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Accueil du site > Tribune Libre > Considérations sur notre « guerre »

Considérations sur notre « guerre »

Il est naturel, après les attentats du 13 novembre, de sentir au plus profond de soi du ressentiment, de la colère et de la rage. Je n'échappe pas à cette fureur intérieure qui ne demande qu'à exploser. Cependant, nous devons garder la tête froide. Et même plus encore que d'habitude, en raison de la gravité des conséquences que pourraient provoquer des décisions prises dans la précipitation. 

Si j'écris cela, c'est précisément parce que je ne suis pas certain que nous la gardions, la tête froide. Sans minimiser le moins du monde ce qui s'est passé, il est quand même étonnant que le gouvernement se soit empressé d'employer une rhétorique martiale, chacun répétant à qui mieux mieux que, désormais, nous étions en guerre. Remarquons d'abord que, si c'est bien de Daesh dont parle le gouvernement, alors la France était déjà en guerre, puisque les bombardements aériens français précèdèrent les attentats de Paris. J'ajoute qu'en matière de guerre, la France a ses références. Et si ce qui s'est produit est absolument affreux, lâche et condamnable, cela ne peut soutenir en revanche la moindre comparaison avec ce que représente le coût et l'ampleur d'une véritable guerre. Il manque d'ailleurs, dans les mots et le ton employés par le gouvernement, un certain sens du tragique, c'est à dire la nette perception que ce qui se joue va nous coûter cher ("du sang, des larmes et de la sueur", pour reprendre la formule de Churchill). Enfin, je suis persuadé qu'un peuple véritablement en guerre trouverait plutot supportable la "guerre" vécue par les Français. J'ai conscience, bien sûr, que mes propos peuvent choquer. Si toutefois vous voulez me comprendre sans me condamner d'emblée moralement, songez simplement à ces images de la défaite française de juin 1940, ou bien aux campagnes militaires de 1914-1918. Et bien je vous l'affirme : voilà ce qu'est la guerre dans sa vérité élémentaire, et je ne souhaite à personne de vivre une chose aussi terrifiante.

Mais alors, que vivons-nous ? Notre pays a subi, c'est indéniable, une attaque terroriste de la part d'un "Etat" autoproclamé, sur une base territoriale qui ne lui appartient pas et dont on ne sait pas, d'ailleurs, s'il la conservera. Cet "Etat" déteste par principe nos valeurs et notre mode de vie. Et si le choix s'est porté sur nous, Français, c'est pour nous punir de notre ingérence dans la région du monde où il mène son combat. Mais pour que le tableau soit complet, il faut ajouter que les attentats, certes revendiqués par Daesh, ont été perpétrés par des nationaux qui lui ont fait allégeance (en somme, vu depuis chez nous, des sales traitres). Si c'est une guerre, au sens où des actes violents ont été perpétrés contre nous, sur notre sol, alors c'est une guerre d'un genre très spécial, une guerre qui ne menace pas notre intégrité territoriale, qui ne met pas en jeu notre survie économique, menée par et contre une organisation politico-religieuse beaucoup plus faible que nous et avec laquelle nous n'imaginons pas pouvoir signer (en leur défaveur) un acte de capitulation ou, plus loufoque encore, un traité de paix. En vérité, l'attaque qui nous est faite constitue davantage une manoeuvre desespérée, une tentative de destabilisation consistant à frapper peu (faute de moyens) mais frapper juste (impact psychologique maximal mêlant cruauté et sidération par l'implication de nationaux), au coeur d'une des plus glorieuses capitales occidentales.

C'est moins une guerre au sens classique du terme - une guerre d'Etat à Etat - qu'un "coup" que fomenterait une minorité dissidente au sein d'un empire beaucoup plus puissant que lui. C'est, en quelque sorte, le "coup" terrible du faible jouant au fou, parce qu'il sait très bien que l'expansion du chaos est le seul moyen, pour lui, de poursuivre son combat. Le but véritable de Daesh n'est donc pas de nous faire sérieusement la guerre, une guerre qu'il n'a pas les moyens de mener à bien. Il est de faire en sorte que nous la lui fassions parce que, si Daesh ne peut pas raisonnablement l'emporter, son existence n'en dépend pas moins, étroitement et directement, de la guerre elle-même.

