Communisme = Capitalisme. Point de vue d’un révolutionnaire amérindien
En juillet 1980, plusieurs milliers de personnes venues du monde entier se rassemblèrent pendant six journées de débats, ateliers et conférences, à l’occasion du « Black Hills International Survival Gathering », organisé dans les « Collines Noires » de la réserve amérindienne de Pine Ridge, Dakota du sud.
Le gouvernement US, sous le lobby des industries énergétiques, venait de designer ces Collines Noires – collines sacrées pour le peuple Lakota - « Zone Nationale Sacrifiée », ce qui signifie concrètement que la zone entière était rendue inhabitable du fait de la construction d’une centrale de gazéification du charbon et d’une centrale nucléaire, ainsi que de l’installation de lignes à haute tensions.
Le rassemblement fut suivi par un large éventail de groupes et organisations, des Indiens locaux, fermiers, politiciens gauchistes, écologistes du Sierra Club, activistes de Greenpeace, jusqu'à des entrepreneurs en “technologies alternatives”.
Plusieurs grandes figures de l’activisme amérindien prirent la parole, tel John Trudell et Russell Means.
Le discours suivant fut prononcé par Russell Means, un des fondateur du Mouvement Amérindiens (AIM – American Indien Movement) créé en 1968. Ce mouvement radical pris rapidement un tournant Marxiste-Léniniste, ce qui incita Means à quitter l'organisation.
Ce 18 juillet 1980, il décide de s'adresser à l'AIM, et tente de réorienter la lutte contre le projet énergétique en démontrant que capitalisme et marxisme sont les deux faces d'un même projet à l'origine de leurs maux.

Je me dois de commencer un tel discours en faisant d'abord une remarque : je déteste écrire.
Le procédé est, en soit, l’incarnation du concept Européen de « pensée légitime » ; ce qui est écrit a une importance qui est complètement déniée à la parole. Ma culture, la culture Lakota, a une longue tradition orale, donc généralement je refuse d’écrire.
C’est une des manières que le monde blanc a de détruire les peuples non-européens, en imposant un système abstrait au détriment de la parole et des relations directes entre les personnes.
Ce que vous lisez ici n’est donc pas ce que j’ai écrit, mais ce que j’ai dit, que quelqu’un d’autre a décidé de retranscrire.
Si j’autorise cela, c’est uniquement parce qu’il semble que la seule manière de communiquer avec le monde blanc soit par le biais des feuilles desséchées et sans vies d’un livre.
Mais peu importe finalement que mes mots atteignent ou n’atteignent pas des blancs. Ils ont déjà montrés à travers leur histoire qu’ils sont incapables d’entendre, incapables de voir, ils ne savent que lire (il y a bien sûr des exceptions, mais celles-ci ne font que confirmer la règle).
Je me soucis quelque peu de ces Indiens d’Amérique, étudiants et autres, qui commencent à s’européaniser via les universités et diverses autres institutions. Cette préoccupation reste au final sans grande importance, je l’admets. Certains peuvent décider de cultiver un esprit blanc dans une tête à la peau rouge ; il s’agit d’un choix individuel et je n’ai rien à voir avec ces personnes ; Qu’il en soit ainsi. Cela fait partie d’un long processus de génocide culturel, mené encore aujourd’hui par les blancs contre les Indiens.
Ma grande préoccupation concerne plutôt les Amérindiens qui choisissent de résister à ce génocide, mais qui s’égarent quant à la marche à suivre.
[…]
J’aimerai être clair sur un point bien précis.
Quand je parle des Européens, ou d’un « esprit Européen », je ne crois pas qu’il y ait d’un côté, un sous-produit culturel qui serait mauvais, résultat de plusieurs milliers d’années de développement d’une culture Européenne génocidaire et réactionnaire, et d’un autre côté, de nouvelles avancées intellectuelles révolutionnaires qui serait bonnes.
Je fais allusion ici aux théories marxistes et anarchistes, et plus généralement au « gauchisme ».
