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Comment le néo-libéralisme a tué la musique

Depuis 15 ans au moins, la musique populaire semble être en panne sèche de renouveau, en plus d'être complètement remplacée par la musique commerciale. Comment interpréter cette inhibition de la création ? Qu'est-ce qui, d'ailleurs, est à l'origine des grands mouvement musicaux populaires connus jusqu'ici ? Pour cela, je vous propose une petite analyse des interactions entre le pouvoir et la musique populaire.

 Sera laissée de côté la musique savante car elle ne présente pas les mêmes caractéristiques sociales que la musique populaire qui fait ici l’objet de mon analyse.

 S’il y a bien une forme d’art qui a été profondément influencée par les rapports de domination sociales et donc par les formes institutionnelles des sociétés modernes, c’est bien la musique populaire. Vive la ségrégation raciale ! Qu’aurait été sans elle la musique afro-américaine et ses émanations, du calipso à la soul en passant par le jazz et le blues pour enfin aboutir aux schèmes de la pop et l’EDM commerciale d’aujourd’hui ? Vive la guerre du viet-nam et le conservatisme américain ! Sinon pas de contre-culture hippie et de Woodstock. Vive l’oligarchie capitaliste britannique et Thatcher ! Ni de vague punk et de Clash sans sa politique libéral-fasciste. Hip-hop, jazz, reggae, punk, la liste est longue des mouvances musicales qui ont pour dénominateur commun leur caractère de contestataire et de résistant. Il s’agit de la musique qui pense, de la musique qui dit Non, car penser c’est dire Non, selon le mot d’Alain. Vive la néo-libéralisme sauvage que l’on connaît actuellement ! Ah non en fait... celui-ci n’a rien engendré musicalement. N’est-il pas pourtant l’expression d’un pouvoir tout aussi violent que les précédents ? Pourquoi alors la créativité musicale populaire actuelle n’est-elle qu'anecdotique sinon éteinte, comparés aux ras-de-marées culturels précédents que j’ai évoqués ?

 

Intéressons-nous tout d’abord à la genèse d’un mouvement musical contestataire.

 Il semble tout d’abord que la plupart des grands courants musicaux populaires depuis le début du XXeme siècle soient la conséquence, entre-autres, des différentes formes d’oppression que différents peuples ont vécu, soient l’exigence d’une reconversion artistique des affects tristes que produisent un pouvoir dictatorial et violent.

Quoi d’autre en effet que de puissants affects sont exprimés par Bille Holiday qui pleure la tragédie des « Strange Fruits » pendus aux arbres, ou par Strummer qui appelle au « White Riot » ? - qu’ils soient des affects tristes ou des affects indignés, ils sont bien la conséquence d’un profond sentiment d’injustice, du besoin d’exprimer les émotions suscitées par ces injustices. Et la musique est parfaitement indiquée pour remplir ce besoin, voici pourquoi.

 Chacun étant muni d’une raison, sait plus ou moins bien transcrire ses pensées par le langage et partager sa révolte, raconter ce qu’il ressent et expliquer pourquoi l’oppression est illégitime. Mais là ou les mots parlent le langage de la raison et peuvent condamner l’injuste, les affects, eux, restent muets à travers les mots. Même une oeuvre littéraire, qui pourtant ne se construit qu’à base de mots, ne se résume pas seuls aux mots qui la composent, ceux-ci ouvrent une dimension supérieure à eux, une dimension sensible, celle de l’art, pour ainsi s’adresser aux affects.

 En effet, si il est évident que les affects peuvent se désigner et se raconter par des mots, ceux-ci restent inefficaces à les transmettre directement. Les mots ne parlent qu’à la raison qui ensuite seulement peut s’adresser à la sensibilité plus ou moins pertinemment pour reproduire ce qu’elle a compris. Mais seul l’art parle à la sensibilité le langage des affects, ces émotions et sentiments (qui nous déterminent à vouloir).

L’art touche directement la sensibilité, il est sensibilité prête à être accueillie.

