Comme un parfum d’incertitude flottant sur la marmite électorale
A la veille du premier tour, plus de 40% des Français confessent leur indécision. Mais qui sont-ils vraiment ces réputés « indécis », ces soi-disant « imbéciles heureux qui vont voter pour quelqu’un » ? La dernière invention des instituts de sondages ? Des électeurs qui invoquent ce statut pour masquer leur opinion ? De véritables indécis ? Et à qui cela peut-il profiter ?
Plus de 40% c’est énorme, historique. En matière de navigation maritime, une incertitude de 40% à l’atterrissage serait jugée intolérable et conduirait certainement à remplacer les instruments de bord. Après avoir navigué « aux sondages » pendant des mois, on réalise subitement que la boussole était folle. En vue des côtes, on ignore l’âge du capitaine et la position exacte du navire France...
Certes, les instituts de sondage, échaudés par l’expérience de 2002, ouvrent grand le parapluie. Un principe de précaution qu’ils jugent probablement nécessaire au maintien d’un minimum de crédibilité. L’ultime pirouette du chat pour retomber sur ses pattes, quel que soit le résultat d’une arrivée à quatre disputée dans un mouchoir de poche. On peut regretter que l’annonce d’une marge d’erreur de 40% intervienne si près du but, à la veille de l’interdiction de publication des sondages, après des mois d’un déterminisme statistique sans faille. Mais en vouloir aux sondeurs aujourd’hui serait aussi vain que d’accuser Météo France en cas d’intempéries. Ils n’ont fait que leur métier, nous ont vendu leur soupe comme jamais (plus de 220 sondages en 2007 contre 193 en 2002) et nous l’avons tous consommée sans modération.
Les hommes politiques en premier lieu, qui ont préféré naviguer de sondage en sondage plutôt que nous proposer un véritable débat d’idées sur le fond, l’Europe, les enjeux de société, la place de la France dans une économie mondialisée.
Nous-mêmes les citoyens, qui avons utilisé les sondages pour éclairer nos choix ou forger nos opinions, parfois au détriment de nos propres convictions politiques. Résultat ? Un feu d’artifice de pronostics, une floraison d’infinies combinaisons, savamment phosphorées sur la base des sondages et le plus souvent échafaudées dans le but de contrer le candidat dont on souhaite la perte. Dernier exemple ubuesque d’une partie à qui perd gagne, certains électeurs de gauche envisagent ouvertement de voter Bayrou dont ils pressentent qu’il est seul capable de battre Sarkozy. Peu importe qu’au petit jeu du vase communicant Royal / Bayrou, on risque d’en faire les deux absents du second tour. Porte grande ouverte à un Michel Rocard, rebondissant sur ce constat pour avancer très clairement (une fois n’est pas coutume) l’idée fumeuse d’un rapprochement, une sorte d’union de la gauche et du centre droit qui lui apparaîtrait aujourd’hui comme une option de nature à empêcher un second tour Sarkozy / Le Pen. Une candidature « Ségolou » ? Décidément, ils reste toujours fidèle à lui-même M Rocard, jamais en reste d’une idée aussi séduisante sur le plan intellectuel qu’irréalisable dans la pratique... D’autant qu’il se garde bien d’indiquer qui doit céder sa place à l’autre.
Cris d’orfraie des ténors du Parti socialiste, fin de non-recevoir de Mme Royal. Tout ceci illustre bien la confusion qui règne au terme d’une campagne délibérément menée dans le pseudo cercle de lumière délimité par les instituts de sondages, une campagne de la "pipolisation" à outrance, du fait divers, de l’attaque personnelle, voire de l’invective, érigées en arguments électoraux. Qu’il est loin le temps où la France entière découvrait abasourdie un Mitterrand traiter Chirac de menteur en plein débat présidentiel. Aujourd’hui, ce genre d’attaque est devenue menue monnaie courante.
