Contre les mensonges de Charles de Gaulle, la vérité des documents
En ouvrant le tome premier de ses Mémoires de guerre (L’Appel, Plon 1954) aux pages 232-233, laissons maintenant celui qui vient à peine de rejeter, par une formule décidément bien choisie, la proposition émise par Pierre Cot de créer un Conseil politique : « Quelle rigolade ! », nous développer ses habituelles menteries de guerre en jouant le « je-sais-tout » à propos de Jean Moulin :
« Je savais qui il était. Je savais, en particulier, que préfet d’Eure-et-Loir lors de l’entrée des Allemands à Chartres il s’était montré exemplaire de fermeté et de dignité, que l’ennemi, après l’avoir malmené, blessé, mis en prison, l’avait finalement libéré avec ses excuses et ses salutations, que Vichy, l’ayant remplacé dans son poste, le tenait, depuis, à l’écart. Je savais qu’il voulait servir. » (Charles de Gaulle, Mémoires de guerre, L’appel, pages 232-233.)
Il voulait servir… de Gaulle. Ou mieux, servir à… de Gaulle. Y compris pour « balayer l’escalier », comme son ami et patron Pierre Cot ? Mis à l’écart par Vichy, écrit Monsieur-je-sais-tout, et pour quelles raisons ?… Les voici, telles qu’elles figurent dans les dossiers du ministère de l’Intérieur :
« Fonctionnaire de valeur, mais prisonnier du système ancien » (ce qu’il faut traduire par : Front populaire) et « Ancien chef de cabinet de Pierre Cot ».
Peut-on même penser que Charles de Gaulle, présent de 1932 à 1937 dans les couloirs des Assemblées et au ministère de la Défense nationale n’ait jamais croisé la route du chef de cabinet du ministre de l’Air, Pierre Cot ?
Mais voyons la suite qui est assez cocasse, faut-il le dire ? Car il a littéralement fallu que Charles de Gaulle accouchât de Jean Moulin, et aux forceps :
« Il me fallut attendre deux mois pour avoir satisfaction. L’ « Intelligence », en effet, s’efforçait de s’attacher Jean Moulin. Mais lui, inversement, réclamait de m’être envoyé. » (Idem, page 233.)
C’est beau, l’amour.
Parce que c’était lui, parce que c’était moi : rien que cela !
Il s’agit donc d’aider Jean Moulin à grimper l’escalier que Pierre Cot, « trop voyant », avait dévalé si vite seize mois plus tôt (juin 1940) :
« Grâce à une lettre pressante adressée à M. Eden, j’obtins que le loyal serviteur parvînt à sa destination. J’aurais, ensuite, autant de peine à assurer son retour en France. » (Idem, page 233.)
« Loyal serviteur », autrement dit, une vulgaire carpette. Encore du Pierre Cot, mais en pire… Qu’est-ce que je vais bien pouvoir en faire ?
Heureusement, non, ce n’est pas du pire, car voici le grand orchestre et les gros violons de la passion amoureuse illimitée :
« Cet homme, jeune encore, mais dont la carrière avait déjà formé l’expérience, était pétri de la même pâte que les meilleurs de mes compagnons. Rempli, jusqu’aux bords de l’âme, de la passion de la France, convaincu que le « gaullisme » devait être, non seulement l’instrument du combat, mais encore le moteur de toute une rénovation, pénétré du sentiment que l’État s’incorporait à la France Libre, il aspirait aux grandes entreprises. » (Idem, page 233.)
Il n’y a que celles et ceux qui n’ont pas encore bien compris qui était Charles de Gaulle, pour ne pas commencer à s’inquiéter vraiment…
Serait-il devenu complètement fou pour se leurrer à ce point sur le meilleur ami d’un Pierre Cot dont il a commenté, un mois plus tôt, les propos politiques ? Sur l’un des amis d’André Labarthe, dont il sait qu’à travers l’amiral Muselier, il s’apprêtait à capter le service Action en France dont Jean Moulin allait devenir le correspondant privilégié dès les prochains mois ? Ne sait-il pas qu’il y a, là, toute une stratégie qui s’appuie, au surplus, sur certains responsables britanniques dont Churchill n’est pas le moindre ?
D’un Churchill dont, par ailleurs, nous découvrons, grâce à Jacques Baynac, qu’il connaissait déjà l’ancien préfet d’Eure-et-Loir, puisque, rendant compte de l’entretien qu’il sortait d’avoir eu avec lui le 30 octobre 1941, Desmond Morton écrivait au Premier ministre :
« Un Français en visite clandestine dans ce pays et qui est venu me voir ce matin m’a particulièrement demandé de le rappeler à votre souvenir. Il circule sous le nom de Monsieur Moulin, dont vous ne vous souviendrez pas. C’était cependant le préfet de Chartres qui déjeuna avec vous, Gamelin et d’autres en octobre 1939 et que vous appeliez ensuite : « Le jeune préfet de Chartres ». » (Jacques Baynac, Présumé Jean Moulin, etc., page 237.)
C’est donc ce qui suit sous le plume de Charles de Gaulle, qu’il faut lire avec la plus grande attention :
« Mais aussi, plein de jugement, voyant choses et gens comme ils étaient, c’est à pas comptés qu’il marcherait sur une route minée par les pièges des adversaires et encombrée des obstacles élevés par les amis. Homme de foi et de calcul, ne doutant de rien et se défiant de tout, apôtre en même temps que ministre, Moulin devait, en dix-huit mois, accomplir une tâche capitale. » (Charles de Gaulle, Mémoires de guerre, L’appel, page 233.)
Il reste à voir comment, cette tâche effectivement capitale (au sens de l’installation de la souveraineté du Conseil de la Résistance), Jean Moulin l’a effectuée sans la moindre aide du général de Gaulle.
Ce qui était tout ce qu’il y a de plus naturel : le chef de la France Libre ne pouvait pas ignorer qu’il y avait du Pierre Cot dans tout cela. C’est ce qu’il nous reste à voir.
Michel J. Cuny
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