominants ne dominent jamais par leur talent mais par la crainte qu’ils peuvent inspirer : ils peuvent devenir sorciers en jetant un sort ou ruiner un péquin. A travers les temps, les plus forts, ceux investi par les dieux, mystérieux mais omniprésents, ont régi le monde. Un autre dieu leur a succédé, moins puissant dans l'imaginaire mais plus efficace dans le réel, présent dans le monde entier avec le même visage, capable de miracles bien visibles : l’argent-roi. Longtemps les marchands ne pouvaient thésauriser qu'en contrepartie de biens réels, ce qui limitait leur mainmise sur la société. Lorsque le système bancaire permit la pure spéculation indépendamment de toute connexion au réel, la fortune fut élevée au divin. Les chiffres s'additionnent aux nombres sans que rien ne permette que l'on puisse toucher du doigt ce qui s'y attache. L'argent-roi était transmuté en argent-dieu, capable de tout et surtout de maintenir les ceux-qui-font dans leurs culs de basse-fosse.
La production de montagnes de richesses grâce aux abondantes énergies disponibles et à l'ingéniosité de quelques-uns (essentiellement d'ailleurs des ceux-qui-font) aurait pu conduire à gommer les différences entre manuels et intellectuels qui ne repose sur rien d'autre que sur l’instinct de domination. Ce ne fut pas le cas, et cet état de fait ne peut pas s'améliorer avec la disette énergétique qui se profile. La France d'aujourd'hui compte des millions de personnes qui, comme leurs aïeux, en sont réduites à survivre. Les efforts de production ont été pour l'essentiel délocalisés dans des pays lointains permettant de faire produire tout ce que les nations occidentales ont besoin par des ceux-qui-font dans la misère mais loin des yeux.
Les changements sociétaux que le Monde est condamné à subir n'iront pas vers plus de justice et ne permettront pas davantage au bon sens de pouvoir s'exprimer. Un Duce 2.0 , évidemment programmé par les ceux-qui-font-faire, prendra le relais pour remplacer des humains devenus visiblement trop semblables à leurs semblables.
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