Comment peut-on être suédois ?
Montesquieu n’est plus d’actualité ! Le Persan Mahmoud Ahmadinejad désire officiellement du nucléaire civil pour son pays, certains s’en offusquent ; personnellement je regrette plutôt qu’on ne puisse plus prendre de la vodka avec son caviar à Téhéran comme au temps du shah d’Iran. En Suède, pays démocratique s’il en est (du moins nous le chante-t-on sur tous les tons), un fou furieux vient d’interdire à sa voisine de fumer dans son jardin par voie de justice (voir article insolite msn.fr) parce que la fumée passait par-dessus son mur mitoyen. Ce clown sinistre se sentait obligé de porter un masque tant le tabac le dérangeait. Cet épisode ridicule est le dernier avatar du modèle suédois si souvent porté au pinacle.
La Suède, pays des anciens Vikings, donne d’elle-même une image de plus en plus aseptisée. On est loin des épopées guerrières de barbus blonds venus nous apprendre à vivre à coups de hache et d’incendies d’églises le long des côtes britanniques et françaises. Le pays des dieux mortels est devenu d’un mortel ennui. L’énumération qui va suivre donne plus de sueurs froides et de craintes que ne pouvait inspirer la vue des voiles des drakkars le long de nos côtes lors des raids des hommes du Nord.
1. La Suède est à l’origine de la généralisation de la prévention routière, avec les énormes pare-chocs de ses Volvo des années 70 qui donnaient une allure de char d’assaut à la moindre berline. Les Suédois continuent avec l’invention du siège pour enfant, installé en sens inverse de la marche, ils persévèrent avec une surveillance drastique des automobilistes et l’intronisation d’un non buveur qui ramène tout le monde le vendredi ou le samedi soir, car en semaine il est fort conseillé de ne pas boire une goutte d’alcool.
2. La prostitution est interdite au point que les Suédois vont se soulager en Allemagne de l’autre côté de la frontière danoise ou bien en Finlande. Les Suédois, en moralisateurs à la Tartuffe, déplacent le problème chez leurs voisins. Dans le cadre de la lutte contre la violence faite aux femmes, ils ont pénalisé tout le monde, des filles aux clients (je n’ai pas encore réussi à savoir si la prostitution homosexuelle était elle aussi réprimée), sans penser que la répression crée la clandestinité et que cette situation profite avant tout aux proxénètes, au détriment des filles de joie qui sont encore plus à la peine.
3. Les châtiments corporels sur ses propres enfants sont bannis en Suède. Je ne parle pas des monstrueuses raclées finissant aux urgences avec fractures et éclatement de la rate, mais de la petite gifle ou de la fessée, qui administrées avec mesure avaient un effet dissuasif et calmant sur des gamins braillards comme des mainates qui couraient un peu partout dans les avions (cf. l’article de Libération début août sur ce sujet). On en arrive au paradoxe de ce beau-père condamné à une amende pour avoir giflé une petite peste qui lui avait craché dessus parce qu’il refusait de lui acheter un DVD (cf. le même article).
Mais revenons au cas de la fumeuse du jardin. Le plaignant est avocat, il s’est donc servi de la loi pour persécuter sa voisine. Je ne connais rien du droit suédois, mais je pense que la victime de ce fou furieux pourrait contre-attaquer et porter plainte contre les odeurs de barbecue, si son voisin s’y adonne et surtout, s’il déguste du surstromming, le fameux poisson un peu pourri, dont les Suédois raffolent. D’ailleurs ces moralistes, protecteurs des droits individuels au nom de la communauté, ont protesté avec véhémence quand leur plat national a été interdit à bord des avions de British Airways et d’Air France, car supposé potentiellement explosif. Ils sentent bien (au propre et au figuré dans ce cas), nos Scandinaves, quand une situation est ridicule, mais uniquement si elle concerne un thème qui leur est cher, celui de leur identité culturelle. A juste titre, ils n’acceptent pas une brimade grotesque. Le surstromming sent assez fort au point que comparativement, un munster bien fait a l’arôme du jasmin. Les boîtes gonflent un peu sous la pression des gaz, mais de là à être utilisées par Al-Qaida, il y a un grand pas à ne pas franchir. Par contre, ils ne s’insurgent pas de leur excès de prudence, de prévention et d’interdits.
Pourtant, sans remonter aux Vikings, la Suède s’était montrée sous un jour plus favorable il n’y a pas si longtemps. Les premiers émois érotiques des adolescents de ma génération ont été inspirés par des films cultes comme Je suis curieuse ou Joyeuses Pâques qui étaient interdits aux moins de 18 ans à leur sortie en France. Il y avait une tradition de grivoiserie rurale, jadis. Dans les campagnes suédoises du XIXe siècle, lors de la fête du cochon, quand les femmes se réunissaient sans les hommes pour préparer les boudins, saucisses et andouilles, les obscénités ciblant la taille et la forme des organes génitaux de leurs maris fusaient dans une joie saine et rigolarde. (Lire le passionnant ouvrage d’Yvonne Verdier sur le cochon, Façons de dire, façons de faire.)
Alors, comment sont-ils devenus aussi tristes, aussi moralistes et donneurs de leçons ? Et si au moins cela leur donnait un confort de vie et un sentiment de bien-être, mais la Suède a été longtemps la mieux placée pour son taux élevé de suicides. Le modèle social, moral et politique est porté aux nues par tant d’analystes qu’on se demande pourquoi un tel paradis entraîne autant d’actes désespérés. Peut-être parce que dans un pays aussi parfait, le seul moyen d’exister est de se supprimer !
Sans vouloir faire de la psychologie de bazar en parlant de la théorie des climats si chère à Montesquieu et se rapportant aux Persans, faut-il suivre certains psychiatres qui envisagent la piste du manque d’ensoleillement pour expliquer le phénomène suicidaire en Scandinavie ? Il y a probablement un part de vérité dans cette explication, mais elle n’est pas satisfaisante. La vie était dure pour les paysans au temps de Bernadotte et on se suicidait moins, et les générations suivantes ont massivement quitté le pays pour émigrer aux Etats-Unis, justement pour ne pas crever de faim. Il n’y avait pourtant guère plus de soleil en ce temps-là. Non, je pense personnellement que le moralisme protestant associé au socialisme consensuel a engendré l’ennui, celui qui transpire dans les films d’Ingmar Bergman. Celui qui a vu en boucle Le Septième sceau ne peut que vouloir se pendre !
Les dieux scandinaves qui ont inspiré Wagner étaient condamnés à l’échec, vaincus par les forces du mal. L’alternative de l’homme était de leur ressembler et de périr au combat en héros. Ensuite il allait au paradis des guerriers, l’Asgard, dans une salle, le Walhalla, où il pouvait boire, même en semaine, de la bière dans le crâne de ses ennemis. Les walkyries lui prodiguaient tout ce dont un homme a besoin quand il est mort (et même quand il est encore vivant). Les walkyries, les payait-on pour leurs services et prestations rendus ? Décidément, la Suède a bien changé !
Un monde orwellien se prépare en Europe du Nord de façon de moins en moins insidieuse et tend à se propager vers le Sud. Sommes-nous prêts en France à adopter ce genre de comportement ? J’aurais dit non il y a encore quatre ou cinq ans. Je commence à douter et ce modèle me fait peur. Précautions et interdits deviennent la règle. Et l’imagination, quand va-t-elle revenir au pouvoir ?
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