Contre le Front National, choisissons d’être souverains !
Ce dimanche 25 mai, le Front National a obtenu près de 25% des voix aux élections européennes, contre seulement 6,34% en 2009, multipliant par huit le nombre de ses députés au Parlement de Bruxelles. Ceux-ci formeront le contingent le plus important parmi les « europhobes » ou « eurosceptiques », ceux qui se déclarent être en opposition avec une construction européenne fédérale.
Au cours de la semaine qui s’est écoulée, nombre d’articles ont été publiés pour exprimer l’effroi de leurs auteurs devant le résultat du scrutin. Tous disent : « la jeunesse mérite mieux », « j’ai mal à ma France et à mon Europe », « honte à la France, pays fascisant », et j’en passe. Ces cris de désespoir, qui se veulent sans doute des appels à la rébellion contre la « montée de l’extrême droite » en France, se sont, malheureusement, très souvent révélés être des vociférations sans lendemain. Dans la plupart des cas, on persiste à voir le vote pour le Front National comme un vote de contestation au mieux, fasciste au pire ; on privilégie la négation d’une réalité éclatante, tout en se rassurant de ses arguments par le passage obligé des années 1930 et de l’établissement de régimes national-autoritaires qui s’ensuivit, au détriment d’une analyse lucide et pertinente, le seul gage sérieux à une disqualification des idées dangereuses portées par le parti de Mme Le Pen.
Réaffirmer le primat du politique
La victoire du FN ainsi que le taux d’abstention élevé (57%) témoignent avant tout d’une volonté, chez les citoyens, de changer les choses par la politique, et d’une déception profonde vis-à-vis de celle-ci et de ceux qui l’animent. Or, le FN est le seul parti qui a réussi à incarner un volontarisme politique durant la campagne des européennes. En effet, derrière l’illusoire souhait de rétablir une souveraineté prétendument nationale, se cache la volonté d’affirmer le primat du politique, c’est-à-dire la reprise du contrôle par l’Etat de tous les aspects de la vie politique et socio-économique d’un pays. Il suffit de voir les premières mesures prises par R.Ménard, maire de Béziers élu avec le soutien du FN : achat de blouses pour les écoliers, interdiction d’étendre son linge sur le balcon, etc. Bien sûr, ces mesures ont un impact infime, restreints par l’échelle d’action d’une municipalité ; peut-être même peut-on les juger positives. Mais qu’adviendrait-il à une échelle supérieure ? Bientôt, pourrait-on voir l’attribution de subventions publiques déterminée selon le degré de bienveillance des élus envers les associations ? Il est impératif de ne pas confondre la recherche d’une efficacité perdue de l’action publique, avec le rétablissement d’un primat du politique visant à assurer un contrôle accru de la société.
L’idéologie du FN repose sur un mythe fondateur, celui de la nation. A ce mythe, est opposé le « mondialisme », soit un mouvement initié et entretenu par les élites qui contribue à effacer les spécificités nationales, participe d’une homogénéisation culturelle globale au service d’un libre-échange généralisé. La mondialisation, parce qu’elle se traduit en un abaissement des frontières pour faciliter la circulation des marchandises et des travailleurs, ferait perdre aux élites, qui en profitent, l’attachement à leur « terre d’origine », alors que la nation resterait le seul niveau géographique protégeant l’abstrait « peuple ». Ce peuple - qui correspond en fait aux classes populaires - n’obtient pas les bénéfices de la mondialisation, au contraire : la formation d’un marché du travail mondial, la mise en concurrence des travailleurs, s’oriente nécessairement vers une standardisation par le bas des minimas sociaux, provoquant de facto une course à la baisse du coût du travail.
Le monopole de la mystique ?
