Constituante : un mauvais combat
L'idée de convoquer une constituante semble être devenu un thème de convergence entre différents courants de la gauche radicale : de Nuit Debout à Jean-Luc Mélenchon et EELV, la rupture avec les institutions de la cinquième République apparaît comme un axe de campagne et/ou de revendication fort en vue des prochaines élections. Est-ce véritablement une bonne idée ?
Dans l'absolu, convoquer une constituante, c'est redonner la parole au peuple, qu'on choisisse de la désigner par une élection ou par un tirage au sort. C'est intrinsèquement une idée plutôt sympathique.
En outre, les institutions de la cinquième République ne sont effectivement pas satisfaisantes, que l'on envisage les pouvoirs exorbitants du Président et de façon plus large de l'exécutif, de l'absence du référendum d'initiative populaire ou du manque de représentativité des élus - la liste n'étant pas loin s'en faut exhaustive. La proposition d'une constituante semble donc a priori pertinente pour rompre avec un système dont les tares sont manifestes
Pour autant, l'idée de convoquer une constituante ne me semble pas un combat à mettre en avant.
1) Une surévaluation du rôle des institutions
Il ne fait pas de doute que les institutions contribuent à modeler les comportements, et en l'espèce, les comportements des élus. Néanmoins, il ne faut imputer les travers notre système politique aux seuls institutions.
Le cas de l'Assemblée Nationale peut être considéré comme symptomatique. Il est incontestable que le gouvernement dispose de l'administration et que de ce fait, il empiète largement sur la capacité de l'Assemblée à élaborer des lois. Néanmoins, cette déficience résulte tout autant du fait que de nombreux élus cumulent les mandats et estiment devoir passer du temps dans leur circonscription afin d'être réélu. En d'autres termes, si l'Assemblée propose aussi peu de lois et si les votes s'y déroulent avec parfois une vingtaine de députés, c'est bien davantage le fait de pratiques qui se sont instaurées au fil du temps que des vices intrinsèques de la Constitution.
Inversement, si l'on observe ce qui se passe dans d'autres pays, avec des systèmes institutionnels très différents, présidentiel comme aux Etats-Unis, ou parlementaire comme en Allemagne ou au Royaume-Uni, leur nature très opposée n'a pas empêché ni les politiques ultra-libérales d'y être appliquées, ni une petite oligarchie de confisquer le pouvoir. Les institutions n'apparaissent ainsi pas comme un facteur particulièrement déterminant.
2) Des possibilités d'évolutions fortes dans le système existant
Pour s'en tenir aux aspects proprement institutionnels, la proscription du cumul des mandats ou l'introduction de la proportionnelle peuvent parfaitement être inscrites dans la loi dans le cadre de la constitution de la cinquième République. En outre, il est parfaitement envisageable de modifier la Constitution par référendum sur ces points précis sans modifier tout le texte.
De même, sur le terrain économique, il est parfaitement possible de bloquer les licenciements, par exemple par le biais d'une autorisation administrative, comme ce fut le cas jusqu'en 1986, ou d'effectuer des nationalisations comme cela s'est pratiqué entre 1981 et 1983.
Tout n'est certes pas possible dans le cadre institutionnel existant, mais il est possible de transformer la société de façon substantielle sans modifier le texte fondamental.
3) Un risque politique
Il est difficile et hasardeux de caractériser l'état de l'opinion à partir des consultations électorales, notamment du fait de l'abstention et du sens différent que peut revêtir un vote selon les circonstances.
Néanmoins, on ne peut ignorer le fait que le Front National a réalisé des scores importants lors des dernières consultations électorales. J'ai l'optimisme de penser qu'avec une plus forte participation, le vote FN serait nettement moins important en pourcentage.
Toutefois, ce vote traduit au moins partiellement un courant d'opinion que l'on ne peut négliger, et qui déborde largement sur les partis de la droite « républicaine ».
Dans ce contexte, qui peut garantir que la mise en place d'une constituante, quelles que soient les modalités de sa désignation aboutirait à un texte plus progressiste que celui que nous connaissons ? Qui peut assurer à coup sûr qu'un principe comme la préférence nationale ne s'y trouverait pas inscrit ?
Dans la conjoncture politique actuelle qui apparaît comme très droitière, la mise en place d'une constituante pourrait finalement aboutir à une dégradation de la situation. Sans une vague progressiste préalable, une telle initiative pourrait mal finir...
Par ailleurs, en dehors de la conjoncture politique actuelle, est-il vraiment pertinent, lorsque l'on souhaite rompre fondamentalement avec l'ordre existant, de faire rédiger une constitution en faisant place à l'adversaire ?
Certains supposent avec une certaine naïveté que 99% de la population est structurellement opposée à 1% de dominants. La différenciation sociale inhérente à nos sociétés permet d'en douter. Si cette opposition était vraie, il y a longtemps qu'un changement drastique aurait eu lieu, et ce malgré la propagande médiatique qui se heurte aux conditions réelles d'existence de nos concitoyens.
Dans ces conditions, il apparaît préférable de rédiger par des personnes bien choisies et faire valider le texte par référendum. Un minimum de sens stratégique devrait conduire à utiliser les mêmes procédés que De Gaulle, mais pour des objectifs inverses.
4) Une thématique peu porteuse électoralement
Mettre en avant la constituante dans la campagne des présidentielles à venir n'est pas à mon sens une bonne idée.
Les préoccupations de nos concitoyens se portent davantage sur le chômage, le logement ou la sécurité que sur les questions institutionnelles. On a le droit de considérer que c'est un tort, même si je ne partage pas ce point de vue.
Si l'on veut mobiliser les classes populaires et moyennes au tour d'une candidature, je suis convaincu que c'est sur le terrain économique et social qu'il faut mettre l'accent car c'est ce terrain qui permettra d'assurer la victoire.
Par ailleurs, pour convoquer une constituante, il faut d'abord remporter les élections, et à ce jour, la vraie gauche en est encore fort loin puisqu'avec des intentions de vote d'environ 15%, elle ne serait sans doute même pas en mesure d'obtenir des députés, et la présence au second tour de la présidentielle reste largement utopique. La constituante, c'est pour le moins mettre la charrue avant les bœufs...
Que faire ?
Un programme de transformation des institutions devrait se concevoir de la façon suivante.
En premier lieu, il faut effectuer la réforme essentielle en matière d'institution qui est la prohibition stricte du cumul des mandats et la faire valider par référendum, et ce dans les premiers mois.
En second lieu, il faut démontrer à la population la nocivité des institutions. Pour prendre un exemple, les nationalisations peuvent se heurter au droit de propriété, notamment dans le cas où aucune indemnisation ne serait accordée (les banques par exemple) ; certaines réformes fiscales peuvent également censurées en raison du caractère soi-disant "confiscatoire" de l'impôt, l'interdiction des licenciements sur le motif de la liberté d'entreprendre...
C'est votant des lois qui seront censurées par le Conseil Constitutionnel que l'on démontrera le caractère réactionnaire de la cinquième République, ce qui permettra à terme de convoquer une constituante dans des conditions garantissant une refondation progressiste des institutions.
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