 Et la forme d’art la mieux indiquée pour exprimer et transmettre la révolte est avant tout la musique. Un tableau, un texte poétique, une photographie, une oeuvre de musique savante, et toute autre forme d’art peuvent tout aussi bien parler aux sens, mais ils cumulent les propriétés d’être peu accessibles, de demander beaucoup plus de connaissances et de temps pour être appréciés et créés, que la musique populaire. La musique dite populaire a la particularité de toucher profondément celui qui écoute sans pré-requis théoriques nécessaires, elle est accessible à tous et notamment aux pauvres, et cette accessibilité à la classe la plus nombreuse des dominés est déterminante dans le cadre de la transmission d’une intense révolte.

 La musique populaire affecte et se ressent à plusieurs, rassemble et ne se fait pas prier pour investir le premier plan de la conscience de l’individu, pouvant facilement passer devant le sentiment de Soi.

Certes l’on peut frémir devant un « Gernica » de Picasso, mais jamais devant ce tableau on ne verra une foule d’individus hurler et se projeter les uns contre les autres dans une transe collective de rage et de jubilation comme devant Clash jouant « Spanish Bombs », ces deux oeuvres s’indignant pourtant du même sujet. Ceci illustre clairement la primauté de la musique populaire comme forme d’art engagé suffisamment accessible pour que cet engagement soit effectivement subversif.

 La musique populaire répond au besoin pour le créateur issu de la classe dominée de se libérer et de se réaffirmer dans son individualité et dans sa valeur humaine, ce qui lui est dénié par l’oppresseur, qui, bien que les formes de l’oppression varient, a bien souvent pour propriété de considérer l’individu comme esclave, inférieur, de le priver de sa liberté d’agir et/ou de penser, et parfois même de nier son individualité pour ne le considérer que comme une cellule d’un organisme social, ce qui se traduit toujours par une violence physique et symbolique envers l’individu de la classe dominée. Par la création, l’individu se réaffirme comme sujet, et peut reconvertir ses affects tristes, ses pulsions de haine, en une sublimation musicale : c’est la créativité libératrice.

 Tout cela peut se résumer ainsi : de l’humiliation et la violence naissent le besoin de créer pour se libérer, le besoin d’exprimer des affects forts, et celui de ressentir des affects joyeux en compensation du surplus d’affects tristes causé par l’oppression. De nouvelles oeuvres apparaissent donc. Si elles sont musicales, ces oeuvres ont alors le potentiel de pouvoir fédérer les autres membres d’une classe dominée, car ceux qui ne créent pas ressentent le même besoin d’éprouver du plaisir, ce dont ils sont privés par l’oppression qu’ils subissent, et qui peut leur être largement restitué par la musique. Ces individus vont alors reconnaître que les affects exprimés dans ces oeuvres sont les mêmes que les leurs, et vont également prendre part à la créativité libératrice en tant que spectateurs : ils vont devenir eux-même créateurs, certes d’un degré plus bas, en ce qu’ils participent à la réalité de l’oeuvre en l’écoutant et donc en la vivant : l’oeuvre prend vie lorsqu’elle est écoutée.

L'oppression par un pouvoir violent réunit toutes les conditions propices à l'appartition d'une mouvance musicale populaire contestataire : le mouvement musical populaire est produit par l'abondance d'affects tristes et révoltés, et produit lui même une abondance d'affects antagonistes aux premiers. Il y a donc demande et offre populaire.

Conséquence directe de la contestation, l’oeuvre nouvelle va inspirer et polariser une partie de la classe dominée et révoltée, qui va s’enrichir d’elle, l’enrichir à son tour, créer une contestation plus aboutie et beaucoup plus nombreuse, et finir par en faire une mouvance musicale.

Bien souvent, cette mouvance musicale se développe par la suite et n’est bientôt plus du tout contestataire, des artistes en reprennent les thèmes musicaux en élargissant leur expression, ce qui semble être le destin de toute vraie mouvance musicale. Née dans le sang et le feu, elle s’émancipe vite de la violence et prend son envol là ou bon lui semble.

 Ainsi, une mouvance musicale qui présente ces caractéristiques indignées, engagées, représente toujours un sérieux danger pour l’ordre social combattu et le pouvoir qui en est à l’origine. En effet, une mouvance musicale présente toutes les propriétés permettant d’ébranler un ordre social. Non pas toujours de le renverser, mais de le mettre en difficulté en stimulant le rapport de force, nous allons voir pourquoi.

