Comment créons-nous la vérité ?
Non, il n'y a pas d'erreur ni de provocation dans le titre. La vérité se crée ; elle n'existe pas à l'état naturel. Ce qui existe à l'état naturel, c'est la réalité. Une fois que nous nous sommes mis d'accord sur ce premier point, nous pouvons commencer. Alors : comment créons-nous la vérité ? Un dessin d'enfant répond naïvement à cette question. Je l'ai mis en illustration de cet article. Il dessine le corps humain en trois parties. Eh bien, ce sont ces trois parties du corps humain qui nous serviront à montrer quelles sont les trois sources de la vérité.
I - Les trois étages de la vérité "naturelle"
Il existe trois chemins de la vérité chez l'être humain. La partie supérieure est celle de la représentation mentale du monde et de la perception. On y trouve les cinq sens, y compris le toucher, puisque, avant la bipédie, les mains étaient au même niveau que la tête. Nous portions les objets à nos yeux, à notre oreille, à nos narines ou à nos lèvres, comme font encore les primates. Donc, voilà le premier niveau : conscience et perception.
Le deuxième étage est le buste. C'est le siège des besoins et des émotions. Le buste comprend toutes les fonctions vitales relatives aux besoins, qui se manifestent par des mouvements de remplissage et de désemplissage. Les rappels ici vont sembler redondants, mais c'est pour nous remettre les évidences en mémoire. Pensons naïvement comme le dessin d'enfant. Il y a la soif et la faim, deux fonctions d'alimentation qui ont deux orifices d'élimination distincts (vessie, anus) , il y par ailleurs deux formes de remplissage qui sont permanents et se font de manière totalement inconsciente : la respiration (emplissage des poumons par de l'oxygène et éjection de gaz carbonique) et l'oxygénation du sang et sa propulsion dans l'ensemble du corps. Voilà donc les besoins. Mais le buste est aussi la partie concernée par les émotions. On sait aujourd'hui que l'estomac joue le rôle d'un second cerveau ; ce n'est pas un cerveau qui pense ou imagine mais le cerveau des émotions. Traditionnellement, c'est le coeur qui était désigné comme le centre des émotions. Quoi qu'il en soit, c'est toujours dans la partie centrale du corps humain, liée aux besoins, que l'on situe l'origine des émotions.
Enfin, la troisième partie comporte le désir et la motricité. Ici, notre schéma s'écarte quelque peu du dessin, nous rassemblons en une seule partie tout ce qui est inférieur au bassin, y compris les pieds.
Et voilà ! La vérité serait ainsi qu'une forme de trinité, elle serait tripartite. Ce qui nous dit le vrai de façon naturelle, ce sont nos sens et les représentations mentales de notre esprit, ce sont les besoins et les émotions que nous ressentons dans notre corps, et c'est enfin le désir qui se manifeste et l'action. Nous disons qu'est vrai ce que nous désirons et ce que nous faisons.
II - L'ajout de sens à la vérité naturelle
Mais l'être humain ne saurait se contenter de cette vérité-là, fut-elle triple. Il lui faut ajouter un ingrédient pour cimenter le tout, et cet ingrédient s'appelle le sens. En effet, l'être humain a conscience très tôt de sa finitude et de sa mort. Cela le distingue du reste du monde animal et cela crée l'angoisse. Pour remédier à cette angoisse, l'Homme a créé le sens. Dès la naissance de sa conscience, il se mit à voir des signes dans l'univers, des signes qui l'aident à conduire son action dans un monde très incertain. Il a créé la foi.
Aujourd'hui nos cerveaux ne privilégient plus la vérité naturelle mais ils font le tri des vérités en fonction du sens que nous donnons aux choses et à la direction que nous donnons à nos actions. Nous avons rompu le contact avec la nature et nous préférons chercher notre vérité sur Internet. La quête du sens plutôt que la quête de vérité vraie. Nos cerveaux cherchent en permanence la confirmation que ce qu'ils se représentent est juste, d'où le succès des médias grâce auxquels ils peuvent toujours trouver des informations qui les confortent dans leurs opinions. Car, là aussi, c'est un travers moderne : les opinions ont pris le dessus sur les idées.
Autrefois, les gens cherchaient le sens dans l'opposition malheur-bonheur. Mais aujourdhui, le malheur est exclu de nos vies modernes, civilisation du bonheur oblige. Mais jadis, avant cette obligation d'être heureux, les gens s'asservissaient soit au malheur soit aux plaisirs. Ils trouvaient le sens dans l'une de ces extrémités. L'esclavage du sens était dans la servitude au malheur ou dans la seritude aux plaisirs. Aujourd'hui, il se crée une sertitude au bonheur. Le bonheur est créateur de sens. Tout ce qui va dans le sens du bonheur est réputé vrai.
Le sens a une importance telle dans notre fabrication de la vérité que nous contruisons des récits pour valider ces vérités. Nous en sommes à un point que nous ne pouvons quasiment plus montrer la vérité autrement que par des récits. Voir les documentaires à la télévision, par exemple.
III - Les trois autres sources de vérité
Outre les trois origines naturelles qui nous permettent d'accéder à la vérité, enfin à notre vérité dans ce monde, l'être humain est influencé par trois sources de vérité : la confiance, le désir (au sens bien plus large que le désir sexuel), la volonté. Nous pensons qu'une chose est vraie si nous sommes en confiance, si nous le désirons, ou si nous le voulons.