Quoi qu'il en soit, nous y sommes. "En guerre". Le gouvernement le répète, les médias avec eux, et le peuple français meurtri dans sa chair et dans son âme suit le mouvement. Mais, est-il seulement possible de gagner une telle guerre ? Songeons que Daesh est lui-même le résultat d'une invasion qui a lamentablement échoué. Une invasion qui a impliqué de nombreuses troupes au sol. Une invasion conduite par la première puissance mondiale. Admettons que nous débarquions à nouveau en Mésopotamie, avec des troupes. Nous tuerions certes des milliers de Jihadistes, nous détruirions l'organisation proto-étatique dont ils se sont dotés. Nous crierons victoire, comme les Américains entrant dans la capitale irakienne. Et après ? Nous savons que cette victoire trainerait dans son sillage son immense lot de ressentiment, d'humiliation et de haine envers nous. Nous risquerions fort d'apporter par la guerre le terreau fertile du Jihadisme que nous aurions prétendu assécher. Notre violence, d'abord heureuse et salvatrice, annoncerait pour demain un nouveau monstre qui porterait un autre nom que Daesh, mais qui n'en poursuivrait pas moins ses attaques terroristes dans les villes occidentales avec alors, c'est à peu près certain au vu des lignes de fracture de notre société, le renfort de davantage de nationaux kamikazes et, in fine, davantage de peurs et de crispations laissant présager un glissement, chez nous, vers un régime autoritaire. Nous n'aurions rien gagné. Retour à la case départ, mais en pire, avec un ennemi au coeur affaibli mais qui aurait réussi à métastaser. Il faut ajouter que la situation géopolitique est tellement complexe dans cette région du monde, que nous ne pouvons connaître et apprécier à l'avance les conséquences d'une telle intervention sur l'ordre politique régional. 

A considérer de près ce que je viens d'exposer, je me demande, sans en être certain car enfin l'affaire est compliquée, si l'intérêt à long terme de mon pays est bien de s'embarquer dans ce qui ressemble à un engrenage aux gains hypothétiques, voire aux conséquence funestes. Si réagir immédiatement aux attentats de Paris semblait indispensable, faut-il aujourd'hui pousser la logique de guerre jusqu'à son terme ? Et si, fondamentalement, il ne semble pas possible, même par la guerre, d'annihiler le terrorisme religieux, la sagesse ne consiste-t-elle pas à en accepter le risque, la mort dans l'âme, en mobilisant toute la batterie des moyens anti-terroristes pour éviter bien sûr un maximum d'attentats ? Le maintien d'une paix précaire chez soi ne vaut-il pas mieux que l'extension du domaine du chaos avec ses possibles implications internes ?

A suivre...


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6 réactions à cet article    


  • njama njama 25 novembre 2015 10:50

    Damas:la réaction de l’Occident au terrorisme « trop peu et trop tard »

    Les autorités syriennes ont jugé mardi que la réaction de l’Occident face au « terrorisme » était « trop peu et trop tard » même si elles ont souhaité qu’une large alliance se constitue pour annihiler ce « cancer ».
      
    « J’espère que les puissances internationales vont agir ensemble et mettre fin à ce cancer mais (...) la réaction de l’Occident, c’est trop peu et trop tard », a affirmé à l’AFP Bouthaina Chaabane, conseillère du président syrien Bachar al-Assad.
      
    « C’est seulement quand le terrorisme a frappé Paris que le président (français François) Hollande a commencé à penser » à constituer une alliance, a-t-elle dit en allusion à la coordination inédite entre la France et la Russie contre la milice wahhabite takfiriste Daesh (Etat Islamique-EI) après les attentats meurtriers de Paris le 13 novembre.
      
