Chronique de la vie enseignante dans un collège de l’enseignement catholique
Chronique de la vie enseignante dans un collège de l’enseignement catholique. Ceci se passe en France en 2013.
Nous sommes en Lozère, dans un collège de l’enseignement catholique donc. Un professeur de mathématique désireux d’enseigner est recruté en vacation pour l'année scolaire, tandis que l’on sait la difficulté à pourvoir les postes pour cette matière.
Le professeur, très motivé et qui n’est pas à son premier coup d’essai, rencontre tout d’abord des difficultés avec une classe de 3eme à orientation professionnelle. Quelques élèves se fichent complètement du cours, voir de la présence du professeur. Puis la situation se dégrade progressivement dans les autres classes, deux 4eme et une 5eme, du moins sous la forme de bavardages incessants rendant l’exercice de l’enseignement difficile et pénible.
Dans un premier temps le professeur reçoit quelques conseils de la part de sa direction et d’autres professeurs. Un vendredi, rentrant à son domicile quelque peu harassé et désemparé, il prend en main l’outil internet Scolinfo qui lui permet de décrire les contenus des cours prodigués. Il se rend compte soudain que le site web lui donne la possibilité de communiquer avec les parents. Il lui semble avoir trouvé là un moyen d’agir, et demande par courrier mail aux parents de faire la leçon à leurs enfants. Il profite aussi de l’occasion pour se présenter.
Ingénieur CNAM, sachant trouver mille astuces pour faire comprendre les choses et les faire retenir, des exemples sont donnés. Soucieux de l’avenir de ces enfants, de tous. Un point est fait en particulier sur le cours des premiers chapitres dont les contenus n’auraient pas été assez bien structurés, des assurances sont données en ce sens pour les chapitres qui suivront. Les chapitres en cours sont néanmoins bien assurés sous la forme de nombreux exercices, de TD reprenant le contenu des cours, et de deux contrôles successifs parfaitement semblables dans leur structure, permettant ainsi aux élèves de s’évaluer et d’améliorer la note sur les seconds contrôles. Comme stratégie pour tirer les élèves vers l’avant ce n’est déjà pas si mal.
Le professeur a en outre le tact de ne pas révéler aux parents qu’on leur a fait acheter de mauvais manuels de mathématiques, en partie responsables des premiers contenus de cours un peu déficients, puisque c’est ce manuel que le débutant prends pour référence. En cherchant dans l’établissement il finira par en trouver d’autres dans de meilleures éditions afin de mieux assurer sa base de cours.
Le courrier aux parents n’a pas plu, à certains parents sans doute, mais surtout à la direction. Le proviseur convoque le lundi dans l’heure le professeur et lui signifie l’arrêt de son contrat à la fin du mois de septembre. Il invoque notamment un article du règlement intérieur selon lequel les communications avec les parents d’élèves doivent être supervisées par la direction. Le proviseur est un fan de rugby, ceci expliquant peut être cela, quoique le rugby soit habituellement plutôt réputé pour son esprit d’équipe.
Quelque peu abattu, le professeur finit par découvrir le règlement intérieur, qu’il n’avait pas lu, à l’affichage en salle des professeurs. Un article mentionne en effet que « les moyens mis à la disposition des personnels enseignants pour communiquer avec les parents d’élèves ne doivent pas être utilisés à d’autres fins que celles auxquelles elles sont destinées » !
Par contre un autre article précise les conditions dans lesquelles la hiérarchie peut convoquer un enseignant afin de lui signifier une prise d’une sanction. Cet article là apparemment le proviseur ne l’a pas lu. Qu’a-t-il donc lu du règlement intérieur ?
Quelques jours plus tard, après une offre de conciliation de la part du professeur, puis une prise de contact avec un délégué syndical, une nouvelle entrevue est organisée à la demande du délégué, puisque tout est défaillant dans cette affaire, procédures non respectées, méthodes de gestion brutales et inconséquentes.
De nouveaux griefs sont avancés. Il est signifié au professeur son manque de sérieux dans la préparation des cours. Selon la direction, qui reconnait n’être pas qualifiée pour juger de pédagogie, le professeur aurait dû préparer ses cours non à l’aide d’ouvrages de mathématiques, mais à l’aide des bulletins officiels. Ce à quoi il est répondu que les bulletins officiels, supposés donc être la référence pour le programme, sont justement employés pour la rédaction de ces mêmes manuels.
De plus, il se trouve qu’en fait, la presque totalité des bulletins officiels de l’éducation nationale sont relatifs à l’organisation administrative de l’enseignement. Les quelques bulletins descriptifs du programme sont déjà connus du professeur, très bien rendus par les ouvrages de mathématiques, y compris dans le cas d’un mauvais ouvrage tant il s’agit simplement de grandes lignes.
Il se révèle donc que le proviseur déploie une stricte stratégie de persuasion par le mensonge, additionnée d’une technique de diction consistant à insérer des silences dans ses phrases, le tout basé sur des arguments complètement décalés de la réalité. Sans oublier les sourires compatissants semblant inviter le professeur à prendre conscience de sa défaillance. Ce n’était d’ailleurs pas le premier mensonge du proviseur qui avait précédemment prétendu qu’une réunion avec les autres professeurs avait eut lieu à propos de cette décision, ce qui s’est révélé être faux.
On est donc là dans un établissement catholique géré par un proviseur qui emploie le mensonge afin de valider une décision aberrante. Soit donc une personne dont la parole est tout ce qu’il y a de plus éloigné de ce que l’on peut nommer la vérité.
Il faut quand même raconter aussi que le proviseur proposera au professeur de dire aux parents que le professeur est fatigué, ceci afin de sauver l’honneur. Comme quoi le ridicule ne tue pas.
