Conflits sociaux : la logique de l’affrontement
Diviser pour mieux régner. Telle pourrait être la devise de la présidence Sarkozy. Bien loin des dispositions constitutionnelles qui stipulent que le chef de l’Etat est le garant de l’unité nationale, Nicolas Sarkozy à travers son prisme de vision binaire du monde continue à opposer les Français entre eux. Les riches contre les pauvres, les actifs contre les inactifs, les salariés dits privilégiés contre les autres obligatoirement du privé, sans oublier les étudiants, cette jeunesse qui incarne la France de demain. La déchirure se fait profonde. Les Français ne s’aiment plus et plébiscitent le chacun pour soi au détriment du jeu des solidarités collectives. Il est urgent de redresser la barre.
Alors que Nicolas Sarkozy bénéficie d’un contexte exceptionnel, une élection incontestable et incontestée, un sentiment largement partagé de réformer le pays, il bute. La France n’est pas réticente à l’effort même si elle l’est culturellement aux réformes. En revanche, les Français sont viscéralement attachés à la notion de justice sociale. La réforme présentée “des régimes spéciaux” simplifie outrageusement la problématique en omettant volontairement d’évoquer publiquement le niveau de rémunération des agents, leur taux de cotisation plus élevé aux caisses de retraite, sans oublier l’absence de prise en compte des primes dans le calcul de leur retraite.
Situation ubuesque au mieux, dramatique au pire où l’usager est pris en otage par des salariés certes mais aussi, par un gouvernement qui refuse de négocier tant que la grève n’est pas suspendue. Une drôle de stratégie qui n’aurait pas permis d’arrêter beaucoup de conflits si les négociations entre belligérants ne pouvaient se faire qu’en période d’armistice.
Cette réforme évacue en outre singulièrement d’autres régimes spéciaux à haute valeur symbolique, tels ceux des parlementaires et des militaires. Selon Bruno Masure, alors que 1 100 000 retraités de la fonction publique se partagent 5 milliards d’euros, ce sont 8,2 milliards qui sont budgétés pour 513 000 pensionnés militaires. Concrètement, un sous-officier peut partir en retraite après quinze années de service, en cumulant sa pension avec une nouvelle activité. Pour les officiers, vingt-cinq années de cotisation suffisent, avec des possibilités de cumul plus compliquées. Exemple parlant, un général peut prétendre à la retraite à partir de 57 ans avec une pension de 4 000 € en moyenne à laquelle s’ajoute une enveloppe, au titre de la reconversion. Comme le faisait remarquer la Cour des comptes, en 2004, un militaire qui part au bout de vingt-six ans de service a la même retraite qu’un civil après trente-trois ans.
Attention pour autant au syndrome Sarkozy et aux conclusions hâtives. Lorsque des régimes spéciaux ont été acquis, c’est parce que souvent en amont ils s’expliquaient ou se justifiaient par des contextes historiques particuliers. Le schématisme est le meilleur ennemi de la raison. Toute remise à plat se doit d’en tenir compte. Il est suicidaire de laisser se développer le sentiment que la majorité de la société “s’est faite tondre” pendant des années par des catégories particulières, de vilains profiteurs.
La question des retraites est une question sensible car elle est un chemin obligé. En dépit d’une politique nataliste, la France vieillit, devient frileuse, joue à se faire peur et se droitise. La durée de vie s’allonge et avec elle celle de la période de retraite. Curieusement notre pays doute que cette situation soit un bienfait. Vivre plus longtemps oui mais, dans quelles conditions ? Peur de la maladie, peur d’un faible niveau de retraite (minimum vieillesse 2007 : 640 €) d’autant que les 40 annuités de travail ne seront pas atteintes par tous. Peur de l’avenir tout court.
Les difficultés économiques actuelles ne doivent pas donner lieu à un partage de la misère mais à des efforts en vue d’une élévation collective. Le niveau de productivité du travailleur français est l’un des meilleur du monde. Au coeur de l’Europe, la France a des atouts. Nous ne sommes pas subitement condamnés à la décadence, à la régression sociale à accepter les lendemains qui déchantent et à travailler toujours plus longtemps.
Nos dirigeants ne doivent pas se contenter d’être des oiseaux de mauvaise augure, mais être aussi capables d’esquisser des perspectives et de rassurer. Tirer le pays vers le haut, voila ce qu’attendent les Français. L’équipe France est capable du meilleur, de se transcender. Elle l’a démontré dans le passé, dans d’autres difficultés notamment au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. A condition d’avoir un coaching à la hauteur, qui sache trouver les mots, privilégier la discussion et la persuasion à la baïonnette. La première voie est certes un peu plus longue, mais ô combien plus efficace.
A l’heure actuelle, selon un sondage LCI-Le Figaro, 71 % des Français attendent une attitude ferme du gouvernement. Attention toutefois au retournement si l’opinion a le sentiment que le gouvernement pousse à la grève dans l’objectif d’un bras de fer destructeur qui ne viserait qu’à éradiquer toute opposition syndicale pour le reste du mandat.
Et l’Université dans tout ça ? Comme l’écrit Olivier Picard dans Les Dernières Nouvelles d’Alsace “(...) A coups de petites lâchetés de ce genre et de grandes maladresses des forces de l’ordre qui ont livré une image brutale des évacuations, le conflit universitaire s’embourbe dans l’absurdité la plus complète. Le voilà coincé dans la file d’attente sociale jusqu’à ce que le dossier des régimes spéciaux soit digéré, et la journée de la fonction publique passée. Une paralysie consternante.” Consternante comme les images de cette jeunesse coupée en deux, invitée à se haïr mutuellement. Diviser, toujours, pour mieux régner encore.
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