    Mme Chaabane a toutefois exprimé l’espoir que M. Hollande « réussira à mettre sur pied une alliance avec la Russie, les Etats-Unis et d’autres pays contre Daesh ».
    [...]
    « Dès 2012, le président Assad a dit que le terrorisme était très dangereux et (que) si le monde ne nous aidait pas, cela s’étendrait à toute la région et au monde (...) mais l’Occident ne se préoccupe que de ses citoyens », a souligné Mme Chaabane.
      
    « Mais que dire de nos citoyens qui sont tués depuis quatre ans. Nous criions au monde au sujet de ce terrorisme qui frappait chacune de nos villes et chacun de nos villages. Sur ce sujet, l’Occident n’a pas montré son leadership. Si l’Occident veut être respectable, il devrait montrer son leadership et considérer chaque vie humaine comme précieuse », a-t-elle ajouté.
    ...
    http://www.almanar.com.lb/french/adetails.php?fromval=1&cid=18&frid=18&eid=269828


    • Sarah 25 novembre 2015 14:02

      Vous devez garder la tête froide et éviter colère, rage et précipitation. 

      Or vous ne la gardez pas.


      Ce qui vous trompe est que cette invasion n’est pas classique comme celles des guerres mondiales du XXe siècle mais asymétrique à laquelle répond l’Occident de manière classique, illogique, erratique, désunie, sans plan alors que l’ennemi est patient, méthodique et sûr de lui.


      • Sarah 25 novembre 2015 14:03

        Pour faire la guerre et espérer la gagner, il faut d’abord savoir qui est l’ennemi !


        L’ennemi s’est annoncé lui-même : lisez attentivement sa revendication


        Si vous vous refusez à écouter ce qu’il dit lui-même et à analyser comment il procède et comment il progresse jusqu’à présent inexorablement, vous perdrez.


        • njama njama 25 novembre 2015 14:43

          L’ EI, État islamique est né en Irak après l’invasion américaine de 2003 le conflit en Syrie n’a rien à voir avec la naissance de ce monstre ...


          • njama njama 25 novembre 2015 16:13

            Est-ce bien une « guerre » ?
            crime de guerre ?
            armée de terroristes ?
            Ceci n’est pas une « guerre » ?

            J’adhère au point de vue de David Van Reybrouck, écrivain et historien néerlandais qui interpelle dans une Lettre parue dans Le Monde le président français sur le champ lexical guerrier de son discours, samedi 14 novembre, lendemain des attentats qui ont endeuillé Paris. Et sur la surenchère que cela pourrait entraîner.
            « Monsieur le Président, vous êtes tombé dans le piège ! »

            Monsieur le Président,

            Le choix extraordinairement irréfléchi de la terminologie que vous avez utilisée dans votre discours de samedi après-midi [14 novembre 2015], où vous répétiez qu’il s’agissait d’un « crime de guerre » perpétré par « une armée terroriste » m’a interpellé. Vous avez dit littéralement :

            « Ce qui s’est produit hier à Paris et à Saint-Denis, près du Stade de France, est un acte de guerre et, face à la guerre, le pays doit prendre les décisions appropriées. C’est un acte de guerre qui a été commis par une armée terroriste, Daech [l’acronyme arabe de l’Etat islamique], une armée de terroristes, contre la France, contre les valeurs que nous défendons partout dans le monde, contre ce que nous sommes, un pays libre qui parle à l’ensemble de la planète. C’est un acte de guerre qui a été préparé, organisé, planifié de l’extérieur et avec des complicités intérieures que l’enquête fera découvrir. C’est un acte de barbarie absolue. »

            Si je souscris pleinement à la dernière phrase, force est de constater que le reste de votre discours est la répétition angoissante et presque mot à mot de celui que George W. Bush a tenu devant le Congrès américain peu après les attentats du 11-Septembre : « Des ennemis de la liberté ont commis un acte de guerre contre notre pays. »
            [...]