La mystique nationale est d’autant plus enivrante qu’aucune autre ne s’oppose à elle. Elle a remplacé celle communiste et internationaliste qui régissait l’organisation de nombreux quartiers et cités jusqu’aux années 1980. Aujourd’hui, la social-démocratie telle que mise en avant par le Parti socialiste, alors que celui-ci présentait un programme autrement plus à gauche durant la campagne présidentielle, est un modèle sans avenir : le quinquennat de F.Hollande est marqué par une « désidéologisation » des rapports politiques, précisément parce que l’objectif principal de sa politique qu’est la réduction de la dette et des déficits, est partagé par son opposition de droite ; même, la voie choisie de réduction des dépenses est semblable. La seule différence, sur le plan économique, est de déterminer le niveau desdites coupes dans la dépense publique. Et, si la réduction de la dette est un impératif, elle ne constituera jamais une mystique !
Il existe pourtant bien des différences entre droite et gauche, sur la vision de la société, de la construction européenne, des relations diplomatiques. Mais celles-ci sont complètement éludées, et le FN joue là-dessus, par la prépondérance de l’économie dans les débats politiques : petit à petit, on vide la politique de son essence, on fait de « l’économisme ». Bien entendu, la sévère crise économique, qui par sa longueur devient un dangereux état de fait, auquel on s’accoutume, n’est pas étrangère à cela ; mais peut-être faut-il envisager de remettre l’économie au service du politique plutôt que l’inverse. Or, les élections européennes ont constitué le point d’orgue de cette « dépolitisation » : ainsi, pas un seul parti, si ce n’est le Front de Gauche sur la pointe des pieds, n’a cru bon de montrer la nocivité de l’accord transatlantique, qui pourrait à terme et s’il était ratifié, aboutir au droit des entreprises à déférer un Etat devant un tribunal si elles jugeaient que sa législation sociale nuit au libre-échange. Une telle mise à égalité des firmes multinationales et des Etats du point de vue de la législation conduirait inexorablement à une mort de la politique.
Souverainetés réelle et illusoire
Remettre l’économie au service de la politique nécessite d’être souverain. Mais l’illusion est de croire que la souveraineté peut encore être nationale : il suffit de voir la dépendance qui est la nôtre vis-à-vis de nos créanciers. L’Europe constitue notre seul espace de souveraineté possible : mutualiser les dettes (euro-obligations) entre les pays de l’Euroland serait une première avancée, de même que la mise en place d’un gouvernement exécutif de la zone euro. Pour que cette souveraineté soit efficiente, c’est-à-dire pour qu’une décision prise par ledit gouvernement n’ait pas d’impacts asymétriques, il est nécessaire d’opérer une harmonisation des législations fiscale et sociale : pour que la concurrence puisse redevenir équitable, et se joue bien davantage sur la compétitivité hors coût (montée en gamme de la production des entreprises, par exemple) que sur le coût du travail.
La naissance d’une mystique européenne passe nécessairement par la compréhension que, l’enjeu majeur de l’époque se trouve dans le choix entre fédéralisme européen et repli national, entre l’option qui nous permet de conserver notre souveraineté et l’illusion autarcique. C’est pour cela que la bipolarisation gauche-droite de la vie politique doit laisser place à l’opposition entre souverainistes et fédéralistes, avec les déclinaisons qu’elle implique : souverainiste de droite ou de gauche, fédéraliste de droite ou de gauche. Pareille mystique est indispensable au dépassement de l’impasse qui nous est présentée, entre une construction hésitante car bien plus technique que politico-historique, et un retour en arrière qui nous conduirait droit dans le mur. Les dirigeants nationaux doivent porter l’idée d’une démocratie européenne effective et réelle pour parer à la montée des courants souverainistes.
Sur le plan strictement français, il est nécessaire de former un gouvernement d’union nationale, imposé par la situation d’urgence, afin que la « désidéologisation » décrite des conflits entre PS et UMP soit perçue comme circonstancielle, pour permettre à la France de sortir de son état de crise. Autrement, les « gué-guerres » sur le niveau de réduction des économies ne suffiront pas à masquer la similarité de l’approche économique entre la gauche et la droite, et crédibiliseront fortement le discours « UMPS » du parti frontiste.
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