Je ne crois pas que ces théories puissent être séparées du reste de la tradition intellectuelle Européenne. Il s’agit bel et bien de la même éternelle rengaine.
C’est un phénomène déjà ancien. Newton, par exemple « révolutionna » la physique et les sciences soit-disant naturelles en réduisant l’univers physique à une équation mathématique linéaire. Descartes fit la même chose avec la culture, John Locke avec la politique, et Adam Smith avec l’économie. Chacun de ces « penseurs » s’empara d’un morceau de ce que la vie humaine compte de spirituel, pour le transformer en un code, une abstraction.
Ils ont continué là où la Chrétienté s’est arrêtée ; Ils ont laïcisé la religion Chrétienne, ou comme aiment le dire les intellectuels, « sécularisé ».
Ce faisant, ils ont permis à l’ Europe d’être plus efficace et plus prompte à s’imposer comme une culture expansionniste. Chacune de ces révolutions intellectuelles n’a finalement servi qu’à faire avancer la mentalité européenne toujours plus loin, et à extraire la merveilleuse complexité et spiritualité de l’univers pour la remplacer par une séquence logique : Un, deux, trois = Réponse !
C’est ce que les européens appellent couramment « l’efficacité ». Tout ce qui est mécanique est parfait ; ce qui semble fonctionner sur le moment – en l’occurrence, ce qui valide le modèle mécanique – sera considéré comme pertinent, même si ce n’est clairement pas le cas.
C’est la raison pour laquelle la « vérité » change si rapidement dans l’esprit Européen ; les solutions qui découlent d’une telle logique ne peuvent être que provisoires, temporaires, et doivent être continuellement abandonnées au profit d’autres solutions temporaires qui valident et maintiennent en vie ce modèle mécanique.
Hegel et Marx ne furent que des héritiers de la pensée de Newton, Descartes, Locke et Smith. Hegel – selon ses propres mots - acheva le processus de laïcisation de la théologie, et « sécularisa » la pensée religieuse à travers laquelle l’Europe comprend l’Univers. Puis, Marx retranscrit la pensée de Hegel en termes de « matérialisme », ce qui revient à dire que Marx – aussi selon ses propres mots - désacralisa complètement l’œuvre de Hegel.
Et c’est cela que certains considèrent comme un grand potentiel révolutionnaire en Europe.
Les Européens peuvent bien y voir quelque chose de révolutionnaire, mais les Indiens Américains n’y verront que le sempiternel dilemme Européen entre « être » et « avoir ».
[…]
Être est une proposition intellectuelle. Avoir est un acte matériel.
De par leurs traditions, les Indiens Américains se sont toujours efforcés d’être les meilleures personnes possibles. Une partie de ce processus, hier comme aujourd’hui, revient à rejeter l’enrichissement, et refuser la possession.
Le gain matériel est un signe de prestige faux et artificiel chez les peuples traditionnels, quand il est la « preuve que le système fonctionne » chez les européens.
Clairement il y a là deux visions du monde en opposition, et le Marxisme se pose très loin à l’opposé de la conception Amérindienne.
Ce qui en découle est intéressant, car ce n’est pas juste un débat intellectuel. La tradition matérialiste européenne de désacralisation de l’Univers est très similaire au procédé mental qui permet de déshumaniser une autre personne.
Et qui est expert dans la déshumanisation d’autrui ? Et pourquoi ?
Les soldats expérimentés apprennent à faire exactement ça, avant de retourner au combat. Les assassins font la même chose quand ils assassinent. Les gardiens de camps de concentration faisaient cela aussi avec leurs prisonniers. Les flics font pareil. Les patrons de grands groupes le font aux travailleurs qu’ils envoient dans les mines d’uranium, ou dans les fonderies.
Les politiciens le font avec tout le monde.
Il faut que ce stratagème soit constamment mis en œuvre par chacun de ces groupes, pour qu’il devienne finalement acceptable de tuer, ou tout au moins d'anéantir d’autres individus.