            Les conséquences de ces paroles historiques sont connues. Un chef d’Etat qui qualifie un événement d’« acte de guerre » se doit d’y réagir, et de rendre coup pour coup.Cela a conduit M. Bush à l’invasion de l’Afghanistan, ...
            [...]
            Et pourtant, que faites-vous ? Comment réagissez-vous moins de vingt-quatre heures après les attentats ? En employant la même terminologie que votre homologue américain de l’époque ! Et sur le même ton, bonté divine !

            Vous êtes tombé dans le panneau, et vous l’avez fait les yeux grands ouverts. Vous êtes tombé dans le panneau, Monsieur le Président, parce que vous sentez l’haleine chaude de faucons tels que Nicolas Sarkozy et Marine Le Pen vous brûler la nuque. Et vous avez depuis si longtemps la réputation d’être un faible. Vous êtes tombé dans le panneau.
            ...
            http://www.lemonde.fr/afrique/article/2015/11/16/monsieur-le-president-vous-etes-tombe-dans-le-piege_4810996_3212.html#


            • Christian Labrune Christian Labrune 26 novembre 2015 02:02

              « Le maintien d’une paix précaire chez soi ne vaut-il pas mieux que l’extension du domaine du chaos avec ses possibles implications internes ? »

              à l’auteur

              C’est très exactement ce qu’ont dû penser les socialistes après les attentats de janvier. Inutile de rien changer à une politique déjà désastreuse : on laissera les salafistes radicaliser les banlieues, on flattera les émirats qui les soutiennent dans cette tâche, on caressera dans le sens du poil l’électorat musulman en lui concédant tout de qu’il exige, même si cela bafoue les principes de la République. Surtout, pas de vagues ! Ca durera ce que ça durera, croisons les doigts. Mais après Charlie Hebdo, Montrouge et la porte de Vincennes, c’est pour finir le Bataclan. Quand je dis pour finir, c’est évidemment une façon de parler : nous ne sommes pas au bout de nos peines et si la même politique de gribouille de prolonge, on aura demain la guerre civile.

               Pauvres musulmans victimes de la stigmatisation de ceux qui n’ont pas l’habitude regarder le réel avec des lunettes roses ! Salauds de «  réacs », en revanche, qui voudraient nous faire croire que quand on égorge « un de ces sales Français », comme dit Abou Bakr al-Baghdadi, et en gueulant « Allah akbar ! » ça puisse avoir un quelconque rapport avec l’islam, religion « de paix et d’amour » comme savent très bien tous ceux qui n’auront jamais eu l’idée d’ouvrir le Coran.

              Pensez-vous qu’on puisse trouver encore avec les gentils citoyens de l’Etat coranique ce que les Canadiens appelaient naguère des « accommodements raisonnables » ? Quelques petits attentats de temps à autre ; un par semaine, pas plus, et pas toujours dans la même ville, bien évidemment : il faut être équitable. Pauvres terroristes, quand on y songe, victimes de l’apartheid social, et qui ont eu quelquefois une enfance un peu défavorisée. Il serait temps, peut-être, qu’on leur concédât un statut qui les valorisât quelque peu et leur donnât droit à ce « respect » auquel on aspire tant dans nos banlieues. Tant d’imbéciles ont un permis de chasse, pourquoi n’existerait-il pas, moyennant une petite redevance, un permis de tuer son semblable au nom d’Allah, et en toute légalité ? Evidemment, tout cela devrait rester dans des limites raisonnables et que j’hésite à préciser, n’étant pas juriste. Nos députés devraient pouvoir légiférer là-dessus ; ça c’est une chose qui ne leur a jamais fait peur et c’est leur boulot.

              Après tout, si les Français sont des veaux - et apparemment ils le sont-, leur destin naturel, n’est-ce pas la boucherie ? C’est du moins la leçon de réalisme qu’on doit pouvoir tirer, me semble-t-il, de la lecture de ce bel article.

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