 

Pourquoi un mouvement musical populaire est si efficace pour mettre en danger l’ordre social ?

 Spinoza est le premier à l’avoir compris et conceptualisé : un individu se comporte d’une certaine manière parce qu’il a été déterminé à se comporter de cette manière. Plus précisément, être déterminé à se comporter d’une certaine manière, cela signifie avoir été affecté par des causes extérieures qui ont produit le désir de faire quelque chose.

Ceci est déterminant pour comprendre la genèse d’un mouvement de masse de remise en cause de l’ordre social dominant, voici pourquoi.

 Une révolution se ne produit jamais ex-nihilo sur une prise de conscience populaire, ni sur l’impulsion soudaine d’un « Grand Homme » visionnaire. De fait, le « Grand Homme » a toujours été celui qui était préalablement en mesure de mobiliser d’immenses ressources collectives, de déterminer une masse à désirer ébranler un ordre social. Ceci ne peut se faire que par une possibilité de production d’affects collectifs, ce qui passe souvent entre autres par la production d’un nouvel imaginaire collectif affectant.

 Quoi donc peut produire des affects assez puissants et assez largement accessibles, pour engendrer de nouveaux désirs collectifs, sinon la musique ?

 En effet, initie un nouvel imaginaire collectif engagé qui s’exprime par de puissants affects collectifs, inhérents à cette forme d’art qu’est la musique, comme nous l’avons montré plus haut. Elle mobilise aussi bien la sensibilité, en produisant des émotions, que la raison des individus, car bien souvent un morceau de musique engagé comprend des paroles indignées, ce qui contribue à lui permettre de construire un mouvement d’affects collectif macro-social, d’une portée suffisamment puissante pour déterminer un mouvement de désirs collectifs dont l’objet est de secouer l’ordre social et le pouvoir en place.

Les individus étant tous affectés de la même façon par une nouvelle mouvance musicale s’identifient les uns aux autres, identification qui se superpose à l’identification de classe, et renforce la cohésion en une cause commune qui est sublimée par l’art, en un mouvement collectif soudé par le même idéal et la même sensibilité. Ce sentiment de groupe en cohésion contribue lui-même à produire des affects joyeux, il conforte donc le phénomène dont il est la conséquence.

 Ainsi, la nouvelle mouvance musicale va pouvoir enrôler massivement avec elle des puissances de créer et d’agir, par le jeu des désirs créés par les nouveaux affects qu’elle met en jeu, en ce qu’elle va combler un besoin d’affects joyeux et révoltés que ressentent les individus de la classe dominée, besoin qui découle d’une réaction aux affects tristes et inhumains que reçoit cette classe dominée.

 

Le renouveau musical est donc causé en grande partie par l’ordre social injuste et le pouvoir, mais est également un puissant outil de contestation et de mobilisation des masses contre lui.

Pourquoi alors constate-t-on une panne sèche du renouveau musical populaire depuis les années 2000 ?

 Bien que certains artistes qui s’inspirent encore, et souvent avec brio, de mouvances musicales passées, en ayant souvent perdu leur caractère contestataire, cela fait 15 ans qu’aucun grand mouvement musical populaire n’a vu le jour, alors que toutes les conditions semblent être réunies.

 C’est que jusqu’ici nous avons laissé de côté les caractéristiques de la domination sociale, qui pourtant sont déterminantes.

 En effet, les différents types de pouvoir qui jusqu’ici pouvaient causer de grands mouvements de contestation populaire s’exprimant par la musique avaient cela en commun qu’ils exerçaient une violence explicite, quelle que soit sa forme, contre la classe dominée, ce qui appelait à un rapport de force et à une réponse violente à la violence. Le pouvoir se présentait explicitement comme un pouvoir, montrait sa force et entendait se faire obéir, et en cela, produisait des affects tristes, qui appelaient par conséquent les réactions que nous avons vues plus haut. La classe dominée avait un adversaire palpable qu'elle pouvait alors mettre en difficulté. Mais comme toute entité qui tend à lutter pour sa survie, le pouvoir a évolué, il s’est adapté.