« Pour faire un bon match, il faut être deux ». Ce qui vaut pour le football vaut également pour la politique... Et de bon match, nous n’en avons pas vu. Comment se forger une opinion solide sur des candidats imprécis aux programmes fluctuants, aux propositions frisant parfois le grotesque ? Dans ces conditions, il n’y a rien d’étonnant à ce que le nombre d’indécis soit important. Cependant, nous aurions tort de mésestimer la part de non-dit, le nombre de ces « faux indécis » qui soit par pudeur soit par sentiment de culpabilité n’osent pas indiquer leurs intentions.
On a coutume de ranger majoritairement les électeurs du Front national dans cette catégorie. A tel point que les instituts de sondages, dans leur quête infinie du Graal électoral, vont jusqu’à retraiter à la baisse le score des autres partis pour multiplier par près de trois celui du FN. Ce tripatouillage empirique est-il toujours justifié ? Car voter Front national est en passe de devenir politiquement correct. Le Pen paraît beaucoup moins fascisant qu’à ses débuts, presque consensuel. Ses sympathisants ont fait leur « coming out » en nombre. Aujourd’hui, son principal défaut serait... son âge. Diable ! Quelle évolution.
Avouer que l’élu de votre cœur est un candidat écologiste, altermondialiste, trotskyste ou communiste n’est pas plus infâmant. Au mieux, vous passerez pour un doux rêveur, un romantique. Au pire, vous adressera-t-on le subtil reproche de ne pas voter utile... C’est, vous en conviendrez, un moindre mal. L’idée même de l’abstention est tolérée, au prétexte qu’il serait difficile de faire un choix du cœur parmi une « bande de fourbes carriéristes dont on subodore qu’ils oublieront leurs promesses au lendemain de l’élection ».
Quant à avouer un penchant pour Ségolène Royal ou François Bayrou, et pourquoi pas pour les deux à la fois, pourquoi le cacherait-on ? Il n’y a aucun mal à cela. C’est même très « tendance ».
En revanche, marquer sa préférence Sarkozy est presque devenu une insulte, notamment aux yeux de ceux qui aujourd’hui en France, et surtout à Paris, distribuent la « considération ». Mon propos n’est pas de défendre Nicolas Sarkozy ou de le faire passer pour un martyr. Cependant, force est de constater que la moindre de ses paroles est épiée. Le moindre dérapage supposé ou avéré est abondamment repris dans les médias citoyens, un peu moins dans les médias classiques (on n’est jamais trop prudent). A la moindre occasion, on assiste à une attaque en règle des onze autres candidats sur sa personne. Tour à tour traité de « menteur » (Royal) / « menteur récidiviste » (Peillon), de « monstre » (Buffet) et je passe les « fachos » et autres noms d’oiseaux, Nicolas Sarkozy cristallise toutes les tensions d’une campagne assez médiocre sur le fond. Si on y ajoute les rumeurs sur sa vie privée, cela fait beaucoup pour un seul homme.
Certes la campagne est longue, épuisante, les occasions de dire une ânerie ne manquent pas... Pour avoir assisté à un meeting de Mme Buffet ou entendu quelques autres prétendants, j’ai le sentiment que le candidat de l’UMP n’est pas le seul à commettre des boulettes médiatiques. Reconnaissons-lui au moins le bon goût de ne pas avoir été à l’initiative d’un CPC qui lui aurait certainement valu de finir dans le goudron et sous les plumes de cent mille blogueurs déchaînés.
Dans ces conditions de diabolisation extrême, on peut espérer ou craindre (c’est selon votre bord) qu’une partie de son électorat ait fini par taire ses opinions aux sondeurs pour rejoindre la cohorte des réputés « indécis » (comme pour Le Pen en son temps). Il est bien sûr difficile de chiffrer précisément cette part de « faux indécis » pour obtenir un crédit d’intentions de vote Sarkozy corrigé des variations... discrétionnaires.
Mais on ne peut exclure une « divine surprise » qui attendrait les électeurs de l’UMP au soir du premier tour. Et une grosse gueule de bois pour certains qui, d’élucubrations égotistes en spéculations mathématiques, se voyaient déjà en haut de l’affiche. On en a vu d’autres...
Quoiqu’il en soit, après quatre mois de navigation à l’estime, l’atterrissage promet d’être délicat. C’est au moins une certitude.
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