Comment les socialistes peuvent reconquérir l’opinion
De François Mitterrand, les socialistes n’ont rien retenu et c’est Nicolas Sarkozy qui en a appliqué les meilleurs principes. Pire, quand les Socialistes parlent d’avenir, on se sent dans le vide incarné par Ségolène. Pourtant, l’avenir est à la gauche, et voici peut-être pourquoi.
La gauche française s’est effondrée sur elle-même, soit. Mais ses capacités de reconstruction sont intactes. Trois facteurs principaux l’expliquent. Tout d’abord, sociologiquement, être de gauche signifie quelque chose, comme être de droite signifie également quelque chose. Les lignes bougent, certes, en fonction des circonstances intérieures et extérieures au pays, mais les racines des deux philosophies qui président à ces choix restent les mêmes. On ne peut pas les résumer en quelques lignes. Mais il est intéressant de constater que les débats nés de la Révolution française il y deux siècles sont d’une étonnante actualité. On y trouve, à la fois, une disposition naturelle, un état d’esprit, une structure de raisonnement et une communauté de destin. Le second facteur est encore plus évident. Il consiste dans la nature même de la marche du monde, fait de mouvements bien identifiés. Les sociétés se replient sur elles-mêmes et s’ouvrent vers l’extérieur à temps plus ou moins réguliers. Elles réagissent à une multitude de facteurs qui influent sur ses convictions et produisent inévitablement un décalage entre le pouvoir en place, élu sur une sorte d’instantané et toujours incapable, par nature, de modifier les bases de son élection, et l’opinion qui réclame des ajustements constants. Le troisième facteur, c’est la faute. On élit des responsables pour qu’ils soient un reflet aimable de nous-mêmes. Lorsqu’ils cessent de l’être, c’est le désamour, brusque et parfois cruel. Or, il n’est aucun système politique au monde capable d’empêcher la production de fautes, qu’elles soient humaines, politiques ou institutionnelles. On peut donc dire sans crainte d’être démenti que la gauche est, par nature, appelée à revenir au pouvoir dans les prochaines années.
La question ici, bien sûr, est de savoir quelle gauche, et comment. L’erreur de ceux que l’on appelle les "éléphants" du PS, pour parler du principal parti d’opposition, est de n’avoir jamais su sortir de l’ombre de François Mitterrand. Une erreur commune, d’ailleurs, avec certains plus jeunes de ce parti qui se sentent soit enfermés dans une fascination désuette, soit confinés dans une détestation troublante. L’un de ces "jeunes" qui ressemble à s’y méprendre aux éléphants est Manuel Valls, présenté comme l’un des architectes de l’avenir du PS. Très acide vis-à-vis de François Mitterrand alors même que celui-ci était encore en vie et se débattait face à une opinion déchaînée sur son rôle durant Vichy, on le voit tenir un discours qui est en tous points ringard, et n’a d’idée à donner que celle de trouver des idées. On est loin de l’imaginaire qui sous-tend une vision politique et c’est révélateur. Du reste, cette opposition entre éléphants et quadras a de quoi faire sourire tant la communauté de défaite est entière. Il eut mieux valu, pour le PS, retenir de François Mitterrand les leçons magistrales et rester simple vis-à-vis de ses erreurs. Ce qu’il y a de bon à retenir chez François Mitterrand, c’est la construction patiente, cohérente, de sa pensée, y compris dans son glissement progressif vers la gauche, dans son acceptation de la réalité communiste pour un programme commun, puis dans l’application de principes sur la scène intérieure et extérieure qui ont permis à la France de poursuivre son Histoire. Oui, en introduisant à son époque une rupture spectaculaire, avec son élection en 1981, et en engageant immédiatement son progamme bien établi, noir sur blanc, au fil de ses 110 propositions qui avaient été soutenues par les forces de gauche, François Mitterrand avait suscité un certain enthousiasme. Ce que Nicolas Sarkozy vient de faire, est en train de faire, lui dont Mitterrand écrivait qu’il lui reconnaissait la capacité de présider la France (tout comme, d’ailleurs, il le reconnaissait à François Bayrou, déniant en revanche à Chirac cette capacité). A partir de là, Mitterrand serait resté exemplaire d’une faconde, point barre. Mais les Socialistes n’ont pas su ne pas s’embourber dans la fin de son règne calamiteux. En cela, ils montrent un problème sérieux au niveau de l’oedipe. Amusant d’ailleurs de noter une démonstration chez l’un des plus proches de Mitterrand qu’est Jack Lang. L’ancien ministre de la Culture a été fait par Mitterrand, soutenu par celui-ci pendant quatorze années, puis s’est débattu dans son besoin d’exister une fois ce père politique disparu. Ce n’est qu’à la faveur de l’apparition d’un second père, en la personne de Nicolas Sarkozy, qui veille sur lui, que Lang retrouve sa capacité à tenir un rôle important et à défier l’autre père qu’il ne pouvait se résoudre à tuer, François Hollande. Jamais Lang n’aurait claqué la porte du parti sans avoir son entrée dans l’ouverture sarkozyenne. Mais trève de psychanalyse plancher ici.