Un des 10 commandements chez les Chrétiens est « Tu ne tueras point ». Pas les humains en tout cas, c’est ce qui est sous-entendu. Le truc est donc de convertir les humains en non-humains. Il devient alors possible de proclamer que la violation de votre propre commandement est en fait une vertu.
En terme de désacralisation de l’Univers, la logique s’applique à l’identique et il devient alors vertueux de détruire la planète. Des mots comme « progrès » ou « croissance » sont employés comme des mots magiques, de la même manière que « victoire » et « liberté » sont généralement employés pour justifier toutes les boucheries qui découlent logiquement de la déshumanisation.
Par exemple, un investisseur immobilier pourra parler de « développement » d’un terrain, en ouvrant une carrière de gravier. Dans ce cas, le développement signifie la destruction totale et permanente du lieu. Mais, la logique européenne s’est enrichie de quelques tonnes de graviers, avec lesquelles encore plus de parcelles pourront être « développées » grâce à la construction de routes.
En dernier lieu, c’est l’Univers entier qui est offert – dans la logique Européenne – à ce genre de folies.
La chose peut-être la plus regrettable est que les européens ne semblent ressentir aucune perte. Après tout, leurs philosophes ayant enlevé toute spiritualité au réel, ils n’y a pas de gain pour celui qui souhaite simplement contempler la beauté d’une montagne, d’une lac, ou d’un autre être vivant.
La satisfaction se mesure en termes de gain matériel. La montagne devient donc du gravier, l’eau du lac sert de liquide de refroidissement à une usine, et les gens sont envoyés dans ces moulins à endoctrinement que les européens appellent « écoles ».
Chaque nouvelle pièce de ce progrès se paye très cher dans le monde réel.
Prenez par exemple l’énergie nécessaire pour faire tourner toute la machine industrielle. Il y a un peu plus de deux siècles, pratiquement tout le monde utilisait du bois –un élément renouvelable et naturel – comme source d’énergie, la même que pour se chauffer et cuisiner. Vint ensuite la révolution industrielle, et le charbon devint alors le combustible prédominant, alors que la production industrielle devint un impératif social pour l’Europe.
La pollution commença à devenir un problème dans les villes, alors que partout on éventrait la terre afin de fournir ce charbon. Plus tard, c’est le pétrole qui devint le principal combustible, alors que l’outil de production se modernisait, à travers une série de « révolutions » scientifiques. La pollution s’accrut alors de manière dramatique et personne ne sait aujourd’hui ce que sera vraiment le coût environnemental à long terme de toute cette extraction de pétrole.
Il y a aujourd’hui une crise énergétique, et l’atome est imposé comme l’alternative absolue.
On peut maintenant compter sur les capitalistes pour développer l’uranium uniquement au rythme qui leur permettra un profit régulier maximum.
C’est ça leur seule éthique : ils gagnent sur tous les tableaux, jusqu’à vouloir encore gagner du temps...
Les marxistes, d’un autre coté vont vouloir développer l’énergie nucléaire aussi vite que possible, au prétexte qu’il s’agit de l’énergie la plus « efficace » que l’on ait sous la main.
C’est leur éthique à eux, et au final j’ai grand peine à voir l’avantage de l’une sur l’autre.
Encore une fois, le Marxisme reste au cœur de la tradition européenne. C’est le même refrain éculé.
On pourra en déduire une règle systématique. Vous ne pouvez pas juger de la nature réelle d'une doctrine révolutionnaire européenne uniquement sur la base des bouleversements qu’elle propose au sein des structures de pouvoir et de la société européenne.
Vous ne pouvez la juger qu’au regard de ces effets sur la vie des non-européens.
En effet, dans l’histoire européenne toutes les Révolutions n’ont servi qu’à renforcer la tendance qu’a l’Europe à exporter la destruction vers d’autres peuples, d’autres cultures, jusqu’à l’environnement.
Je mets au défi n’importe qui de me trouver un exemple ou cela ne fut pas le cas.