 De nos jours, il existe toujours une classe dominée, toute multiforme qu’elle soit, et il est indéniable que la condition des travailleurs régresse partout dans le monde occidental. La majorité travaille toujours pour enrichir pour une minorité, dont l’opulence n’égale que l’apparente bienveillance, en échange d’un pécule permettant à peine de survivre, et encore, il faudrait dire merci ! La population est toujours plus surveillée, répertoriée, analysée, normalisée, rendue sage et docile, et là encore, grande nouveauté ! il faudrait dire merci.

Et effectivement, la classe dominée dit merci ! Voici en quoi consiste l’ultime mutation du pouvoir, c’est précisément de s’effacer en tant que pouvoir, de remplacer l’affreux Big Brother par la bienveillante Big Mother, pour citer Damasio.

En se cachant derrière des algorithmes et des processus automatiques, le pouvoir travaille à se mettre à distance de son action, à se faire oublier pour se déresponsabiliser.

A l’ordre policier, on a substitué les suggestion comportementales sécurisantes, les conseils moraux, les normes implicites de civilité à respecter... Plus un pouvoir se veut efficace, moins il se manifeste comme un pouvoir. Pas de contestation possible s’il n’y a rien de visible à contester.

Là ou la violence s’opposait à la violence, qu’opposer à la bienveillance ? Il n’y a rien à lui opposer, il n’y a plus qu’à l’aimer. L’on dit à la classe dominée : pour votre sécurité et votre confort, renoncez à votre liberté et laissez nous gérer vos existences. Et le peuple dit : merci !

 Mais malgré tout subsistent la domination sociale et la pauvreté d’une classe nombreuse et multiforme, enrichissant une classe minoritaire et oligarchique, et même en s’effaçant le pouvoir ne peut pas annuler les effets de la misère qu’il crée. A cela encore le pouvoir a trouvé la parade : il faut produire des affects joyeux associés au système, maquiller la bête et modeler les imaginaires collectifs, apprendre au peuple à désirer le système.

L’accès à la consommation de masse instantanée maintient l’illusion que le capital est au service de l’individu et non l’inverse, la publicité contribue à anesthésier la critique en associant sans cesse une connotation positive à la consommation et à la condition salariale, et contribue à forger un imaginaire collectif de l’individu libre par la consommation. Et libre de se vendre pour en profiter. Et chanceux qu’on le fasse travailler, n’allons pas en demander plus. Et libre de zapper. La liberté fondamentale du citoyen.

Il suffit de visionner « Les nouveaux chiens de garde » pour se rendre compte que les médias, par solidarité de classe, répètent sans relâche à longueur de journée le catéchisme de la pensée néo-libérale dominante, laissant les individus croire qu’ils doivent être heureux avec le smic car les chômeurs, eux, doivent se contenter de télévisions moins grandes.

 

Créer des désirs et se présenter comme celui qui va les satisfaire, voici l’ultime mutation du pouvoir.

 De l’entreprise à la vie publique, partout où le pouvoir moderne entend s’exercer, il le fait en provocant le consentement par la production d’affects joyeux, qui s’expriment dans tous les domaines de l’existence des individus : la publicité est omniprésente, le cinéma industriel est entièrement investi de l’idéologie dominante, et surtout, la musique l’est également

 En effet, la musique populaire fait également aujourd’hui l’objet d’une production industrielle rationalisée et sous l’influence évidente du capital. Elle est quasi exclusivement le fruit d’une industrie qui produit ses artistes « stars », ses modes, le tout étudié dans le but de vendre un maximum.

 Bien évidemment, malgré le consentement populaire obtenu par le capital grâce à ses dispositifs affectants, la misère subsiste bel et bien, comme nous l’avons rappelé ( était-il besoin de le rappeler ?), et les affects tristes qui suivent.

 La grande différence est que la majorité des individus dominés se sentent responsables de leur misère, ou peut être l’attribuent-ils au manque de chance ou à des évènements discrets particuliers, mais jamais au système capitaliste néo-libéral, qui a su se montrer convaincant pour se dédouaner de sa responsabilité.

