Comment Washington a sacrifié l’Ukraine pour affronter Moscou
Il y a dix ans, l'ancien président ukrainien Viktor Ianoukovitch signait un accord avec l'opposition Euromaïdan pour résoudre la crise politique en Ukraine. Le lendemain même, l'opposition déchirait l'accord et prenait le pouvoir par la force. Derrière l'Ukraine, l'Empire américain voulait s'emparer de la Russie. Récit d'une guerre déterminée.
Après des mois d'émeutes, provoquées par le mouvement Euromaïdan, le président ukrainien Viktor Ianoukovitch acceptait de réformer la constitution, de former un "gouvernement d'unité nationale" et de tenir des élections anticipées en décembre 2014. Le président ukrainien acceptait de gracier les émeutiers et de lancer des enquêtes sur les abus des forces de l'ordre.
Les accords du 21 février visant à mettre fin à la crise politique en Ukraine étaient signés par Ianoukovitch et les dirigeants de l'opposition Vitaly Klitschko (Parti Udar), Arseniy Iatseniouk (Batkivchtchina) et Oleh Tiagnybok (Parti nationaliste Svoboda) en présence du ministre allemand des Affaires étrangères Frank-Walter Steinmeier, du ministre polonais des Affaires étrangères Radoslaw Sikorski et d'Eric Fournier, directeur du Département de l'Europe continentale au ministère français des Affaires étrangères.
Le lendemain de l'accord, le 22 février 2014, les bâtiments de l'administration présidentielle, de la Verkhovna Rada et du Cabinet des ministres étaient pris d'assaut par des manifestants violents. Les leaders du Maidan ont nommaient Oleksandr Tourtchynov à la tête de la Verkhovna Rada, le parlement ukrainien, en violation de la constitution du pays. Ianoukovitch était chassé. S'exprimant à la télévision depuis Kharkiv, Ianoukovitch refusait de démissionner : "Je suis un président élu légalement. Ce qui se passe est un vandalisme flagrant, du banditisme et un coup d'État", avait-il déclaré.
Néanmoins, les dirigeants de l'UE déclaraient immédiatement qu'ils travailleraient avec le "nouveau gouvernement" de l'Ukraine, balayant les accords qu'ils venaient de garantir la veille. En février 2014. Yanukovych quittait l'Ukraine et se réfugiait en Russie.
Washington était derrière le coup d'État
Officiellement, l'opposition était soutenue par les Européens, mais comme le déclarait le président russe Vladimir Poutine en 2015, « Nous savions parfaitement bien que les véritables marionnettistes étaient nos partenaires et amis américains."
Début février 2014, une conversation interceptée entre la secrétaire d'État adjointe américaine, Victoria Nuland, descendante d'immigrés juifs ukrainiens du côté de son père, et l'ambassadeur américain en Ukraine, aujourd'hui Secrétaire d'État adjoint des États-Unis pour les Ressources énergétiques depuis 2022, Geoffrey Pyatt, parlait de mettre au pouvoir le leader de l'opposition Arseniy Iatseniouk, et de mettre Tiagnybok et Klitschko "à l'écart". Nuland laissait tomber : "Fuck the EU..."
Le 27 février 2014, Iatseniouk était nommé Premier ministre ukrainien. Klitschko devenait maire de Kiev, le 5 juin 2014. Tiagnybok était maintenu à l'écart du gouvernement.
La cible était la Russie
Après le coup d'État, le gouvernement d' Arseniy Iatseniouk réprimait brutalement ses opposants politiques, promouvant un agenda ouvertement russophobe, et envoyait l'armée contre les civils du Donbass, opposés au coup d'état contre le président légitime Ianoukovitch.
Larry Johnson, un ancien agent de renseignement de la CIA et fonctionnaire du Département d'État, pense que l'Occident avait simplement décidé de prendre le contrôle de la Russie et de ses formidables richesses naturelles. « Ils cherchaient une stratégie à long terme pour isoler la Russie. Et la clé de cela était de faire entrer l'Ukraine dans l'OTAN, dans l'UE, et donc d'isoler la Russie. » Du moins, les stratèges américains pensaient pouvoir isoler la Russie.
Des accords non respectés
La Russie a espéré mettre fin aux effusions de sang dans le Donbass grâce aux accords de Minsk. Le protocole de Minska était signé le 5 septembre 2014 à Minsk, capitale de la Biélorussie, par les représentants de l'Ukraine, de la Russie, des républiques autoproclamées de Donetsk et de Lougansk et de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), afin de mettre fin à la guerre du Donbass. Les accords prévoyaient l'arrêt des hostilités, le retrait des armes lourdes de la ligne de front, la libération des prisonniers de guerre et une réforme constitutionnelle en Ukraine pour accorder l'autonomie aux Républiques populaires de Donetsk et de Louhansk.
L'ancienne chancelière allemande Angela Merkel et l'ancien président français François Hollande ont reconnu depuis que les accords de Minsk étaient des manœuvres pour gagner du temps pour armer et former l'armée ukrainienne. Le président ukrainien Volodymyr Zelensky, lui-même, reconnaissait dans une interview à Spiegel en février 2023 qu'il n'avait jamais eu l'intention d'observer les accords de Minsk ; pas plus que les putchistes d'Euromaïdan n'avaient eu l'intention de respecter les accords signés le 21 février 2014 avec le président Viktor Ianoukovitch.