C’est dans ce contexte que nous, en tant que peuple Amérindien, nous sommes sollicités pour adhérer a cette « nouvelle » doctrine européenne Révolutionnaire qu’est le Marxisme, et priés de croire qu’elle inversera les effets négatifs de l’Histoire européenne sur notre existence. Le pouvoir changerait de main, et cela devrait bénéficier à tout le monde.
Mais qu’est-ce que cela signifie, véritablement ?
En ce moment même, nous qui vivons sur la réserve de Pine Ridge, nous vivons en fait sur ce que la société des blancs a déclaré « zone nationale sacrifiée ».
Cela signifie que nous avons de grosses réserves d’Uranium, et que la culture blanche a besoin de ce minerai comme source d’énergie. Pour l’industrie minière, optimiser le processus, de l’extraction jusqu’au traitement de cet uranium signifie en dernier lieu rejeter les déchets ici même, sur le site d’origine. Ces déchets sont radioactifs et rendront toute la région inhabitable à jamais. C’est ce que l’industrie, et la société blanche qui a créé cette industrie, considèrent comme un prix « acceptable » au développement énergétique.
Ils prévoient par ailleurs de prélever la totalité des eaux souterraines dans cette partie du sud-Dakota, dans le cadre de ce processus industriel, ce qui finira de rendra la région complètement invivable.
La même chose est en train de se dérouler en pays Navajo et Hopi, ainsi qu’en pays Cheyenne et Crow, et d’autres sont sur la liste. Trente pour cent du charbon de l’ouest et la moitié des réserves d’uranium aux USA se trouvent être sous des réserves Indiennes, c’est donc un sujet d’importance capitale.
Nous ne voulons pas être transformés en « zone nationale sacrifiée ».
Nous ne voulons pas être transformés en « Peuple national sacrifié ».
Les coûts de ces processus industriels ne sont pas acceptables pour nous. Extraire de l’uranium ici, et pomper toute l’eau, cela tient de la poursuite du génocide, ni plus ni moins.
Supposons maintenant que dans notre résistance à l’extermination, nous commencions à chercher des alliés (nous en avons). Supposons encore que nous prenions le Marxisme Révolutionnaire au pied de la lettre : que son but ultime ne soit rien de moins que le renversement de l’ordre capitaliste européen à l’origine de cette menace sur notre existence. Cela pourrait sembler une alliance pertinente offerte aux Amérindiens. Comme le rappellent certains marxistes, ce sont bien des capitalistes qui nous ont déclarés en « Zone Nationale Sacrifiée ».
C’est vrai, d’un certain point de vue, mais comme je l’ai déjà dit, ce n’est qu’un jeu de dupe.
Le marxisme Révolutionnaire n’a pour autre but que la poursuite et le perfectionnement de cette industrie qui nous détruit tous. Il n’ambitionne que de redistribuer le produit – disons, l’argent - de cette industrialisation à une plus grande partie de la population. Il propose de prendre la richesse au capitaliste et de la faire passer à la classe inférieure, mais pour que cela soit possible, il faut maintenir un système industriel.
Les systèmes hiérarchiques au sein de la société Européenne s’en trouveront modifiés, mais encore une fois, les conséquences sur la vie des Amérindiens ici, et des non-Européens de par le monde resteront strictement les mêmes.
On reste dans le même schéma que lorsque le pouvoir passa de l’église aux riches investisseurs durant la soi-disant révolution bourgeoise. La société européenne s’en trouva assez légèrement modifiée, mais sa conduite envers les non-européens continua à l’identique.
Vous apprécierez tout particulièrement ce que la Révolution Américaine de 1776 apporta aux Amérindiens.
Toujours la même vieille rengaine. Le marxisme Révolutionnaire, comme toute autre forme de société industrielle, cherche à « rationaliser » les hommes en fonction de ce qu’exige l’industrie – pour le maximum d’industrie, le maximum de production.
C’est une doctrine qui a un profond mépris pour la tradition spirituelle amérindienne, pour nos cultures et nos modes de vie.