 L’ennemi n’est pas le pouvoir du capital, mais le hasard, l'événement importun. « J’enrage d’avoir perdu mon emploi, je ne peux plus payer mon loyer ». Remet-on en cause le droit de propriété qui nous oblige à payer un loyer à un rentier ( voir Proudhon - « Qu’est-ce que la propriété ? » ), et le fait que sans emploi il n’existe pas de revenu vital ? Non, c’est juste pas de chance.

 Il n’empêche que des affects tristes bien réels ( non pas que le pouvoir en soit la seule cause, mais il en est un producteur pharaonique ) ont besoin d’être compensés ou oubliés par des émotions joyeuses, et que la musique populaire est toujours autant indiquée pour remplir cette fonction : le pouvoir l'a compris et s'en est emparé.

 Ainsi, c’est un dispositif du pouvoir, c’est à dire du capitalisme, qui va répondre à sa façon à ce besoin : par la production industrielle de sa propre musique populaire, celle qui passe à la télé, à la radio et dans les boites, et que tout le monde est obligé d’entendre, et souvent, faute de culture plus étendue, d’apprécier, faute de mieux. Cette musique commerciale ne sera évidemment pas axiologiquement neutre.

 En premier lieu, au niveau musical pur, ses schémas correspondent à des chocs répétitifs et à des vibrations émouvantes, qui ont un effet proche de l’hypnose sur l’individu : il va s’oublier et laisser envahir son champ de conscience par cette musique sans âme ni idée, et ainsi oublier ses préoccupations et profiter des émotions suscitées par la mélodie. La musique populaire commerciale joue le rôle d’opium du peuple...

 La deuxième caractéristique de cette musique populaire commerciale, c’est qu’elle prône la consommation, une fois de plus. Peu d’autres thèmes en effet sont traités que celui de l’amour, du besoin de dominer l’autre, et de la consommation : quand ce n’est pas de la propagande consumériste, c’est du vide intellectuel ( bien sur l’amour peut être un thème noble pour la création artistique, il est ici un prétexte pour chanter pour ne rien dire ). Car bien souvent ce ne sont que des « punchlines » sans aucun fond, phrases drôles mais encore une fois souvent orientées idéologiquement : « je voulais mettre mes mains dans mes poches mais j’ai trop de billets », nous interprète Swaggman, l’un des petits rats dansants du pouvoir, exemple symptomatique mais largement non exhaustif !

 La troisième propriété est de lisser et de rendre totalement méconnaissable la lutte des classes : les petits bourgeois d’aujourd’hui partagent les goûts musicaux des classes populaires et des classes moyennes, ce qui participe à créer une parfaite homogénéité des représentations, des imaginaires, des problématiques de vies perçues, et des désirs, entre riches et pauvres. Les pauvres en viennent ainsi à envier les riches, plutôt que de combattre leur opulence illégitime.

 Il existe toujours des exceptions pour la forme, des artistes populaires réputés extravagants, originaux, et/ou dont les textes peuvent gratter légèrement plus la surface, il est en effet important pour le pouvoir de ne jamais laisser transparaître l’expression d’un pouvoir, première règle de son ultime mutation. Il lui faut donc feindre la diversité, et se montrer tolérant, tout en veillant à noyer les artistes conscients dans l’océan des pseudo-artistes commerciaux, ou encore en apprenant aux consommateurs de musique populaire à les haïr.

C’est pourquoi la musique populaire consciente existe toujours ! Des centaines de petits artistes continuent à produire en toute indépendance de la musique populaire de qualité et/ou engagée. La diffusion de leurs oeuvres, bien que facilitée techniquement par Internet, reste réservée aux initiés de la musique populaire impopulaire, paradoxe qui désigne selon moi la musique qui n’est ni savante ni accessible massivement. La diffusion massive de la musique passe - indirectement mais sûrement - par l’approbation du capital qui détient les grands médias, qui n’aurait sûrement pas de réticence à diffuser quelques discours contestataires et conscients par-ci par-là, ou de la création musicale originale, mais qui tient à vendre un maximum. Et la classe dominée a appris à ne pas écouter de ça ! ayant perdu conscience de sa domination, une musique engagée ou originale passerait pour obsolète et absurde, pas marrante et relou, bien loin des vrais problèmes contemporains que sont un premier baiser, la célébrité ou une bagnole de sport. Elle ne serait pas vendeuse. La création musicale est ainsi prostituée par le capital, le réel pouvoir effectif d’aujourd’hui. Et les artistes indépendants qui souhaitent se faire connaître seront bien gentiment invités à porter un collier, ou bien à se contenter de leurs 1430 vues sur youtube. 