On voit donc les Socialistes qui se barrent, ceux qui trépignent d’impatience devant le manque de diligence de François Hollande à laisser les rênes, ceux qui font bloc autour de lui, et cet électron libre de Ségolène Royal dont on ne comprend toujours pas ce qu’elle veut dire. Pour certains, c’est désespérant. Mais le plus désespérant est sans doute que dans ce maelstrom, peu se taisent pour se consacrer à un temps de réflexion nécessaire. Il va falloir un peu de temps, ou, mais pas trop. Et rien à voir avec le départ de Hollande. Les Français sont toujours disposés à écouter ce que la gauche a à dire. Mais les Socialistes doivent parler avec ce qui constitue l’ensemble de la mouvance de gauche, y compris les Verts, et doivent, surtout, voilà un point crucial, s’abreuver aux sources qui sont les leurs. Car on n’entend plus guère d’intellectuels participer vraiment à leurs débats. On ne leur voit plus de presse digne de ce nom. On ne les retrouve plus dans une certaine forme d’audace tranquille qui pouvait devenir séduisante pour les électeurs.
Le monde se trouve dans un mouvement très rapide, qui n’implique aucune uniformisation, pourtant. De nombreux modèles de société coexistent déjà et peuvent coexister, tout en relevant de ce que l’on appelle la démocratie. Mais comme assommée par la mondialisation, le terrorisme, les déficits vertigineux de la France, et tant d’autre grands traits du moment, les partis de gauche sont littéralement sidérés, c’est-à-dire privés de désir, et recroquevillés dans un refus de ceci ou de cela. En réalité, il existe bel et bien un modèle français, une manière de vivre dans ce pays, que l’on peut préserver. Tôt ou tard, la droite attaquera en profondeur les bases d’un consensus auquel les Français tiennent, car ils ne se reconnaissent pas dans d’autres formes de société qui anticipent à leurs yeux ce que le tout libéralisme pourrait provoquer chez eux. Il faudra alors que la gauche soit en phase avec cette aspiration à maintenir l’unicité d’un modèle tout en incorporant des nouveautés incontournables. De grands défis nous attendent, que le mot de mondialisation ne peut situer justement. Ce qui permet d’identifier communément ces défis, c’est la création de nouvelles ressources et de nouvelles richesses. La France a d’excellents pôles de compétences. Mais depuis des années, les filières qui les nourrissent sont abîmées voire détruites pour certaines. L’université française est un amoncellement de débris. L’artisanat est mal mené. Deux exemples parmi tant d’autres. Or, la seule solution proposée par le pouvoir actuel est de faire financer l’université par les fonds privés. Pas un mot pour le moment sur les filières du savoir. Quant à l’artisanat, en quoi est-il un sujet ringard, puisque, dans le monde entier, l’heure est à la réapparition des micro-économies locales, en particulier dans l’optique du développement durable.
On s’agite beaucoup autour de débats institutionnels, autour de réformes qui s’annoncent difficiles, autour de la fin d’une époque. Comme on a tort. Les institutions ne soucient pas grand monde dans un pays où l’on a besoin de travail, de moyens financiers, de logements, etc. Les réformes, chacun pourrait les comprendre si l’on ne voyait déjà à quoi elles nous mènent. Une société fortement inégalitaire. Quant à la fin d’une époque, c’est un thème curieusement attribué souvent à la gauche, et pourtant typiquement de droite. Mais il n’a pas grand sens. Personne ne sait l’heure qu’il est à la grande horloge de l’Histoire.
On ne saurait dès lors trop conseiller aux Socialistes de se mettre au travail et de se garder, pour quelques temps, de ces rivalités qui les déchirent. On ne saurait trop leur conseiller de comprendre, et vite, que les autres forces de gauche sont un vivier important, tout comme le paysage intellectuel, l’ouverture à l’extérieur du pays, la recherche d’idées non pas révolutionnaires, mais bien ancrées dans les défis du futur. En un mot : Socialistes, redevenez intéressants.
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