Du côté des parents des plaintes sont évoquées, nécessitant selon le proviseur le renvoie du professeur. Quelles sont ces plaintes ? Qu’a-t-on répondu aux parents ? Un élève ferait une phobie des mathématiques à cause du professeur qui élèverait trop la voix en classe. A-t-on transmis cette information au professeur afin qu’il puisse parler avec l’élève ? Rien de tout cela bien sûr n’a été fait, monsieur le professeur vacataire vous êtes le maillon faible, au revoir.
Le professeur plus tard cherchera en vain à contacter des parents, l’APEL et l’OGEC se déclarant non concernés par la gestion du corps enseignant, que reste-t-il ? La parole de la direction à propos de parents fantomatiques qui seraient prêts à manifester sous les fenêtres du collège au son de la carmagnole ? La tête du prof de math au bout d’une pique ? Quels sont donc ces parents qui n’ont même pas pris le soin d’entrer en contact avec le professeur ? Tandis qu’une lettre leur avait été justement adressée par ce même professeur. Existent-ils seulement ?
Et les enfants là dedans ? Les enfants sont rois. Les enfants se permettent de critiquer le professeur, y compris durant la classe, une minorité du moins pour être juste, sans avoir à présenter la moindre excuse. Les parents se plaignent, ceux qui se plaignent en tout cas, sur la base de ce que leur racontent leurs enfants. Et les enfants changent de professeur, pour un remplaçant que l’on va aller chercher à Pôle Emploi. Leur année de mathématiques est mise en danger, mais qui se soucie vraiment de ces enfants ? Car seuls les enfants sont excusables, dans cette affaire.
Le proviseur sauve les apparences, peut être, et le collège affiche un taux de réussite au brevet de presque 100%.
Le professeur c’est moi, et je peux vous dire qu’un taux de réussite affiché pour presque 100% me fait plus penser à de l’action commerciale qu’à la réalité de l’établissement. D’ailleurs la salle dont j’ai bénéficiée était trop petite, un inspecteur ne pourrait même pas s’y assoir pour certaines classes. Les bureaux et les chaises sont minables, abimées, présentant même des risques de coupure du fait de vis saillantes. Pas non plus de vidéo projecteur, ce qui aurait pu aider à tranquilliser les classes et à enrichir le cours, heureusement j’ai une belle écriture et un bon coup de … craie.
Et pourquoi a-t-on confié à un professeur débutant l’une des classes les plus difficiles ? Et la salle la plus petite qui ne dispose d’aucun rétroprojecteur ?
Les cahiers de cours souffriraient d’un manque de contenu, il avait été déjà répondu à ce propos. Ceci dit tant que les élèves copient ils se tiennent tranquilles. Faut-il donc augmenter exagérément cette part pour obtenir plus de calme dans les classes ? Faire beaucoup copier et donner des bonnes notes ? Appliquer une méthode basée sur le règne de la quantité, un signe des temps sans doute.
Les notes ne se donnent pas elles se méritent, et les élèves ont eût dans l’ensemble des bonnes notes, parce que le professeur a su les faire travailler, malgré les bavardages. Parce que le professeur est au service de ses élèves, pour leur progression, pour les faire grandir. C’est la seule et stricte préoccupation qu’il convient de prendre en compte et il est dommage que l’intention de communiquer soit tant reprochée, parce que c’est justement par ce seul moyen que les quelques parents inquiets ou plaintifs auraient pu être rassurés.
Je suis donc un bon professeur, n’en déplaise à la direction et quelle que puisse être l’argumentation savante, s’il en est, pour tenter de démontrer le contraire. D’ailleurs les raisonnements suivis par la « dite » direction n’ont rien de solides ni de logiques.
Enseigner les mathématiques c’est aimer expliquer les choses, les rendre compréhensibles, intelligibles. Il faut de l’enthousiasme pour cela. Enseigner les mathématiques c’est non seulement donner une chance à ces enfants de se faire une place dans cette société, pourtant bien malade, mais c’est aussi former leur esprit, leur donner des outils de compréhension pour qu’ils puissent bien grandir, comme on m’a dit lors de l’accord pré-collégial.
Les mathématiques sont un programme officiel à assurer, en priorité, mais c’est aussi un art de la pensée bien ordonnée, un réel apprentissage du « bien penser », et du sens du « vrai ». En mathématiques il n’y a pas que des calculs, il y a de la beauté, beauté de la démonstration ou du dessin géométrique. En mathématiques il y a de l’histoire, de cette histoire qui nous vient de l’antiquité grecque, des mathématiciens qui, sans papier ni crayon, transmettaient déjà la science et la connaissance, de maitres à disciples.
Voila ce que sont les mathématiques que j’enseigne, un programme, et un esprit. Mais ceci est à mille lieux semble-t-il d'une administration qui n’a que faire de philosophie. Malheureusement je crains que le calcul comptable de la direction ne soit pas le bon, et je crains que les parents aient été mal renseignés, et mal motivés pour certains.
En conclusion je crois qu’il faudrait penser l’école autrement dans ses relation internes et externes, et dans ce que l’on souhaite y enseigner. Il faudrait un peu plus de bonne volonté, plus d’intelligence, plus de communication et de confiance. Je suis effaré par tous ces témoignages de profs que je découvre sur l’internet, qui en disent long sur la difficulté à enseigner aujourd’hui. Le déficit en professeurs n’est visiblement pas près de s’arranger.
Je pensais trouver un supplément d’âme dans l’enseignement catholique. Je me serais donc trompé. Je crains que ce ne soit partout pareil, toujours des problèmes qu’il serait si simple de résoudre. C’est peut être ça, la vraie nature de la crise.
Je ne me désespère pas pour autant pouvoir exercer ce métier. Mais aujourd’hui je vous l’avoue, oui je suis fatigué.
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