 On voit bien ici la différence fondamentale avec l’ancienne expression du pouvoir, brutale et archaïque ( mais pourtant relativement récente ), qui produisait chez la classe dominée un sentiment de révolte, des affects tristes, un besoin de réponse par la violence, qui étaient sublimés par la création de nouvelles mouvances musicales ( souvent, mais pas uniquement, explicitement engagées ), qui étaient prêtes à être largement accueillies du public car elles remplissaient ces mêmes besoins de libération et d’affection joyeuse. Aujourd’hui, le pouvoir veille à ne plus susciter ces besoins, et à les combler lui-même quand ils existent encore, ce qui inhibe l’offre et la demande de nouveautés musicales, en en tuant les motifs.

 Le public n’est donc plus prêt à accueillir un nouveau mouvement musical, et si un groupe d’artistes innove, cette innovation sera reléguée au rang de bizarrerie pour originaux ou intellectuels. L’autre facette de ce phénomène est qu’il incite les artistes qui créent des choses nouvelles à mépriser le peuple qui n’a pas de goût et n’accepte pas la nouveauté non commerciale, et donc à ne plus créer que pour un public très restreint et cultivé. Plus de demande, ni d'offre.

 Il ne s’agit bien sur pas là d’une improbable conspiration menée par le capital autour de l’inquiétante grande table du complot, il s’agit, comme dans toute évolution, d’une caractéristique nouvelle que le pouvoir a commencé par hasard à revêtir, motivée au début par le désir du profit ( vendre de la musique ), et qui s’est avérée présenter des propriétés conservatrices pour le pouvoir capitaliste, et qui donc a été sélectionné par un « darwinisme institutionnel », renforçant ainsi le pouvoir actuel, et toujours en place jusqu’à la prochaine parade adverse...

 

 La musique populaire n’est donc majoritairement plus qu’un outil du pouvoir, pouvoir qui produit industriellement sa propre pseudo-musique, afin qu’elle remplisse la fonction de créer des affects joyeux par des sons et des chocs, de faire taire la réflexion en endormant les consciences, ou encore en créant des imaginaires qui lui sont favorables, mais d’où sont exclus la nouveauté/originalité et les textes subversifs.

Car la nouveauté elle-même est également un phénomène dangereux pour le pouvoir : pour lui, les choses doivent absolument rester comme elles sont, car elles sont favorables au pouvoir, et pour cela, il ne faut pas que les individus changent. Ainsi, là ou le pouvoir brutal nous aurait enfermé dans des camps ou des cachots, le pouvoir rusé nous enferme en nous-même, nous incitant à ne jamais devenir quelqu’un d’autre, à ne jamais sortir de nous même, car cela pourrait nous amener à devenir Non-conformes c’est à dire Non-prévisibles et donc Non-contrôlables, à devenir Non, à créer de nouvelles valeurs, de nouveaux affects, de nouveaux moyens de mobiliser une lutte collective, de nouvelles représentations qui se passent du pouvoir, ce qui pourrait représenter un grand péril pour ce-dit pouvoir.

« Que tout reste en ordre ! » dit le pouvoir, et il ajoute :

« Si la musique peut vous déterminer à désirer me combattre, elle peut vous déterminer à désirer m’aimer. Tu essaies de jouer plus fort que moi avec ta guitare et ta voix pénétrante ? Fou ! Ne vois tu pas que je dispose de toutes les radios du monde ? Tu vas te faire mal au doigts et perdre ta belle voix. Tu n’as plus qu’à danser ! »

 


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10 réactions à cet article    


  • larebil 12 septembre 2014 14:33

    Bon, j’avoue que j’ai lu en diagonale, car quand je vois des phrases aussi absurdes que celle la :

    « Vive l’oligarchie capitaliste britannique et Thatcher ! Ni de vague punk et de Clash sans sa politique libéral-fasciste »

    je décroche.