Marx lui-même nous appelait « pré capitalistes » et « primitifs ». « Pré capitaliste » signifie simplement qu’à ses yeux, nous finirions par découvrir le capitalisme et devenir capitalistes ; nous sommes donc économiquement attardés, selon le Marxisme. La seule manière pour un Amérindien de prendre part à une Révolution Marxiste serait de devenir ouvrier, ou « prolétarien ». Marx était très clair sur le fait que cette révolution ne pourrait avoir lieu qu’au prix de la lutte du prolétariat contre la classe dominante, et que l’existence d’un système industriel est une condition préalable à la réussite d’une société communiste.
Je crois, moi, qu’il ne s’agit de rien de plus qu’une question de mots. Chrétiens, capitalistes, Marxistes. Tous ont été « révolutionnaires » dans leur tête, mais aucun d’entre eux ne voulait vraiment parler de révolution.
Leur véritable intention, c’est la continuation.
Ils font le nécessaire pour que la culture européenne continue à prospérer et satisfaire son appétit illimité.
Des lors que nous, Amérindiens, épouserions la cause Marxiste, cela reviendrait à souscrire au sacrifice de notre terre ; ce serait un pur et simple suicide culturel et nous deviendrions des indiens industrialisés et européanisés.
J’en viens à me demander si malgré tout, je ne suis pas trop sévère.
Le marxisme a déjà une longue histoire ; cette histoire vient-elle confirmer ou infirmer mes craintes ?
J'ai regardé donc le processus d’industrialisation en union Soviétique depuis 1920, et je constate que ces Marxistes ont fait en 60 ans ce que la Révolution industrielle anglaise a fait en 300 ans. Je constate surtout que le territoire de l’URSS était habité par un grand nombre de populations tribales, qui ont finalement toutes été sacrifiées pour faire place aux usines. Les Soviétiques parlent de cela sous le nom de « question nationale » : question de savoir si ces tribus avaient simplement le droit d’exister. En l’occurrence ils décidèrent que ces tribus étaient un sacrifice acceptable sur l’autel de l’industrialisation.
Je regarde en Chine et je vois exactement la même chose. Je regarde au Vietnam, et je vois des Marxistes imposer encore ce même ordre industriel aux populations tribales qu’ils délogent de leurs montagnes.
Je les vois mettre la main sur une centrale nucléaire abandonnée par l’armée Américaine. L’ont ils démantelée ? Non, ils s’en servent pour eux-mêmes.
Je vois encore la Chine faire exploser des bombes atomiques, lancer des réacteurs nucléaires, lancer aussi un programme spatial dans le but de coloniser et exploiter des planètes de la même manière que les européens ont colonisé et exploité la planète entière.
Encore et toujours la même rengaine, mais avec cette fois un tempo plus rapide.
J’entends aussi ces scientifiques soviétiques dire que quand il n’y aura plus d’uranium, on trouvera des alternatives.
C’est très intéressant ce type d’affirmation. Ont-ils la moindre idée de l'alternative dont il s’agira ? Pas le moins du monde ; ils ont simplement foi en la science.
Et j’entends encore des Marxistes révolutionnaires me dire que la destruction de l’environnement, la pollution et les radiations finiront par être contenues, puis ils foncent tête baissée, sur la base de cette conviction.
Savent-ils seulement comment ces choses seront contrôlées ? Ils n’en ont aucune idée bien sûr, ils ont juste foi en la science. Ce genre de “foi” fait office de religion pour les européens. La science est devenue la nouvelle religion des capitalistes et des communistes ; ces deux-là sont inséparables ; ils font parties intégrantes de la même culture.
En théorie comme en pratique, marxisme et capitalisme exigent des peuples non-européens qu’ils abandonnent complètement leurs valeurs, leurs traditions, leurs identités culturelles.
Nous finirons donc tous accros à la science industrielle, dans de telles sociétés.
Je ne crois pas que ce soit le capitalisme qui soit intrinsèquement responsable de la situation où les Indiens d'Amérique ont été déclarés « sacrifice national ».
On reste en fait dans la pure tradition européenne ; c’est la culture européenne elle-même qui est responsable.
