Comment entrer au Panthéon ?
La décision prise par le président de la République de faire entrer Simone Veil au Panthéon est surprenante tant par la rapidité de la décision que pour les raisons communément invoquées. Il ne s'agit pas ici d'émettre une critique de Simone Veil, mais de porter une réflexion sur le phénomène de panthéisation dont l'esprit a évidemment évolué depuis 1791 jusqu'à aujourd'hui à se transformer en une opération de communication en même temps que l'affirmation d'une allégeance à l'air du temps.
C'est une bonne question, n'est-ce pas ?, qui adaptée pourrait faire peut-être l'objet d'un sujet au bac de philo, à condition toutefois de l'inscrire dans une perspective historique prenant en compte les caractéristiques des panthéonisés (et aussi des dépanthéonisés – ils furent quatre à subir cette disgrâce). Bien évidemment il s'agirait aussi et peut-être surtout de s'attacher à la contextualisation de ces caractéristiques laquelle en dit long sur une époque et ses valeurs.
Pour illustrer cela prenons par exemple les populations les mieux représentées au Panthéon. Ce sont d'abord les politiques (22 si on inclut Jean Monnet répertorié comme économiste, et même 23 si on y ajoute Malraux répertorié comme écrivain), et les militaires (20). Le dernier militaire entré au Panthéon est le général révolutionnaire Marceau, en 1889, sous la Troisième République donc, celui l'ayant précédé dans cette catégorie ayant rejoint son caveau en 1815. Ce sera le Premier Empire donc qui aura ouvert les portes du Panthéon en grand aux militaires, époque oblige. Mais elles se seront presque définitivement fermées après les Cent-jours. Les politiques quant à eux y ont eu un accès permanent à commencer par Mirabeau qui fut le premier à y entrer et aussi à en sortir, pour finir par Jean Zay en 2015 qui sera suivi bientôt par les époux Veil, enfin surtout par Simone puisque l'époux ne fait que l'accompagner.
Faut-il en déduire que la politique reste un métier porteur qui traverse toutes les époques tandis que le métier des armes a suffisamment perdu en prestige pour qu'une seule cérémonie dans la Cour des Invalides pour quelques malheureux privilégiés suffise comme hommage de la nation à ceux qui mettent leur vie en jeu en son nom, à moins que ce ne soit plus objectivement au nom d'intérêts souvent obscurs décrétés par les politiques cités ci-dessus ? Cela dit les résistants au nombre de 6 les auront bien remplacé au cours de ces dernières décennies et surtout de l'année 2015, en indiquant peut-être que l'armée de l'ombre a davantage les faveurs que celle régulière au point de l'effacer complètement. Ne trouvera-t-on pas un Foch ou un Joffre, un Leclerc ou un de Lattre, ou plus simplement un combattant héroïque, les noms ne manquent pas, pour honorer ceux combattent aujourd'hui et surtout ceux qui meurent ?
Ce plaidoyer peut évidemment être répété pour d'autres catégories. Les scientifiques par exemple sont assez peu honorés par la nation reconnaissante. L'entrée de Pierre et Marie Curie en 1995 aura mis fin à un oubli de 42 ans. Et depuis plus rien.
Les arts sont encore davantage maltraités. Un seul peintre (1809), l'architecte Soufflot (1829) condamné à reposer éternellement dans l'église devenue Panthéon qu'il a conçue, et 6 écrivains représentent cette catégorie.
Et puis il y a toutes les autres catégories, les délaissées, qu'on ne peut guère recenser puisqu'elles sont constituées parfois un exemplaire unique. Par exemple Jean Monnet, entré dans son caveau en 1988 en tant qu'économiste tandis qu'il est fait ordinairement référence à lui sous une autre optique. Peut-être que Maurice Allais qui fut un économiste assez brillant pour recevoir le Nobel pourrait-il avantageusement le remplacer dans cette catégorie tandis que Monnet retrouverait en cette époque où les eurobéats mondialistes ont remporté quasiment tous les lots, présidence et parlement avant le reste, son statut d'européen atlantiste jusqu'à la moelle. Je compte sur nos communicants pour trouver le qualificatif adéquat.