    Je crois que vous ne savez ni ce qu’est le libéralisme, ni ce qu’est le fascisme (et donc en quoi ils sont antinomiques).

    Sinon, vous avez l’air de vouloir faire une différence entre musique commerciale (musique qui se vend ?) et musique populaire (musique gratuite alors ?), je ne comprend pas.

    Et donc, vous vous plaignez qu’aucun courant musical majeur n’a émergé depuis 15 ans. Euh, je crois qu’il y a foison de genres musicaux, dont certains montent encore en puissance, d’autres sont des modes éphémères, d’autres résistent au temps. La créativité artistique n’a jamais été aussi importante (la diffusion sur Internet donnant des chances de se faire connaître même sans être « commercial »). Rien ne vous empêche de dénoncer la nullité de Hollande sur un air de samba si ça vous dit, pas besoin d’un « genre musical nouveau » pour porter vos idées contestataires.


    • Rmanal 12 septembre 2014 14:50

      Pour avoir trainé un peu dans la création musicale, je peux dire que les maisons de disque, toutes puissantes, ce sont simplement tirés une balle dans le pied, dans un fond de libéralisme effréné où seul l’argent est l’objectif. Cela n’a à mon sens aucun lien avec le pouvoir, même si cela les arrange sans doute.
      Effectivement dans les années 90 on est passé de l’artiste détecté et boosté par les maisons de disque, à des artistes créés de toute pièce (star ac, etc), qui en fait n’ont aucune culture musicale ni aucune sensibilité artistique. Les maisons de disque y ont vu leurs intérêts financiers : moins de risque (de la soupe pour tous, plus de pub, plus de vente), moins d’emmerde avec les artistes, des artistes sous leurs ordres, etc etc
      Au final ils ont simplement chez la plupart des jeunes brisés l’intérêt pour leur soupe, et ces mêmes jeunes se sont mis à « consommer » la musique, pour rester in, plus que de découvrir la musique, par aspiration artistique. En conséquence les ventes de CD ont dégringolé comme jamais (rien à voir avec le piratage). du coup le seul moyen de faire de l’argent redevient le concert : d’où l’augmentation vertigineuse du prix de ces derniers. En même temps ce n’est pas un mal car au moins l’artiste doit faire ses preuves devant son publique.
      Ce désintérêt pour la musique chez les jeunes explique aussi que la musique n’est plus reconnu, ou vu, comme un vecteur de révolte ou de contestation massive.


      • Cocasse Cocasse 12 septembre 2014 16:58

        Complètement d’accord avec votre réponse.
        J’ajouterais que la dimension contestataire de la musique, je m’en fout pas mal. Musicalement, les clash étaient pauvres. De toute façon le rock est pauvre en général.
        On est rapidement entré dans une commercialisation de la musique contestataire comme tranche de marché d’ailleurs.

        Plus grave, ce qui disparait est la belle musique. Celle qui accroche, transporte, ouvre sur une dimension spirituelle presque, possède une originalité harmonique.
        Le manque de progression harmonique sophistiquée, nuancée, surprenante est au centre de la débâcle. Tout ça part d’un manque de sincérité dans la démarche, et d’un manque d’inspiration. La véritable inspiration, au cœur du processus de création authentique et désintéressé.

        Quand j’entends un chanteur populaire francophone passant à la radio, outre un discours débile, j’entends surtout SOL-DO-RE en accords majeurs/mineurs basiques, sans inventivité dans l’arrangement ni la mélodie. Si on va du coté des musiques de films, c’est pas plus brillant, malgré des orchestres impressionnants, la sensibilité et la créativité est nulle. Il y a juste du « savoir faire » mais sans inspiration. C’est aussi une tranche de marché.
        Coté opéra-rock nouvelle génération (roi lion et compagnie), cela devient abominable de consensualisme et d’émotion artificielle.
        Un gros secteur de marché est aussi occupé par la musique « world » (celle avec des clips malsains de type « monarch »), complètement creuse, harmoniquement dans l’abime, mais disposant néanmoins de procédés de production assez impressionnants (son, rythme basique, hypnotisme).


