Abstention très élevée, victoire du Parti socialiste, désaveu de la majorité présidentielle, maintenance d’un courant d’écologie politique, légère remontée du Front national, léger redressement des communistes grâce à Jean-Luc Mélenchon…
Rien n’est acquis certes…
L’effondrement de l’UMP est-il si grand ? On ferait remarquer avec raison que les listes de Valérie Pécresse sont arrivées les premières d’Île-de-France et que le score de celles de Jean-Paul Huchon, à l’issue d’un deuxième mandat, est un peu faiblard.
L’UMP n’a-t-elle aucune réserve de voix ? Là aussi, on ferait remarquer que les meilleures réserves de voix ne se trouvent pas chez les électeurs des listes n’ayant pas pu se maintenir au second tour, mais tout simplement chez les nombreux abstentionnistes qu’il s’agirait de mobiliser.
Du côté du PS, qui s’est trouvé visiblement un véritable leader, le discours de Martine Aubry ce soir du 14 mars 2010 a été plutôt excellent : pas de triomphalisme, besoin de garder et mobiliser les troupes et ton assurément crédible. L’autorité de Martine Aubry devient incontestable.
La nouvelle majeure de la soirée
Parmi les enseignements du premier tour des élections régionales du 14 mars 2010, l’élément majeur qui va durablement peser sur les prochaines échéances électorales dans les années à venir a presque été oublié dans les soirées électorales (souvent en programme minimum), ou, du moins, évoqué de façon très furtive : la disparition électorale du MoDem.
La déroute complète
Alors que le PS double quasiment son score par rapport aux élections européennes du 7 juin 2009, les listes régionales du MoDem ont fait à peine la moitié du résultat déjà catastrophique des listes européennes du MoDem de l’an dernier.
Aucune liste n’est arrivée au-dessus de 10% sauf celle de Jean Lassalle, en Aquitaine (région de François Bayrou), avec un petit 10,4%. C’est la seule liste MoDem qui pourrait espérer un ou plusieurs élus le 21 mars 2010.
Seulement trois listes arrivent entre 5% et 10% et pourraient (éventuellement) fusionner avec une liste pouvant se maintenir au second tour : celle de Bruno Joncour en Bretagne (5,4%), de Rodolphe Thomas en Basse-Normandie (8,9%), et celle de Marc Fesneau dans le Centre (5,1%).
En Provence-Alpes-Côte d’Azur, le MoDem descend même jusqu’à 2,5% ! Le record étant évidemment 0%, en Languedoc-Roussillon où pour cause de querelles internes, la liste du MoDem n’a pas pu être déposée.
Pourquoi la Berezina ?
Comment expliquer un tel désaveu électoral ? Sans doute par la manière dont François Bayrou et ses proches ont agi pour transformer les 18% de l’élection présidentielle en un grand parti centriste.
C’est-à-dire comme des pieds : absence de démocratie interne, mise en veilleuse du projet présidentiel et des thèmes forts au profit d’une opposition frontale à la personne du Président de la République, stratégie illisible car absente. Tout cela nageant dans l’incohérence totale : refus théorique des alliances mais discours se voulant pourtant rassembleur.
Je commence effectivement à me demander si Simone Veil n’avait pas raison quand, le 17 mars 2007, en pleine campagne présidentielle, pour expliquer son soutien à la candidature de Nicolas Sarkozy, elle assénait sévèrement : « Il faut savoir choisir et Bayrou, c’est pire que tout ». Pire que tout ? Sûrement pas. Pensait-elle pire que Nicolas Sarkozy ?… peut-être.
François Bayrou a refusé de contribuer au redressement de la France en 2007. Il a par cette occasion rejeté ses électeurs de centre droit vers l’UMP de Nicolas Sarkozy. Mais il a aussi rejeté ses électeurs de centre gauche en refusant toute alliance avec le Parti socialiste ou les Verts. Et il a même rejeté ses électeurs d’extrême centre en refusant d’être démocrate au sein même de son mouvement.
François Bayrou a montré pendant ces trois années qu’il a été incapable de mettre en place une équipe viable, c’est-à-dire valable et durable (toutes les personnes qu’il a mises en avant sont parties : Jean-Marie Cavada, Jean-François Kahn, et bientôt Corinne Lepage), incapable d’installer un mouvement cohérent, incapable de promouvoir un projet politique marquant (où est la construction européenne ? où est la décentralisation ? à part l’antisarkozysme, renforcé par le livre sorti à un moment électoral propice, rien n’a été vraiment communiqué des valeurs supposées humanistes du MoDem), incapable de tenir une stratégie de conquête du pouvoir crédible.
Comment peut-on imaginer qu’une personne incapable de gérer un mouvement de quelques (dizaines de) milliers de personnes pourrait gérer un État de plus de soixante millions de Français ?
Grandeur et décadence de César Bayroutteau
À quoi servent les belles idées si les personnes qui les professent sont des croyants non pratiquants, comme c’est le cas de la plupart des fanatiques encore attachés au MoDem à ce jour ?
Le 11 juin 2009, je comparais l’aventure de François Bayrou à celle de Jean-Jacques Servan-Schreiber. L’aventure n’a même pas duré dix ans. JJSS a fait 1,8% aux européennes de 1979. Avec 4% aux régionales, soit moins du quart des 18% de 2007, comment François Bayrou pourrait-il garder un epsilon de crédibilité politique sans craindre ironie ou indifférence ?
Et ne parlons pas des médias : les médias ne font qu’acter la disparition du MoDem. Leur but est d’informer sur la réalité, pas de nuire au MoDem (à quoi servirait-il de faire aujourd’hui une campagne anti-MoDem vu son inexistence électorale ?). Les médias parlent de ce qui intéressent leur auditeurs, leurs lecteurs.
Que va devenir ce courant démocrate et social ?
La création du MoDem a anéanti le courant politique issu du catholicisme social. Celui appelé dans les autres pays européens "démocrate-chrétien" et issu en France de la doctrine sociale de l’Église qui, par l’Encyclique "Rerum Novarum" du pape Léon XIII, dont le centenaire fut célébré par Mgr Jean-Marie Lustiger en 1991, aboutissait au ralliement des catholiques à la République.
Celui qui prit politiquement forme avant guerre sous le nom du PDP (Parti démocrate populaire), qui après guerre devint le MRP (Mouvement des républicains populaires) rassemblant beaucoup de gaullistes résistants (comme Edmond Michelet et Maurice Schumann), puis le Centre démocrate de Jean Lecanuet, puis le CDS (Centre des démocrates sociaux) puis enfin la Nouvelle UDF.
Et il manquera à la démocratie française.
Loin d’en avoir été le sauveur en 2002, François Bayrou en a été le fossoyeur en 2007.
Qu’il ne s’étonne donc pas qu’il ait fait le vide autour de lui.
RIP.
Pour aller plus loin :