Le marxisme est la continuation de cette tradition, pas la solution. S’allier avec cette idéologie, c’est s’allier avec les mêmes forces qui nous ont déclaré « pertes acceptables ».
Une autre voie est possible.
Il y a la voie de la tradition Lakota, et la voie des peuples Amérindiens.
C’est la voie qui comprend que les hommes n’ont pas le droit de détruire la terre, qu’il y a des forces bien au-delà de ce que peut saisir un esprit européen, et que les humains doivent être en harmonie avec l’équilibre naturel ou bien la nature se chargera d’éliminer la cause du déséquilibre.
Une domination disproportionnée des hommes – cette arrogance typiquement européenne qui les conduit à se croire au-dessus de toute chose – ne conduira qu’au chaos, et au final, à un grand réajustement qui remettra ces humains arrogants à leur place en leur faisant apprécier le vrai goût des choses concrètes, le goût des choses qu’ils ne contrôleront jamais. Alors, l’harmonie reviendra.
Pas besoin de théories révolutionnaires pour comprendre ça ; c’est bien au-delà de ce que peuvent maîtriser les hommes. Les sociétés traditionnelles de par le monde le savent bien, et ne viennent pas élaborer des grandes théories à ce sujet.
La théorie est abstraite, notre savoir est réel.
L’essence de la foi européenne – y compris sa foi en la science – peut être comprise comme la croyance ultime que l’homme EST un Dieu.
L’Europe s’est d’ailleurs toujours cherchée un Messie, que ce soit l'homme Jésus Christ, l'homme Karl Marx ou l'homme Albert Einstein.
Les amérindiens savent bien que c’est complètement absurde. L’homme est la plus faible des créatures, si faible que les autres créatures doivent offrir leur chair afin qu’il survive.
Les êtres humains ne peuvent survivre qu’en étant rationnels, puisqu’ils n’ont pas les griffes et les crocs que les autres animaux utilisent pour obtenir leur nourriture. La rationalité peut néanmoins devenir une malédiction quand les hommes oublient l’ordre naturel des choses à un point qu’aucune autre créature ne pourrait atteindre.
Le loup n’oublie jamais sa place dans l’ordre naturel. Les amérindiens peuvent éventuellement l'oublier.
Les européens l’oublient systématiquement.
Nous faisons une prière de remerciement au cerf et aux êtres qui nous entourent, de nous permettre de manger leur chair ; les européens se contentent de considérer cette chair comme leur privilège, et le cerf comme une créature inférieure.
Après tout, ils se considèrent d’essence divine, de par leur rationalité et leur science toute puissante. Et Dieu est l’Être suprême ; tout le reste est inférieur.
Toute la tradition européenne, Marxisme inclu, s’élabore en défiant l’ordre naturel régissant toutes choses. La Terre a été violée, les forces de la nature bafouées, et cela ne peut pas durer éternellement. Aucune théorie ne peut remettre en cause cette simple vérité. Notre Terre maternelle se vengera, l’environnement se vengera, et les agresseurs finiront par être éliminés.
Les choses reviennent inévitablement au point où elles ont démarré.
C’est ce qui s’appelle une Révolution.
C’est aussi une prophétie de mon peuple, du peuple Hopi, et de bien d’autres peuples. Les amérindiens ont essayé d’expliquer cela aux européens depuis des siècles, mais comme je l’ai dit plus tôt, ces derniers ont prouvé à maintes reprises qu’ils sont incapables d'écouter.
L'ordre naturel prévaudra, et les agresseurs disparaîtrons, de la même manière que les cerfs meurent quand ils brisent l'équilibre d'une région en la sur-peuplant. Ce n'est qu'une question de temps avant que ce que les Européens appellent une « catastrophe majeure globale » arrive. Il appartient aux Amérindiens comme à tout être de survivre.
Survivre voudra dire, essentiellement, résister. Résister, non pas pour faire un coup d’état ou prendre le pouvoir, mais résister parce qu’il est normal de refuser l'extermination.
Nous ne voulons pas de prise de pouvoir sur les institutions blanches ; nous voulons leur disparition.