      • mmbbb 13 septembre 2014 09:00

        « facture de revolte et de contestation massive » si vous faites l’historique de tous ces musiciens contestataires ils sont tous venus avant tous des bourgeois et n’entendent plus que la douce musique du tiroir caisse Si les jeunes se contentent de regarder la culture predigerees des grands medias ils n’ont qu’a s’en prendrent a eux memes et ils auront qu’un produit formate Je benis cette periode ou Internet la radio et les divers supports vous permettent d’aller a la decouverte de toutes les musiques de tous les arts Je vais jouer les vieux cons j’appartiens a une generation ou la culture plus selective moins diffusee eut comme effet d’aiguiser notre curiosite et j’ai decouvert ainsi la musique classique le jazz et la bonne variete Il en est de meme pour l’art si j’attends TFI ou France 2 afin qui’ls me fassent decouvrir la peinture je resterai avachi longtemps dans mon canapes J’habite pres de Lyon il ya de multiple galerie qui vous font decouvrir des artistes de grands talents J’ai decouvert ainsi un sculpteur animalier Colcombet magnifique lors des voyage en Italie beaucouo de talent s’exprime d’eux memes Le seul point d’accord est la cherete des concerts 


      • Spartacus Lequidam Spartacus 12 septembre 2014 17:53

        Si l’auteur se tape sur les doigts en plantant un clou, se sera pour lui la faute à l’ultra-libéralisme, s’il se coupe la main avec sa faucille aussi.


        • trevize trevize 12 septembre 2014 19:31

          Il est urgent de voter une loi pour obliger les fabricants à ne vendre que des marteaux en mousse, et des faucilles en carton. C’est un scandale que les pouvoirs publics laissent ces pourris du privé se faire de l’argent en nous vendant de tels instruments de mort.


        • tf1Groupie 12 septembre 2014 18:50

          Et donc si le communisme n’a pas engendré de courant musical significatif c’est que le communisme ne stimule aucune contestation puisque c’est un Eden de liberté ??

          Y en a qui sont prêts à instrumentaliser l’art à toutes les sauces pour étaler leur ideologie, merci à l’auteur pour ce moment de bravoure ...


          • kassandra 13 septembre 2014 10:44

            Quel délire cet article !

            Il suffit d’écouter FIP, Nova, Fun, NRJ and so ou sur internet pour savoir que nous n’avons jamais autant entendu tous les genres musicaux des différentes cultures du monde et le métissage incroyable pour nos oreilles !
            Ouf, enfin les ringards comme Michel Sardou et les chansons et musiques cul-cul de Piaf c’est EN-FIN TER-MI-NER avec le béret et la baguette !!

            • mmbbb 13 septembre 2014 12:04

              Vous etes severe avec Piaf et Sardou Cela vous egratine qu’ils soient des chanteurs populaires Tous les auteurs ne se valent pas Stromae scenarise comme beaucoup ses chansons et npus fait accroire que sa musique est originale J’ai etudie le plat pays du ringard J BREL Beaucoup de chanteur ne s’embete plus a versifier aujourd hui Quant a la musique vous ne semblez peu connaitre son histoire et les francais comme les autres de tous temps se sont inspires d’autres influences N’oubliez pas que paris fut le lieu ou les jazzmans purent s’exprimer librement Maurice Ravel s’inspira aussi du jazz Rien de nouveau sur les influences reciproques entre genre musicaux Pierre Sheffer et Pierre Henry dans les annees 60 furent a l’origine de la musique repetitive dont s’inspira la techno Pierre Boulez musicien classique travailla a l IRCAM musique contemporaine etc etc Vous semblez nous faire redecouvrir le fils a couper le beure Alors votre poncif beret baguette est a votre image un esprit tres peu eclaire. 


              • jacques 20 novembre 2014 21:38

                primo, le néolibéralisme n’existe pas. secundo, la france n’a rien de libéral. sincérement vous vous décrébilisez en employant le mot néolibéralisme. néolibéralisme est juste un terme péjoratif pour désigner le libéralisme. je n’ai meme pas lu l’article quand j’ai vu le titre

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