Dans le premier cas, la confiance, on peut se référer à l'expérience de René Descartes, qui remit en question la confiance dans la perception des sens et dans ce que nous imaginons. Mais d'autres philosophes ont démontré après lui que la plupart de nos connaissances reposent sur la confiance expérimentale. Nous pensons comme une vérité que le jour se lèvera demain, puisqu'il en a toujours été ainsi. Ce sont là des vérités de confiance. Cette forme de vérité est celle qui occupe de très loin la plus grande place dans l'ensemble de nos vérités. Il existe aussi une vérit de confiance dans les lois établies par d'autres hommes (Thalès, Pythagore, Galilée, Kepler, Newton, Einstein et tant d'autres). En effet, chaque individu ne refait pas lui-même l'expérience nécessaire à la preuve de ces lois. Il fait confiance à ce qu'on lui a appris. Là aussi, Descartes a réfléchi et il décida, dans son Discours de la méthode, de faire table rase de tout ce qu'il avait appris par son éducation, il fit table rase pour penser par lui-même. Sont donc vraies pour nous les vérités de confiance : les certitudes de tous les jours (nous sommes certains de marcher sur un sol ferme et que la pesanteur nous maintiendra au sol) et celles qui sont apprises et validées par notre esprit.
Second point : nous croyons vrai ce que nous désirons. En premier lieu, parce que nous jugeons bonnes les choses que nous désirons et, sii elles sont bonnes, c'est qu'elles sont vraies. Rappel d'un classique : « Nous ne tendons pas vers une chose parce que nous la jugeons bonne mais au contraire nous jugeons qu’elle est bonne parce que nous tendons vers elle. » (Spinoza) C'est ici tout l'intérêt du dessin : le désir et l'action nous mènent, nous poussent vers des choses que nous considérons bonnes après coup et si elles sont bonnes, c'est qu'elles sont vraies. C'est la vérité de désir et d'action.
Troisième point : nous créons des vérités par la seule force de la volonté. Le cas le plus célèbre est la foi. La foi n'est pas une croyance naturelle, c'est l'esprit qui décide, par volonté, que telles choses seront vraies. La foi est volonté : "I want to believe" est le slogan affiché par Fox Mulder, le personnage de la série X-Files, qui veut croire aux extraterrestres. Pour avancer dans sa démonstration, Descartes lui-même a dû décider que certaines propositions étaient vraies, par pure volonté, sans quoi il n'aurait pas avancé et serait resté à l'étape du doute jusqu'à la fin de sa vie. On connaît les limites de cette création de vérité : Descartes décida du postulat de l'existence incontestable de Dieu. Quoi qu'il en soit, l'affirmation du vrai nous permet de progresser. Il existe dans le domaine des idées et de la vie sociale tout un tas de vérités qui sont vraies parce que nous en avons décidé ainsi. Par la volonté, on peut créer toutes les vérités que l'on veut : un paranoïaque peut ainsi croire que le monde entier lui en veut. Je peux fort bien me persuader que je suis Steve Mac Queen et trouver que la ressemblance dans le miroir est flagrante (n'est-ce pas ?). La vérité par volonté est aussi la source des folies...
Que pouvons-nous déduire de tout cela ?
Quels moyens pratiques pouvons-nous mettre en oeuvre pour nous approcher de la vérité et nous éloigner de l'erreur (dont les voies sont souvent les mêmes) ? D'abord, je dirais, en retrouvant la proximité de la vérité de la nature, celle de notre corps et de la Vie qui nous entoure. En acceptant de reconnaître les vérités que notre corps nous adresse : émotions, affects. Ensuite, en passant au crible nos vérités, en se demandant comment nous les avons créées ? Par pure raison, ou par besoin, par désir, par confiance, par volonté ? La question de la fiabilité des sources et de l'interprétation des faits est souvent trop négligée par notre hâte à décider ou tout bonnement notre paresse à examiner les cas. Et, pour finir, en sachant reconnaître les mensonges pour les dénoncer, les écarter. Dans le monde humain, le mensonge est légion. Nous mentons nous-mêmes et nous sommes sur ce plan nos pires ennemis. Il ne faut jamais craindre la vérité, car quelles seraient les conséquences si nous disons vrai ? Seraient-elles si terribles ? Sauf si nous vivons en dictature ou si la vérité peut produire le mal chez nos semblables. Encore doit-on juger objectivement ce mal, à l'aune de celui qui est concerné, car le plus souvent c'est à l'aune de nous-même que nous décidons, c'est pour notre propre confort que nous nous exemptons de dire la vérité en usant de l'alibi trop facile qui est de dire "je me tais pour son bien".
Enfin, il faut toujours temporiser : la réaction immédiate conduit à l'erreur. "Pas de précipitation" est la règle pour réduire la marge d'erreur provoquée par nos affects, nos émotions, nos préjugés et opinions personnelles. La pensée est dans l'écart : entre perception et réaction.
La vérité n'est jamais complètement définitive puisque le temps et l'espace sont en expansion. Elle est dans le rapport constant entre la conscience et le Réel. Elle est donc comme une résolution infinie. Elle est, je l'ai dit, dans la trinité. Comme la quadrature du cercle est une vérité qui n'atteint pas la valeur trois exacte mais se poursuit à l'infini dans les décimales. La vérité est la trinité mais la trinité à l'infini : elle tend de trois à l'infini. La vie est une résolution sans fin, la vérité l'est aussi.
49 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON