Comment le Sénateur About a étouffé le scandale des collusions pharmaceutiques
Fin 2010, le scandale du Médiator déferle la chronique. Les responsables politiques semblent découvrir le pot au rose. On s'indigne (depuis le petit livre de Hessel, c'est la mode). On demande un rapport à l'IGAS (Inspection Générale des Affaires Sociales). L'IGAS rend son rapport. Il est accablant pour les politiques, pour l'AFSSAPS, pour les labos. On s'étonne, on s'indigne encore. Et pourtant…
Non seulement tout cela n'est pas nouveau, mais les pouvoirs publics étaient alertés depuis longtemps. Pas plus tard qu'en 2007, l'IGAS avait déjà pondu un rapport complet, rapport déjà accablant pour l'AFFSAPS. Les mêmes collusions y étaient décrites.
Petit rappel des faits : le 8 juin 2006, un rapport est remis au sénat par Marie-Thérèse Hermange et Anne-Marie Payet, au nom de la commission des affaires sociales (disponible ici). Ce rapport traite des conditions de mise sur le marché et de suivi des médicaments. Il affiche un objectif : restaurer la confiance. Ce rapport met déjà en lumière les lacunes de l'AFFSAPS et des agences dans la politique de mise sur le marché du médicament. Il dévoile le problème du financement de l'AFFSAPS par l'industrie pharmaceutique (extrait : "Cette part est en augmentation constante depuis et représente aujourd'hui presque 80 % des recettes de l'agence.")
Le rapport présente la "visite médicale" des labos comme le "bras armé des laboratoires", dénonce une presse médicale totalement sous l'influence des labos pharmaceutiques, pointe les conflits d'intérêts des "experts" financés par les labos pour donner leur blanc-seing aux médicaments, et j'en passe et des meilleures…
A l'époque, Xavier Bertrand est interrogé par la mission le 11 avril 2006. Il est alors Ministre de la Santé. Il aura beau jeu de se dédouaner 4 ans et demi plus tard, espérant nous faire croire qu'il n'était au courant de rien. En fait il est parfaitement briefé par la mission sénatoriale, indique qu'il est parfaitement conscient des problèmes traités par la mission, et fait des déclarations pour le moins surprenantes quand on connait ses allégations récentes. Quelques exemples : "Je souhaite tout d'abord redire clairement ma conviction : la structure actuelle du système français d'évaluation du médicament est légitime." Pour ceux qui pensent que le Ministère de la santé ne sait rien : "Ainsi, l'AMM et ses motivations sont connues lorsque démarre le processus d'inscription au remboursement. De la même façon, l'avis de la commission de la transparence est connu du ministre en charge de la décision d'inscription mais aussi de l'Uncam en charge de la fixation du taux, lorsque ceux-ci prennent leur décision." La déclaration suivante, je l'inscrit juste à titre anecdotique, quand on sait que le médiator était utilisé contre l'obésité : "Je souhaite que la France puisse disposer des médicaments les plus pointus de façon à pouvoir répondre aux nouveaux enjeux de santé publique tels que l'obésité." Bref, l'audition de Xavier Bertrand est consultable ici, et chacun peut se faire une opinion.
Le Président de la Commissions des Affaires Sociales s'appelle Nicolas About. Il est sénateur. Lors de l'audition de Xavier Bertrand, il donnera son point de vue sur le contrôle a priori des médicaments donnant lieu à prescription et remboursés par la sécurité sociale. Nicolas About : "Le dispositif mis en place est assez efficace. Ne risquons-nous pas de l'alourdir en systématisant le contrôle a priori." Bref, pas trop de contrôle, cela pourrait ralentir les ventes...
La mission multipliera les auditions, tous les acteurs de ce secteur seront interrogés, et les missionnés feront un travail remarquable pour alerter le Sénat et les pouvoirs publics. Ces derniers avaient toutes les informations dans les mains.
Alors deux choses se produisent. Un rapport est demandé à l'IGAS sur le sujet des visiteurs médicaux des laboratoires (ces vendeurs embauchés par les labos qui effectuent plus de 300 visites par an par médecin), et le Sénateur About qui déclare qu'il va prendre le problème en mains et proposer une loi pour l'automne 2007. Tout semble sous contrôle, le sénateur About s'en occupe, on se désintéresse de la question. Il est malin, le sénateur.
En Août 2007, le rapport de l'IGAS tombe (disponible ici). Il est accablant pour tout le monde. L'AFSSAPS, les "experts", les labos. Extraits du rapport : "L’industrie pharmaceutique intervient également dans le financement d’associations de malades, au point , parfois, de les créer de toutes pièces. Certaines associations soutenues se voient positionnées comme interlocutrices privilégiées par les institutions internationales, notamment par la Commission européenne ; Les entreprises ne sont pas absentes de la formation initiale des médecins ; elles contribuent très largement au financement de leur formation continue ; Elles s’immiscent dans celui de l’évaluation des pratiques professionnelles ; Elles assurent de façon sinon quasi-monopolistique du moins très excessive l’information des professionnels de santé ; Elles participent à l’information des patients, en étant parfois à l’origine de campagnes de sensibilisation précoces au caractère parfois trompeur ; Elles contribuent au financement de campagne d’éducation pour la santé ; Elles participent, largement, à la définition de nouveaux périmètres de définition de maladies, de critères permettant d’évaluer les thérapeutiques nouvelles ; Elles interviennent pour abaisser les seuils de facteurs de risque ; Contribuant ainsi, pour certains, à une « médicalisation » excessive de la société ; Dans certains cas même, elles induisent la création de nouvelles pathologies. Au point que ces interventions ont été à l’origine d’une expression nouvelle pour les caractériser aux Etats-Unis : le façonnage de nouvelles maladies (disease mongering)."
Tout y est. Nous sommes en 2007. Le rapport est gardé secret pendant quelques mois mais finit par filtrer.
Mais qu'en est-il de la promesse de Nicolas About ? Aucune proposition de loi ne verra le jour. Tombée aux oubliettes, la proposition qui devait remédier à ce scandale. Etouffée la loi salvatrice. Est-ce par négligence ? Il est permis d'en douter fortement, tout comme on peut sérieusement douter des motivations du sénateur About. En effet, celui-ci en 2006 est Président de l'Office Parlementaire d'Evaluation des Politiques de Santé (OPEPS). Il est aussi Membre titulaire de la Commission des Comptes de la Sécurité Sociale. C'est à dire qu'il est totalement impliqué dans l'autorisation de Mise sur le marché et l'évaluation du remboursement des médicaments. Et ce remboursement est capital pour les labos, puisqu'il détermine si leur médicament sera prescrit par les médecins ou pas (car les médecins ont tendance à prescrire de médicaments bien remboursés) et donc le rendement financier du médicament.
Et puisqu'on parle de collusion, on n'oublie pas que Nicolas About a été lui même Directeur des relations médicales du laboratoire Servier de 1981 à 1985, et Directeur de communication médicale chez Sanofi à partir de 1988. En 2009 il est toujours connecté à Servier. Il se rendra par exemple au Brésil à la demande du laboratoire pour la visite d'un site.
Alors quand on parle de conflits d'intérêts… Mais pire encore, la manœuvre consistant à prendre sous sa coupe la proposition de loi salvatrice, et en la faisant ainsi sortir du champs couvert par les projecteurs, puis en étouffant tout ça et en ne faisant rien, About a empêché toutes les mesures qui auraient pu permettre d'éviter le drame du Médiator. Le tout saupoudré de conflits d'intérêts évidents.
Est-ce pour cela que le 23 janvier 2011, Nicolas About a fait cesser son mandat de Sénateur, pour être nommé au CSA ? Sentait-il qu'il allait être rattrapé par ce qui est l'une des omissions les plus graves de notre début de siècle en termes de santé publique ? Omission en toute connaissance de cause, et au plein bénéfice de l'industrie pharmaceutique. Combien de victimes auraient pu être évitées ?
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