Peut-on dire que tous ces renseignements qui nous informent sur les oubliés, les disgraciés, ceux qui résistent au temps sont suffisants pour répondre à la question initiale. Ça peut aider mais ce n'est pas suffisant.
Il faut en effet prendre en compte l'air du temps, ou plutôt l'ensemble des diktats d'une époque, ainsi que quelques considérations d'ordre tactique, enfin un truc du genre retour sur investissement prévisible. Sûr que panthéoniser Simone Veil, cela dit sans préjuger des mérites de cette dernière, est plus rentable en termes de popularité pour celui qui prend la décision, et il ne peut y en avoir qu'un, que de se souvenir alors qu'on célèbre, parait-il, le centenaire du premier conflit mondial d'un militaire dont l'action aurait été déterminante lors de ce conflit, ou pourquoi pas d'un responsable politique de l'époque, Clémenceau au hasard. Entre Joffre et Veil, ou Clémenceau et Veil y a pas photo. En termes d'autopromotion de soi-même, si j'ose me permettre cette redondance qui ne me parait toutefois pas superflue compte tenu de l'individu auquel elle se rapporte.
Mais peut-être fais-je preuve ici de mauvais esprit ? Peut-être notre jeune président est-il vraiment sous le coup de l'émotion au point de transgresser, sinon certaines règles, certains usages qui faisaient que, depuis le Premier Empire, on attendait un peu et même parfois longtemps avant de faire entrer ceux qui méritaient la reconnaissance éternelle de la nation. Ce fut même davantage qu'un usage quelques années après l'ouverture du lieu dans sa fonction actuelle puisque un décret du 8 février 1795 pris par la Convention précise que personne ne peut être inhumé au Panthéon moins de 10 ans après son décès. Cela valut à Marat et à Lepeletier qui ne remplissaient pas les conditions d'être exhumés du lieu et de ne jamais le réintégrer, ceci nous prouvant que l'éternité de la reconnaissance de la nation est quand même quelque chose d'un peu surfait. Ce délai de 10 ans permettait de résister à l'émotion, et même, peut-être, d'empêcher ceux qui voudraient profiter d'un climat d'émotion en le retournant à leur profit de prendre la décision de panthéoniser certains défunts à peine froids. Napoléon mit fin à ce délai qui redevint un usage ensuite. Macron met fin à l'usage. Mais surtout, je vous en conjure autant que je vous jure que c'est faux, ne voyez pas là de ma part une volonté de rapprocher les deux, les motifs de l'un n'ayant rien à voir avec les objectifs de l'autre.
Cette digression achevée, mais notons qu'elle nous aidera à répondre à notre question initiale, il nous faut revenir sur ce que j'appelle les diktats d'une époque.
Hollande, notre ex-président bien aimé, se livra à 4 panthéonisations. C'était il y a 2 ans. Il s'appliqua bien entendu à respecter la parité, chose devenue fondamentale dans notre République, et même dans notre pays dont on sait qu'il traité si mal les femmes à travers les siècles que désormais, en attendant la repentance réglementaire des hommes ou plutôt de ceux qui se reconnaissent comme appartenant au genre masculin, la nuance est importante, il s'agit de réparer des siècles d'injustice en instaurant cette discrimination positive d'une autre sorte, même après la mort : plus de 50% de femmes on peut, mais moins jamais. Donc deux hommes et deux femmes, ou deux femmes et deux hommes pour être en conformité avec l'air du temps, entrèrent au Panthéon. Les mérites des uns ou des unes et des autres ne sont évidemment pas remis en cause. Mais il fallait que la parité fût respectée. Pour le moins.