C'est ça la révolution.
Les Indiens d'Amérique sont toujours en phase avec ces réalités que sont nos prophéties et les traditions de nos ancêtres. Nous tirons notre savoir de nos aînés, de la nature et des forces qui la traversent. Quand la catastrophe sera passée, nous les peuples amérindiens continuerons à vivre sur cette planète. Je me fiche de savoir si ce n'est plus que par une poignée d'entre nous, réfugiés dans les hauteurs des Andes. Les Indiens Américains vivrons ; l'équilibre sera rétabli.
C'est ça, une révolution.
J'aimerais maintenant être très clair sur un point précis, si cela ne l'était pas déjà.
Comme beaucoup de choses prêtent facilement à confusion ces temps-ci, je vais encore insister lourdement.
Lorsque j'utilise le terme « européen », je ne fais pas particulièrement référence à une couleur de peau ou à un capital génétique particulier. Je fais référence à un état d'esprit, une vision du monde qui est le produit de l'évolution de la culture européenne. La même chose est vraie pour les Indiens d’Amérique ou pour les membres de n'importe quelle culture. Il est possible pour un Amérindien de partager les valeurs ou la vision du monde européenne. Certains appellent ces gens des « pommes » - rouge à l'extérieur, blanc à l'intérieur.
[...] Ce ne sont au fond que des « êtres humains », et je ne pense pas qu’on devrait les désigner autrement.
Ce que je veux mettre en avant ce n'est pas une position raciale, mais une position culturelle. Ceux qui prônent et défendent la culture européenne et son industrialisme sont mes ennemis. Ceux qui y résistent et qui luttent contre sont mes alliés et les alliés des Amérindiens. Je me contrefiche de la couleur de leur peau.
Le terme « caucasien » désigne les personnes de race blanche.
Je m'oppose à la perspective européenne. Les communistes vietnamiens ne sont pas exactement ce que l'on pourrait appeler des caucasiens, mais leur mentalité est devenue similaire à celle d'européens. La même chose est vraie des Chinois communistes, des Japonais capitalistes, ou des Bantu catholiques [...].
Il n'y a pas de racisme ici, uniquement une analyse de ce qui fonde et anime l'esprit d'une culture.
Marx dirait que je suis un « nationaliste culturel ».
Je travaille d'abord avec mon peuple, les Lakota, parce que nous avons la même vision du monde, et partageons les mêmes préoccupations. Au-delà, je travaille avec les populations amérindiennes traditionnelles, là encore du fait de visions et préoccupations communes.
Au-delà, je travaille avec quiconque a pu expérimenter l'oppression européenne, et résiste à son totalitarisme culturel et industriel.
Clairement, ce dernier cas inclut aussi des Caucasiens de souche qui luttent contre les normes dominantes de la culture européenne. Ceux qui me viennent spontanément à l'esprit sont les Irlandais ou les Basques, mais ils y en a sûrement beaucoup d'autres.
Je travaille pour mon peuple, pour ma communauté. C'est ce que devrait commencer à faire les autres peuples qui ne partagent pas les perspectives européennes.
[…]
Pour conclure, je veux redire que le Marxisme est la dernière voie vers laquelle je voudrais orienter qui que ce soit. Le marxisme est étranger à ma culture, autant que le sont le capitalisme et le christianisme.
Je ne voudrais d'ailleurs orienter personne vers quelque idéologie que ce soit.
D'une certaine manière, j'ai tenté d’être un « leader », dans le sens ou les média blanc l'entendent, à l'époque où le Mouvement Amérindiens était encore une jeune organisation.
Ce fut une erreur que je ne ferais plus. On ne peut pas prétendre être tout pour tout le monde. Je ne laisserai plus mes ennemis m'utiliser de la sorte.
Je ne suis pas un leader. Je suis un patriote Oglala Lakota.
C'est tout ce qu'il m'importe d'être.
Et je suis très heureux d'être ce que je suis.
- Russell Means
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Traduction : Sébastien Debande
Merci à Julien D.
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