Washington veut la guerre
Les États-Unis auraient pu refuser d'intégrer l'Ukraine à l'OTAN, ne pas mener des exercices militaires avec l'Ukraine, réouvrir les discussions avec Moscou sur la relance du Traité ABM et du Traité INF sur les forces nucléaires intermédiaires. Le Traité ABM (Anti-Ballistic Missile Treaty), Traité de limitation des systèmes de défense antimissile, avait été signé en 1972 entre les États-Unis et l'Union soviétique. Ce traité visait à limiter le déploiement de systèmes de défense antimissile afin de décourager une course aux armements dans ce domaine. Les deux parties s'étaient engagées à ne déployer qu'un nombre limité de systèmes de défense antimissile, limitant ainsi la possibilité de défense contre les missiles balistiques intercontinentaux (ICBM).
Le Traité INF (Intermediate-Range Nuclear Forces Treaty), Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire, signé en 1987 entre les États-Unis et l'Union soviétique, interdisait la production, le stockage et le déploiement de missiles balistiques et de missiles de croisière terrestres ayant une portée de 500 à 5 500 kilomètres. Ce fut un élément clé dans la réduction des tensions pendant la Guerre froide, car il interdisait le déploiement d'une classe entière d'armes nucléaires à courte et moyenne portée en Europe.
Ces deux traités étaient considérés comme des piliers de la stabilité stratégique entre les États-Unis et l'Union soviétique, puis la Russie après la dissolution de l'URSS.
Cependant, en 2002, sous le gouvernement de George W. Bush, les États-Unis annonçaient leur retrait unilatéral du Traité ABM. Le développement de systèmes de défense antimissile reprenait. De même, en 2019, sous le premier mandat de Donald Trump, les États-Unis se retiraient unilatéralement du Traité INF. La Russie annonçait son propre retrait du Traité INF, le contrôle des armements n'existait plus.
Le président Biden a exprimé à plusieurs reprises son opposition au projet de gazoduc Nord Stream 2, affirmant que cela renforcerait la dépendance de l'Europe à l'égard de la Russie en matière énergétique et affaiblirait la « sécurité énergétique » de l'Europe. Les États-Unis ont menacé de sanctions contre les entreprises et les entités impliquées dans la construction du gazoduc, ainsi que contre les pays soutenant le projet. Le 6 février 2022, lors d'une conférence de presse commune avec le chancelier allemand Olaf Scholz, le président américain Joe Biden avait averti : « Si la Russie envahissait l'Ukraine, il n'y aurait plus de Nordstream 2. Nous y mettrons fin ». Questionné sur la manière dont il s'y prendrait, il répondait : « Je vous promets que nous serons capables de le faire. »
Le sabotage des gazoducs Nord Stream a eu effectivement lieu le 26 septembre 2022 en mer Baltique, occasionnant d'importantes fuites de gaz. La première, sur Nord Stream 2 est découverte au sud-est de l'île danoise de Bornholm. Plusieurs heures plus tard, deux autres fuites sont découvertes sur Nord Stream 1 au nord-est de l'île. C'est un acte délibéré, des traces d'explosifs ayant été relevées.
Dans un article publié sur son blog le 8 février 2023, le journaliste américain ayant reçu le prix Pulitzer, Seymour Hersh, affirme que les États-Unis et la Norvège sont à l'origine du sabotage des gazoducs Nord Stream en citant une source unique et anonyme ayant eu connaissance directe de la planification opérationnelle.
L'Ours russe est patient
La Russie a toujours été ouverte aux négociations. Moscou a entretenu un dialogue avec les gouvernements de Porochenko et de Zelensky pour mettre en œuvre les accords de Minsk afin de respecter les droits des russophones d'Ukraine tout en préservant l'intégrité territoriale de la nation. Le gouvernement de Petro Porochenko a été en fonction en Ukraine du 7 juin 2014 au 20 mai 2019. Porochenko a été élu président de l'Ukraine en mai 2014, succédant à Viktor Yanukovych qui s'était réfugié en Russie.
Quant au gouvernement de Volodymyr Zelensky, il est en fonction depuis le 20 mai 2019. Zelensky a remporté l'élection présidentielle ukrainienne en avril 2019, succédant ainsi à Petro Porochenko en tant que président de l'Ukraine. Son gouvernement a été formé peu après son investiture présidentielle et est toujours en fonction à ce jour.
La presse occidentale tait le fait qu'avant de lancer l'opération militaire en Ukraine, Moscou a cherché à conclure des accords avec les États-Unis et l'OTAN pour assurer la sécurité européenne commune. Les projets d'accords qui prévoyaient les garanties de l'OTAN contre l'expansion vers l'est et le statut neutre de l'Ukraine ont été ignorés délibérément par Washington, Bruxelles et, bien entendu, la direction de l'OTAN.
Un mois après le début de l'opération militaire spéciale, des représentants russes et ukrainiens ont signé des accords de paix préliminaires à Istanbul en mars 2022. Davyd Arakhamia, qui dirigeait la délégation ukrainienne lors des pourparlers d'Istanbul de mars 2022 avec la Russie, avait déclaré à la chaîne de télévision ukrainienne 1+1, en novembre 2023, que Moscou était prête à mettre fin au conflit si l'Ukraine s'engageait à la neutralité et refusait d'adhérer à l'OTAN. Cependant, le Premier ministre britannique Boris Johnson forçait le président Volodymyr Zelensky à se battre jusqu'au bout. L'ex-Premier ministre Johnson était appuyé par le Vice-président de la Commission européenne Josep Borrell Fontelles, en avril 2022, qui promettait des centaines de millions d'euros pour Kiev : "Cette guerre sera gagnée sur le champ de bataille", tweetait-il... Le Secrétaire à la Défense des États-Unis, Lloyd Austin, a déclaré que Washington voulait voir "la Russie affaiblie. » Les États-Unis ont dépensé plus de 100 milliards de dollars, l'Union Européenne a donné environ 85 milliards d'euros, pour soutenir l'effort militaire de l'Ukraine. Le résultat n'est pas concluant.
Source : Ekaterina Blinova
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