Bon, nous avançons ! Néanmoins avec l'annonce présidentielle de panthéoniser Simone Veil, il faut peut-être s'attacher à un point particulier, qu'on reliera d'ailleurs avec bénéfice à l'émotion qui peut donner une image assez déformée de la réalité. Généralement les panthéonisés le sont sur l'œuvre d'une vie ou d'un moment de leur vie, pas sur un acte particulier. Or, après avoir lu quelques journaux, écouté et regarder quelques médias de la sphère audiovisuelle, on ne peut être persuadé que le fait marquant de la vie de Simone Veil lui valant une entrée au Panthéon aussi rapide est la loi portant son nom et dépénalisant l'avortement. Le reste et c'est dommage pour elle, car je pense en effet que cette femme, même si elle n'a rien réalisé d'exceptionnel, fut à maints égards et surtout pour une femme politique exemplaire et fidèle à des valeurs et des convictions profondes. Même si on ne les partage pas, toutes du moins, on peut respecter ça. Pourtant d'elle il ne restera dans l'histoire que cette image de celle qui a porté la loi légalisant l'avortement. Sauf que c'est à cause de la défection du Garde des Sceaux de l'époque qu'elle s'y est collée, sauf qu'il ne faut pas confondre légalisation et dépénalisation, sauf qu'étaient sans doute éloignées de l'esprit initial de la loi les dérives successives ayant transformé ce qui était présenté comme une avancée en termes de santé publique en un moyen de contraception banal pour certaines des bénéficiaires,…, sauf que celle dont on veut faire absolument une progressiste ne l'était peut-être pas tant que cela, à l'aune des critères de ceux qui s'autoproclament ainsi. Mais il faudra bien que le produit rentre dans le paquet quitte à faire passer pour une femme qui n'aurait pas eu toute sa tête et aurait été manipulée celle qui participa à une manifestation contre le mariage pour tous, à moins qu'elle n'ait été emportée par le flot de la foule alors qu'elle allait tout simplement s'acheter une baguette chez son boulanger.
Ce n'est pas Simone Veil qu'on va mettre au Panthéon, c'est une certaine idée de la société dont paradoxalement ceux qui appellent à son inhumation dans le faste ne veulent surtout pas qu'elle disparaisse. Au contraire l'enterrement en grandes pompes d'un idéaltype comme définit par Max Weber doit conduire en une sublimation de ce qu'il représente.
Et c'est pourquoi, malgré tout le respect que je peux avoir pour Simone Veil, pour sa vie, pour les épreuves qu'elle a traversées et la manière dont elle a porté ce fardeau le reste de sa vie, surtout sans en faire un emblème, pour la fidélité sans faille à ses valeurs, …, je considère que les motifs réels de la faire entrer au Panthéon constituent davantage qu'une opération de communication, une imposture de la part de notre nouveau président. Je n'y suis donc pas favorable, quitte à recevoir des bordées d'injures.
J'aurais préféré que celui qui se targue d'être philosophe autant que banquier songe à faire entrer au Panthéon une autre Simone, une homonyme de celle dont nous venons de parler. Je pense évidemment à Simone Weil dont la courte vie fut aussi exemplaire que son œuvre brillante. Mais c'est sûr qu'être l'auteur de "L'enracinement" ne peut guère aider par les temps qui courent.
J'ai failli en oublier la question initiale que j'aurais pu faire précéder en empruntant à Régis Debray de "Panthéonisation ou panthéonade ?" Je pense que chacun dispose des éléments qu'il faut pour répondre. Ce qui me fait frémir c'est que Taubira remplit toutes les cases et même davantage puisque faisant partie de ce qu'on appelle les minorités visibles, selon cette mode de l'étiquetage de chacun d'entre nous selon certains critères bien choisis et nous séparant chaque jour de plus en plus les uns des autres. Je lui souhaite donc une très longue vie en espérant que d'ici là l'air du temps se sera modifié.
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